Monsieur Meslot, la seule bonne nouvelle relative au Pakistan est la participation de ce pays à la conférence d'Istanbul, qui s'est achevée par une déclaration commune aux termes de laquelle les États voisins et riverains de l'Afghanistan le reconnaissent comme un État indépendant. Pour convenues qu'elles puissent sembler, les déclarations de ce type finissent par être contraignantes pour leurs signataires. Plus le Pakistan s'insérera dans des dispositifs de reconnaissance de son voisin, mieux nous nous porterons. Nous ne devons pas oublier que la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan est une frontière coloniale ; c'est la ligne Durand, héritée des Anglais. Est-elle vraiment reconnue par le Pakistan ? En tout état de cause, en participant à ce type de réunions internationales, le Pakistan va se retrouver prisonnier de ses propres déclarations.
Pour le reste, je suis plutôt pessimiste. Avec plus de 180 millions d'habitants, le Pakistan ne peut en aucun cas être considéré comme comparable à l'Afghanistan, ou la Libye. C'est aussi un voisin de l'Inde, pays encore plus peuplé…
Madame Alliot-Marie, la vraie réponse à la question que vous posez sur l'armée serait que l'Afghanistan se dote d'une vraie gendarmerie, ou encore de forces locales. Cette question rejoint celle de la drogue. Dans un pays en guerre civile depuis trente ans et très compartimenté, l'existence de forces de proximité, très adaptées à un territoire et qui en connaissent aussi bien les contraintes militaires que les aspects humains paraît indispensable pour contrôler les populations. Nous pourrions donc conseiller aux Afghans de se doter certes d'une armée professionnelle mais aussi, en effet, de constituer une armée mixte, comportant des unités locales de proximité dotées d'un encadrement stable, qui exerceraient un certain ascendant sur les populations et éviteraient la création d'administrations parallèles, comme tel est le cas dans certaines régions.
Assez curieusement, ce sont les Tadjiks qui m'ont le plus parlé de la drogue, lors de mon escale de retour à Douchambé. Mon homologue ministre de la défense du Tadjikistan est extrêmement préoccupé par la perspective d'un retrait de la coalition d'Afghanistan et m'a indiqué que l'exportation de drogue se poursuivait.
Pour des raisons climatiques et de terroir, les secteurs que nous contrôlons sont peu producteurs de drogue. En revanche, la drogue y circule.
Tant que la drogue sera la ressource économique la plus simple à produire, elle sera évidemment privilégiée.
Un autre pays est très préoccupé par la production afghane de drogue, l'Iran. Si les Afghans produisent et vendent la drogue, ils n'en consomment que fort peu. Au contraire, les réfugiés afghans qui reviennent d'Iran en deviennent, comme les jeunes Iraniens, des usagers et reviennent drogués, ce qui déstabilise la vie locale.
La Russie est aussi, au fond, très préoccupée par le retrait de la coalition en 2014. Les Russes savent parfaitement que ce retrait comporte un risque d'islamisation militante des républiques du Sud de l'ex-URSS et d'accroissement de la diffusion d'une drogue dont ils sont les clients naturels du fait d'un pouvoir d'achat plus élevé que celui des ressortissants des pays immédiatement riverains de l'Afghanistan.
Il y a donc – et c'est un phénomène un peu nouveau – une prise de conscience de grands pays, l'Iran, la Russie, l'Inde aussi, voire de la Chine – pour d'autres raisons, économiques notamment – de la nécessité d'une situation stable en Afghanistan. L'Inde a même conclu un traité avec l'Afghanistan. De ce fait, sur le long terme, la coalition se sent un peu moins isolée.