Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'objectif initial de la proposition de loi qui nous est soumise est intéressant, puisqu'il s'agit de « proposer des solutions pour lutter contre l'échec massif des étudiants en fin de première année de médecine », en créant une année commune préparant aux quatre concours distincts actuels, destinés aux futurs médecins, odontologistes, pharmaciens et sages-femmes. La possibilité ainsi offerte aux étudiants de passer un ou plusieurs de ces concours permettrait d'éviter la sélection par défaut qu'impose l'actuel concours unique, en leur ouvrant théoriquement de nouvelles perspectives de réorientation. Las, non seulement cette proposition de loi, directement inspirée d'un rapport remis aux ministres de l'enseignement supérieur et de la santé, se révèle insuffisante, voire inquiétante, mais elle ne résout en rien les inégalités sociales qui président à la sélection des étudiants en médecine.
Je commencerai par le caractère inquiétant du texte. Le 4° de l'article 1er crée la possibilité d'une réorientation des étudiants à l'issue du premier semestre de la première année des études de santé ou au terme de celle-ci, et prévoit les modalités d'une éventuelle réinscription ultérieure dans cette année d'études. Il s'agit donc d'organiser purement et simplement une réorientation précoce des étudiants vers les disciplines scientifiques après un échec à l'issue du premier semestre. Les plus fragiles, qui n'auront pas su s'adapter assez vite, se verront ainsi poussés vers la sortie et orientés vers une filière non désirée, avec le risque d'échouer une deuxième fois.
Le nouveau premier trimestre scientifique commun tend donc mécaniquement, et simultanément, à dévaloriser les premières années de sciences, en en faisant un « déversoir » du trop-plein d'étudiants inscrits en première année de médecine – toujours marquée par le numerus clausus, qui devrait être revu – ; à éviter de régler le problème des matières de sélection – l'important, pour un étudiant, sera de cumuler le maximum de points et non d'assimiler des connaissances dans toutes les matières – ; enfin, à laisser de côté la question de la faiblesse de l'encadrement pédagogique, pour lequel l'accroissement des moyens n'est même pas évoqué.
À ce propos, je ne peux que m'inquiéter, au nom des étudiants et des familles les plus modestes, de ce que le nouveau dispositif laisse entière la question du développement continu d'officines privées à but hautement lucratif, ayant pour objet d'entraîner les étudiants à préparer les concours classant des études médicales – médecine, odontologie –, parallèlement aux cours dispensés en première année par l'université.
Ce texte est, par ailleurs, insuffisant. Tout d'abord, il laisse de côté la formation des étudiants infirmiers et kinésithérapeutes, qui ont pourtant vocation à entrer dans le futur dispositif commun de formation en LMD santé, et au sujet desquels on a évoqué ailleurs la possibilité, pour certains d'entre eux, de poursuivre ultérieurement une qualification approfondie en santé. En outre, bon nombre d'étudiants considèrent, à juste titre, que cette réforme donne une prime aux « primo-entrants » au détriment des redoublants, placés dans une situation de double inégalité, car ils devront, après avoir échoué – souvent de peu –, refaire une année, tout aussi sélective, en terrain inconnu.
L'insuffisance du texte tient également au fait que les équivalences qu'il présuppose ne correspondent en rien à la réalité. L'application de la réforme LMD aux filières de santé devrait en effet se faire dans le cadre de l'« universitarisation » – pardonnez-moi ce néologisme – de toutes les filières de santé, seule garantie de l'égalité entre les étudiants et de la qualité de ces formations. Cette « universitarisation » devrait également permettre la création, sur le même modèle que les sciences humaines, d'un pôle santé renforcé au sein des universités, qui faciliterait les passerelles et les réorientations et renforcerait le lien entre les différents métiers de la santé. Elle rendrait possible, de plus, la mutualisation de certains enseignements, tels que l'anatomie pour les études de médecine et de kinésithérapie ou l'embryologie pour les études de médecine et de maïeutique.
Enfin, le texte ne règle en rien la question de la sélection sociale. L'organisation des études de santé, notamment l'absence de diplôme intermédiaire et la difficulté des concours, est un obstacle pour les étudiants d'origine populaire. En effet, il est beaucoup plus difficile de se projeter dans des études qui dureront dix ans que de s'engager dans des filières courtes.
En conclusion, ce texte met en évidence ce qui devrait être fait, sans apporter les solutions adéquates. Il crée incompréhension et inquiétude chez les étudiants ; il laisse de côté la question des moyens effectifs à mettre en oeuvre ; enfin, il réforme sans perspective ni cohérence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)