Cette proposition de loi portant création d'une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants a tout de la fausse bonne idée. À première vue, quoi de plus naturel que de regrouper dans une première année commune les étudiants de médecine et de pharmacie ? C'est d'ailleurs pourquoi ce texte, encore récemment, n'attirait l'attention ni des personnes concernées ni même de la plupart des parlementaires.
Je crains cependant que, croyant résoudre un réel problème, celui d'un taux d'échec très élevé à l'issue de la première année des études de médecine et de pharmacie, vous n'instauriez, avec cette proposition de loi, de nouvelles difficultés et, surtout, que vous n'ajoutiez de l'injustice en accentuant une sélection sociale déjà très forte, le tout sans concertation mais avec précipitation. On ne change pas les règles du jeu en cours de partie. Songeons ici aux étudiants qui se sont inscrits à la rentrée 2008 sans savoir ce qui les attendait ! Ils connaissent l'angoisse et la tension auxquelles vous avez fait allusion, madame la ministre. Ils sont en ce moment concentrés sur les épreuves du premier quadrimestre, et donc sans réactivité par rapport à cette réforme. Or ceux qui vont redoubler auront la mauvaise surprise de découvrir un renouvellement de 30 % de leur programme, programme d'ailleurs surtout axé sur des matières scientifiques fondamentales qui ne font pas particulièrement appel à l'empathie ni aux valeurs humanistes indispensables à l'exercice professionnel.
On retrouve avec cette proposition de loi la marque de fabrique de cette majorité parlementaire : derrière un vernis pragmatique et un prétendu sens pratique se cachent des dispositions injustes, insatisfaisantes et inabouties, qui, loin de résoudre les problèmes, ne font souvent que les compliquer.
Nul ne conteste que le taux d'échec en première année de médecine, de l'ordre de 80 %, soit un gâchis humain considérable. C'est d'ailleurs le constat que dressait le rapport remis en février dernier par Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et à Mme la ministre de la santé. Nous sommes unanimes à considérer qu'il faut agir, proposer des solutions pertinentes et adaptées, tant la déception est grande pour ces trop nombreux recalés qui sont en grande majorité de très bons élèves.
Faut-il pour autant adopter la proposition de loi de notre collègue Jacques Domergue ? Est-elle de nature à améliorer sensiblement la situation en instaurant une première année commune aux études de santé ? En quoi la création d'un tronc commun d'enseignements au premier semestre, complété par des cours spécifiques au second semestre, serait-elle de nature à mettre un terme à l'échec de la première année sans pour autant remettre en cause ce qui fonctionne ?
Sur l'utilité d'un enseignement commun dès la première année, je suis très réservée, car cela me paraît largement prématuré. Des enseignements communs seraient plus pertinents et plus utiles dans les années ultérieures, lorsque le développement d'échanges, de contacts, de relations entre futurs professionnels spécialisés s'avère profitable pour tous et bénéfique pour les patients.
De plus, cette première année commune ne va pas sans poser des problèmes matériels et pratiques : par exemple les étudiants en pharmacie bénéficient aujourd'hui de travaux dirigés regroupant 20 à 30 élèves par groupe alors qu'après l'adoption de ce texte, ils seront entre 200 et 250 – s'ils ont encore des TD. En effet, si 30 % des enseignements de pharmacie se font aujourd'hui selon cette formule, le pourcentage ne sera plus, au mieux, que de 10 % si cette proposition de loi est adoptée. On voit mal où se situent le progrès et l'amélioration, et on comprend mieux l'inquiétude et l'hostilité des étudiants en pharmacie, qui revendiquent leur spécificité. Aujourd'hui, leur programme de première année, directement adapté à leur concours, comporte un certain nombre d'enseignements fondamentaux qu'il n'apparaît pas opportun de supprimer. C'est ainsi que, dès leur stage en officine, en fin de première année, ils possèdent déjà les bases de leur futur métier. Leurs conditions d'études sont donc bien plus satisfaisantes qu'en médecine. Pourquoi perturber et affaiblir une filière qui ne va pas si mal ? Pourquoi la tirer vers le bas ?
Une réelle amélioration passe par plus de moyens financiers, afin de mieux organiser les études de santé et les faire bénéficier de conditions matérielles dignes de notre pays. De ce point de vue, cette proposition de loi manque d'ambition.
Quant à la réorientation dès la fin du premier semestre de la première année, il s'agit là encore d'une fausse bonne idée, puisque un étudiant échouant à ce stade sera contraint de poursuivre ses études dans une faculté de sciences et ne pourra revenir en médecine avant dix-huit mois.
Cette mesure, qui ne va pas sans poser de nombreux problèmes pratiques, témoigne d'une mauvaise connaissance des conditions dans lesquelles étudient les jeunes ainsi visés. Certains devront changer d'université et de payer de nouveaux frais de scolarité, d'autres devront en plus changer de ville et donc déménager, ce qui entraîne des dépenses importantes – sans oublier la quasi-obligation de suivre des cours privés coûteux.
Cette proposition de loi, telle qu'elle est rédigée, aggrave l'injustice et la sélection sociale dans un secteur où elles sont déjà fortes. De nombreux bacheliers ne pourront se permettre de se lancer dans une première année aussi coûteuse, avec le risque d'être très vite réorientés vers un cursus qui ne correspond pas à leurs envies et ambitions. Ceux dont les parents ont les moyens feront le choix de s'inscrire ; la plupart des autres seront tentés, au terme d'un triste calcul coût-avantages, d'aller s'inscrire ailleurs et de renoncer à la médecine, sans même tenter leur chance.
Par ailleurs, l'introduction d'une sanction dès le premier semestre oblige à s'interroger sur la capacité des facultés de sciences à accueillir autant d'étudiants en cours d'année universitaire. Au demeurant, pourquoi s'agirait-il nécessairement des faculté de sciences ? Pourquoi ne pas envisager des passerelles, dans les deux sens, entre les études de santé et les études de sciences humaines, sociales et économiques ?
On peut regretter le flou excessif et plus encore le silence de ce texte s'agissant de l'accompagnement des étudiants et des conditions d'études, souvent désastreuses. Pour améliorer ces dernières, le Gouvernement n'a pas trouvé mieux que de développer, pour certains enseignements, le recours à la visioconférence et aux CD-ROM, qui rompent le lien pédagogique entre professeurs et étudiants.
Mes chers collègues, cette proposition de loi n'est pas à la hauteur des enjeux ni du problème qu'elle prétend résoudre. Je crains qu'elle n'ait plus d'inconvénients que d'avantages, et qu'elle ne permette pas de remédier au gâchis humain que constitue le taux d'échec en fin de première année de médecine.
En l'état, elle maintiendra des frustrations importantes chez les étudiants qui échoueront à la fin du premier semestre, et en ajoutera de nouvelles chez ceux qui se retrouveront dans des filières scientifiques par défaut et non par choix. Elle aggravera la discrimination par l'argent et les inégalités sociales entre les étudiants, quand elle n'incitera pas ces derniers, tout simplement, à renoncer aux études de santé et à ne pas s'inscrire en première année. Dans ces conditions et pour toutes ces raisons, les députés radicaux de gauche ne pourront l'approuver.
En tout état de cause, chers collègues de la majorité, si vous faites le choix d'approuver ce texte, ayez au moins la bonne idée de reporter son entrée en vigueur à la rentrée universitaire 2010-2011 !