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Intervention de Michel Mercier

Réunion du 17 janvier 2012 à 15h00
Application de l'article 68 de la constitution — Discussion d'un projet de loi organique

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi organique soumis à votre examen vient parachever la réforme constitutionnelle du 23 février 2007 par laquelle ont été réécrits les articles 67 et 68 de la Constitution relatifs au régime de responsabilité du chef de l'État.

En 2007, le constituant a consacré le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité et établi un régime d'inviolabilité qui le protège de tout acte de procédure pendant la durée de son mandat. Cette double protection est indispensable à l'exercice de ses fonctions. En effet, aux termes mêmes de la Constitution, « Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. » Il assure ainsi, dans la Ve République, la plus haute fonction du pouvoir exécutif ; il est, pour reprendre une expression bien connue et dont la véracité peut se vérifier, « la clé de voûte de notre système institutionnel ». C'est parce qu'il est le représentant de la nation et qu'il participe directement à l'exercice de la souveraineté que le Président de la République bénéficie des immunités qui s'attachent à cette qualité. Il doit en effet pouvoir exercer le mandat dont il est investi en toute indépendance, et en dehors de toute pression ou intimidation qui l'empêcheraient de mener à bien sa mission.

Suivant les recommandations de la commission présidée par M. le professeur Avril, le constituant a cependant souhaité assortir ce régime protecteur d'un dispositif de sauvegarde permettant la mise en cause la responsabilité du Président de la République dans l'hypothèse où il aurait manqué à ses devoirs de manière tellement grave et tellement manifeste qu'il se rendrait, par là même, indigne de poursuivre l'exercice du mandat que lui a confié le peuple français. À cet effet, l'article 68 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision de 2007, a substitué la notion de « manquement manifestement incompatible avec l'exercice du mandat » à celle, il est vrai surannée, de « haute trahison ».

C'est au Parlement, constitué en Haute Cour, que l'article 68 a confié le pouvoir de mettre en oeuvre la procédure de destitution du Président de la République. C'est là un choix cohérent dès lors que l'objet de cette procédure n'est en aucun cas de mettre en cause pénalement le chef de l'État, même si la destitution peut ouvrir la voie à l'engagement à son encontre, dans un second temps, de poursuites pénales dans les conditions du droit commun. Son unique objet est d'apprécier la dignité du titulaire de la fonction à exercer celle-ci, et seule la représentation nationale peut légitimement interrompre ce mandat directement confié par le peuple.

Il revenait dès lors au législateur organique de fixer les modalités d'application de l'article 68. Le projet soumis à votre examen détermine ainsi les conditions de recevabilité des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, les modalités d'examen de ces propositions ainsi que le déroulement des débats devant la Haute Cour.

Tout d'abord, le projet encadre la procédure afin qu'elle ne soit pas utilisée à des fins dilatoires ou partisanes, celle-ci restant réservée à des cas exceptionnels de manquements incompatibles avec la poursuite du mandat présidentiel.

Le texte prévoit ainsi que, pour être recevables, les propositions de résolution doivent être motivées et recueillir la signature d'au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée. Je rappelle que, si la résolution est déclarée recevable, son adoption nécessite un vote à la majorité des deux tiers des membres de la première assemblée saisie.

L'appréciation de la recevabilité des propositions de résolution, ainsi inscrite dans le texte, contribue à renforcer l'efficacité et l'équilibre de la procédure. À l'initiative du rapporteur, la commission des lois a souhaité confier ce contrôle de recevabilité au bureau de l'assemblée concernée. Je crois, en effet, que du fait de son rôle institutionnel et de sa composition, le bureau est le plus légitime à exercer cette fonction de contrôle.

Ce contrôle de recevabilité, confié au bureau, portera notamment sur la justification par la proposition de résolution des « motifs susceptibles de caractériser un manquement au sens du premier alinéa de l'article 68 de la Constitution ». Cela permettra de s'assurer que la proposition s'inscrit bien dans le champ d'application de l'article 68 de la Constitution.

Pour éviter également la tentation de procédures dilatoires et les mises en cause à répétition du Président de la République, votre commission a prévu qu'un député ou un sénateur ne pourrait signer plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour durant un même mandat présidentiel.

Afin de garantir un examen rapide et des débats de bonne tenue, le projet de loi fixe par ailleurs des délais rapprochés et les moyens d'éclairer efficacement la Haute Cour.

Le texte initial prévoyait les délais de transmission de la proposition de la résolution entre les assemblées. À l'initiative de M. le rapporteur, les délais d'examen de la proposition de résolution ont été précisés. Devant la première assemblée saisie, la proposition de résolution sera inscrite à l'ordre du jour au plus tard le treizième jour suivant son examen au fond par la commission des lois, le vote intervenant avant le quinzième jour.

Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, que la clôture de la session du Parlement pouvait faire obstacle au respect du délai constitutionnel de quinze jours. Vous avez donc proposé que, dans cette hypothèse, l'inscription à l'ordre du jour intervienne au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.

L'objectif de cette adjonction est de rendre possible l'application du dispositif de la loi organique quel que soit le moment auquel il est déclenché. Je ne suis toutefois pas certain que le législateur organique ne méconnaisse pas les limites de sa compétence en complétant ainsi les dispositions de l'article 68 de la Constitution.

Si la proposition de résolution est adoptée, la Haute Cour disposera d'un mois pour se prononcer. L'ensemble de ces délais constitue l'assurance d'une issue rapide de la procédure, tout en apportant les garanties nécessaires à la qualité des débats.

Quant au rôle et à la composition du bureau de la Haute Cour et de celui de la commission ad hoc chargée de recueillir les informations nécessaires aux travaux de la Haute Cour, votre commission a renforcé encore les garanties de la procédure, en fixant le nombre des membres de ces organes afin d'en garantir chaque fois le pluralisme politique. La commission ad hoc disposera de prérogatives identiques à celles reconnues aux commissions d'enquêtes, lui permettant ainsi de réunir toutes les informations nécessaires à la Haute Cour,

En plus de l'ensemble des parlementaires, seuls pourront participer aux débats de la Haute Cour le Président de la République, qui pourra se faire assister ou représenter, et le Premier ministre.

Mesdames et messieurs les députés, le dispositif voulu par le constituant à l'article 68 de la Constitution garantit l'équilibre et le bon fonctionnement de nos institutions. Le projet de loi organique, enrichi par votre commission des lois, permet d'apporter les précisions nécessaires à la mise en oeuvre de cet équilibre, afin de conserver à la procédure de destitution le caractère exceptionnel qui a été voulu par le constituant et qui est seul compatible avec l'esprit de nos institutions.

Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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