Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 13 mai 1998, une proposition de loi visant à reconnaître le génocide arménien a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale par nos amis Didier Migaud, Jean-Paul Bret et René Rouquet. Elle a été discutée lors de la séance du 29 mai. À l'époque, avec vous, j'ai voté et milité pour ce texte qui fut adopté à l'unanimité. Malheureusement, au Sénat, la majorité refusa de l'inscrire à l'ordre du jour.
Deux ans plus tard, le 21 mars 2000, sur le fondement d'une proposition de loi déposée par des sénateurs socialistes et communistes, une nouvelle tentative échoua. Le 7 novembre 2000, cette proposition de loi fut finalement adoptée à la majorité au Sénat.
Nous avions donc deux textes reconnaissant le génocide arménien émanant des deux chambres. Il fallait que le texte d'origine sénatoriale retourne devant l'Assemblée nationale pour une adoption conforme. Ce fut le cas le 18 janvier 2001, j'ai de nouveau voté pour ce texte ; j'ai de nouveau milité en sa faveur. Les mots « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 » prenaient alors force de loi.
En avril 2006, c'est une nouvelle fois le groupe socialiste qui a évoqué dans l'hémicycle de l'Assemblée le sujet du génocide arménien et la protection de la mémoire des rescapés et des descendants de cette tragédie. Lorsque, enfin, le 12 octobre 2006 nous avons pu nous prononcer sur ce texte, nous avons réaffirmé notre détermination à combattre pour la reconnaissance du génocide arménien.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer, comme l'ont déjà fait d'autres orateurs, les nombreux représentants de la communauté arménienne présents dans les tribunes.
Le négationnisme n'est pas pour moi l'expression d'une banale opinion. Ce n'est même pas une position politique, c'est un mensonge d'État ; c'est une insulte faite à l'humanité tout entière, une provocation à la dignité humaine. Le négationnisme est contraire aux valeurs de notre République. C'est pourquoi il nous faut le combattre par la pédagogie, la diffusion de la vérité, mais aussi et surtout par la force de la loi. C'est tout le sens du combat que je mène à Paris et à Marseille. Vous connaissez la sensibilité et la force de l'engagement de l'ensemble des parlementaires de toutes sensibilités issus de cette ville, de son sénateur-maire, de son premier adjoint et de l'ensemble des collègues déjà cités par Renaud Muselier – à cette occasion, permettez-moi d'évoquer plus particulièrement mon collègue Henri Jibrayel.
En juillet 1972, il y a plus de trente ans, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité la loi qui créait les infractions de discrimination en raison de la race, de la religion, de la nation, de l'ethnie, de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale. L'un des fléaux les plus détestables de la société française, le racisme, cessait d'être tenu pour une opinion comme une autre : il devenait un délit puni par la loi. Malheureusement, dans un contexte de recrudescence du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie, cette loi s'est révélée insuffisante. Un nouveau dispositif a donc vu le jour grâce la loi Gayssot.
Au travers de nos débats et de l'adoption, je l'espère du texte que nous examinons ce matin, il ne s'agit pas d'établir une vérité d'État, une vérité officielle, comme certains historiens le prétendent, nous souhaitons seulement ensemble pénaliser la négation de tous les génocides.
En octobre 2004, Jacques Chirac déclarait au quotidien La Provence, lors des vingt ans de l'association Judaïsme et liberté : « Négationnisme et révisionnisme encore tristement à l'oeuvre doivent être punis avec la plus grande rigueur. »
Il est donc de notre compétence, de notre ressort et de notre devoir de protéger l'ensemble de nos concitoyens contre les dérives antisémites, racistes et négationnistes. La singularité d'un génocide ne doit pas nous fermer à la souffrance d'autrui. Ni concurrence des victimes, ni banalisation, ni remise en cause de la spécificité d'un crime contre l'humanité ne doivent nous troubler dans notre démarche.
Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas de stigmatiser la Turquie. Bien au contraire, la France souhaite participer à l'établissement d'une paix durable entre Turcs et Arméniens.
La réalité du génocide est établie. Les preuves sont aussi flagrantes que les recherches abondantes sur le sujet. C'est la raison pour laquelle ceux qui se revendiquent de la liberté de douter sont des usurpateurs.
La liberté d'expression et d'opinion est aussi parfois invoquée pour combattre la loi. Mais personne, à notre connaissance, ne conteste celle de 1972 qui fait du racisme un délit, pas plus que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui précise dans son article 10, relatif à la liberté d'expression : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique […] ». De même, la loi sur la presse de 1881 qui protège de la diffamation n'est pas contestée.
Ce 22 décembre, c'est l'honneur de notre assemblée et des députés de voter la proposition de loi qui nous est soumise. C'est un acte politique juste à la signification forte. J'espère que mon ami Garo Hovsepian, maire des treizième et quatorzième arrondissements de Marseille, pourra annoncer aux Français d'origine arménienne qu'après la sépulture que le Parlement français a donnée à ses martyrs, la mémoire du génocide arménien est maintenant protégée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)