C'est en mars 2000, à Lisbonne, que le Conseil européen a décidé de faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde à l'horizon de dix ans », c'est-à-dire en 2010. Dès mars 2002, le Conseil européen de Barcelone précisait cet objectif, indiquant que 3 % du PIB seraient affectés aux dépenses de recherche-développement, deux tiers de cet effort devant provenir du secteur privé.
Hélas, même reporté à 2012, cet objectif ne sera sans doute pas atteint, du fait essentiellement de l'insuffisance de la recherche privée. De 2000 à 2007, avec une augmentation moyenne de 0,8 % par an, notre pays a connu un des plus faibles taux de croissance de dépense intérieure en matière de recherche-développement. Avec 2,04 % de son PIB consacré à la recherche-développement, la France est loin derrière le Japon, qui pointe à 3,44 %, les États-Unis à 2,68 % et l'Allemagne à 2,54 %. De même, avec 7,6 chercheurs pour mille actifs, notre pays est loin derrière les États-Unis, le Japon et les pays scandinaves, qui en comptent respectivement 10,7, 9,3 et plus de 12 pour mille.
Nul ne doute, dans ces conditions, qu'un effort soit nécessaire et que l'État doive donner une impulsion. Les mesures prises et accentuées, année après année, produisent-elles les effets escomptés ? Hélas, non seulement notre pays ne rattrape pas ses retards sur les pays comparables, mais l'effort des entreprises en matière de recherche-développement y demeure dramatiquement insuffisant, avec seulement 1,3 %, loin de l'objectif de 2 % fixé par le Sommet de Barcelone et qui a justifié les décisions budgétaires relatives à ce secteur, dont la Cour des comptes vient de confirmer que ce sont les grands groupes qui en bénéficient le plus. Vu les sommes en question comme les enjeux de développement, il est indispensable d'évaluer les effets concrets des mesures publiques en matière de recherche-développement. Je le réclame depuis des années.
Jusqu'à présent, on m'a fait valoir les contrôles fiscaux opérés, mais leur nombre – 270 en 2008 – est dérisoire par rapport à celui d'entreprises bénéficiaires. Or, la réforme du crédit d'impôt-recherche en a fait un guichet ouvert qui fonctionne sans aucun effort supplémentaire demandé aux entreprises en contrepartie. Le Gouvernement lui-même, dans un rapport au Parlement sur le sujet, soulignait la nécessité de « renforcer les capacités de suivi et de gestion de la mesure ». Avez-vous appliqué votre propre recommandation et, si oui, quelles sont vos conclusions ? Des éléments préoccupants laissent à penser que, loin d'être corrigées, a fortiori stoppées, les dérives actuelles risquent de perdurer, dans une véritable fuite en avant. Ainsi, pour certains groupes, ces aides constituent « des revenus » – c'est leur propre expression – qui remontent vers les holdings financières, sans entraîner nécessairement d'augmentation de l'effort de recherche-développement. Que comptez-vous faire pour y remédier ? Certains grands groupes intègrent dans leur stratégie une délocalisation de leurs moyens de recherche, y compris avec un pillage de brevets. Que prévoyez-vous pour contrer de telles opérations ? Votre collègue Christian Estrosi, dont j'espérais qu'il serait présent à vos côtés aujourd'hui, a tenu devant la Commission des affaires économiques des propos forts à ce sujet. J'aurais aimé qu'il les tînt de nouveau ici, mais peut-être le ferez-vous à sa place. Si certains ministres font valoir l'attractivité du crédit d'impôt-recherche pour des groupes qui pourraient installer en France leurs structures de recherche-développement, il faut veiller au maintien d'un lien entre la recherche-développement et l'ensemble de la chaîne industrielle. La production industrielle doit aussi se faire dans notre pays. Il faut éviter une recherche-développement « hors sol ». Quelles mesures avez-vous prévu en ce sens ?
L'heure est aussi à l'externalisation vers les laboratoires publics d'une part croissante de la recherche privée, en particulier dans l'industrie pharmaceutique. En clair, l'argent public financera les recherches sur l'efficacité des produits, toujours aléatoire, tandis que le secteur privé empochera seul les bénéfices, tout cela lui permettant de réduire ses efforts de recherche et donc d'augmenter ses profits. Confirmez-vous la création de « laboratoires communs public-privé » entre Sanofi-Aventis et l'INSERM, au moment même où Sanofi vient de consacrer 6 milliards d'euros à sa croissance externe et déclare vouloir réduire ses dépenses de 2 milliards ?
Confirmez-vous que la création des instituts hospitalo-universitaires se fera sur fond d'association de l'hôpital, de la recherche publique et de l'industrie, pour réaliser, en particulier, les essais cliniques que ne veulent plus financer les grands groupes pharmaceutiques qui les jugent trop aléatoires et y voient une menace pour leurs objectifs de rentabilité financière ?
Dans ces conditions, l'argent public ne viserait plus à favoriser la recherche-développement, à développer des coopérations fructueuses entre laboratoires publics et privés, mais à placer la recherche publique au service des entreprises, notamment de leurs stratégies financières.
S'agissant des pôles de compétitivité, je vous rappelle que je demande depuis longtemps qu'on améliore leurs liens avec le développement régional, que les partenaires sociaux participent à leur gestion et que ces pôles incluent un volet économique et social.
Étant donné l'absence d'évaluation satisfaisante des principaux dispositifs de soutien à la recherche en France, l'absence de contreparties en termes d'emploi ou d'effort exigées des entreprises bénéficiant de ces aides, le renoncement de l'État à d'utiles instruments de pilotage de grands projets industriels au profit d'un crédit d'impôt-recherche à guichet ouvert, l'échec du Gouvernement à rééquilibrer réellement l'effort de recherche entre privé et public, j'invite mes collègues à donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 192.