Dans le droit fil de ce que vient d'expliquer Patricia Adam, je pense qu'il est bon de rappeler que l'article 5 modifie le code de la défense en substituant au « conseil de défense » un « conseil de défense et de sécurité nationale ». L'ajout des mots « sécurité nationale » consacre, une fois de plus, la toute-puissance du ministère de l'intérieur dans le système que veut mettre en place le Président de la République, et qu'il avait d'ailleurs commencé à mettre en place dès 2002.
Après avoir tenu, c'est en tout cas l'impression que cela donnait, la plume du ministre de la justice lorsqu'il était ministre de l'intérieur, le Président de la République semble aujourd'hui tenir celle du ministre de la défense pour le soumettre au ministre de l'intérieur. Je me demande d'ailleurs si Mme Alliot-Marie apprécie de voir contredites ainsi toutes les déclarations qu'elle avait faites lorsqu'elle était ministre de la défense…
La loi de programmation militaire, couplée avec la loi sur la gendarmerie nationale, organise en effet la toute-puissance du ministère de l'intérieur sur celui de la défense. Tout est contenu dans l'alinéa 8 du présent article, qui fait intervenir le ministre de l'intérieur dans les décisions « en matière de direction générale de la défense et de direction politique et stratégique de la réponse aux crises majeures », et dans l'alinéa 41 qui lui donne potentiellement autorité sur les forces armées puisqu'il est écrit qu'il « assure la conduite opérationnelle des crises ».
L'absence de définition précise du mot « crise » crée une grande ambiguïté. S'agit-il simplement, monsieur le ministre, d'une catastrophe naturelle pour laquelle l'armée serait appelée en renfort – ce qui ne crée pas de difficulté – ou s'agit-il, comme nous le craignons, de revenir au concept de garde nationale, empruntée aux États-Unis ?
Deux actes fondateurs ont permis de théoriser l'emploi des forces armées sur le sol national : en premier lieu, les troubles de Mitrovica, dans le nord du Kosovo, où notre armée de terre a acquis une compétence en matière de maintien et de rétablissement de l'ordre en zone insurrectionnelle, puis les violences de 2005 dans les banlieues, qui ont conduit certains théoriciens, notamment dans votre famille politique, à envisager le recours à l'armée lors d'une éventuelle crise similaire.
L'article 5 y ouvre la voie. Mais les armées, notamment l'armée de terre, ne sont pas formées à réagir de façon graduée à des mouvements de foule : seule la gendarmerie mobile en détient la compétence. Ce concept d'emploi des forces est donc dangereux. Il ouvre la voie à des dérives. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre connaissance des témoignages des gendarmes expliquant comment ils forment leurs collègues de l'armée à traiter – pour faire court – l'arrière des manifestations, pour comprendre que gendarmerie et armée de terre n'ont pas le même métier, pas les mêmes formations. Nous y reviendrons sans doute lors de la discussion des amendements.