Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, l'Assemblée nationale peut s'honorer d'avoir contribué à conférer au génocide arménien la place qui doit lui revenir dans l'histoire collective de l'humanité : celle du premier génocide du XXe siècle.
Cependant, si la loi de 2001 est symboliquement importante, sa portée est purement déclarative. Il est donc nécessaire de légiférer à nouveau pour étendre le champ de la pénalisation.
Pourquoi se battre avec autant d'énergie contre le négationnisme à propos du génocide arménien ? C'est parce que nous faisons face à un négationnisme d'État, jusqu'ici inébranlable, un négationnisme nullement platonique, mais qui inspire directement la politique actuelle de la Turquie. Ainsi, les autorités turques ont exigé le silence absolu sur la question du génocide arménien comme condition nécessaire pour engager la négociation de normalisation avec l'Arménie.
Nous connaissons aussi l'usage qui est fait de l'article 301 du code pénal turc pour criminaliser dans ce pays toute forme de reconnaissance du génocide arménien, usage que vient de condamner à l'unanimité, fin octobre, la Cour européenne des droits de l'homme. Les livres scolaires turcs continuent de rester muets sur le génocide arménien. La formation des jeunes diplomates turcs au discours de la négation est maintenue.
Aujourd'hui encore, les autorités turques persistent à proposer la réunion d'une « commission historique mixte », comme si la réalité du génocide était encore sujette à caution. Comme l'a dit le Président de la République, Nicolas Sarkozy, à Erevan, « 1915-2011, c'est un temps suffisant pour la réflexion ».
Les réactions menaçantes et disproportionnées des représentants officiels turcs et leur chantage indigne et insupportable pour tenter d'empêcher l'adoption de cette proposition de loi par notre assemblée suffisent à montrer leur attachement à cette politique d'État négationniste et leur incapacité à regarder leur histoire en face.
Ce négationnisme d'État pose à tous les responsables politiques un problème de conscience qui dépasse très largement les frontières de la Turquie.
Cependant, à côté de cette politique d'État ancrée dans la dénégation, on peut constater certaines évolutions positives au sein de la société civile turque : des pétitions circulent demandant pardon pour la Grande catastrophe subie par les Arméniens ottomans en 1915. Le vote de notre proposition de loi peut donc constituer un signal important pour tous ceux qui, au sein de la société civile turque, tentent courageusement de secouer le joug du négationnisme d'État, afin qu'un jour le déni soit définitivement brisé.
L'échéance du centenaire de 2015 pourrait alors jouer un rôle d'aiguillon, analogue, peut-être, à celui qu'a joué le bicentenaire de 1993 à propos de la Vendée, même si la reconnaissance officielle de ce génocide originel, ordonné par la Convention, reste encore à finaliser. En témoignent à la fois l'inaboutissement de la proposition de loi déposée par notre collègue Lionnel Luca en 2007, invitant la République « à reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794 », et l'amendement proposé par Jacques Remiller à la présente proposition de loi, qui va dans le même sens. Cette initiative devra être reprise sur la base des révélations des fouilles du Mans et de la redécouverte des archives de la défense, qui confirment de manière éclatante l'intention génocidaire.
Notre légitimité à légiférer sur le déni du génocide arménien est entière, le génocide étant l'élément fondateur de la relation franco-arménienne. « De la tragédie du génocide est née notre alliance », a rappelé Nicolas Sarkozy au mémorial d'Erevan.
Je vois dans cette loi l'aboutissement du combat persévérant et courageux mené par les survivants de la diaspora arménienne et leurs descendants pour donner un sens à leur survie, à travers une lutte permanente contre la facilité de l'oubli.
Appartenant à une région, la Vendée, qui doit une bonne part de son identité à la volonté exterminatrice dont elle a été l'objet, je puis attester des conséquences profondes et durables qu'entraîne, par-delà le temps du génocide lui-même, la persistance de son déni. Ce n'est pas un hasard si c'est sur ce fondement même que s'est nouée une coopération étroite et profonde entre la Vendée et l'Arménie, malgré l'absence de toute communauté d'origine arménienne dans notre région.
Pénaliser le déni de génocide, ce n'est pas se substituer aux historiens. C'est reconnaître que cette dénégation n'est pas une simple opinion, mais la poursuite dans le présent de l'acte génocidaire. C'est mettre en oeuvre la notion d'imprescriptibilité spécifiquement attachée au génocide et contribuer ainsi à la prévention de toute répétition. C'est attester que notre Parlement place la dignité humaine au premier rang des valeurs qu'il entend défendre.
Pénaliser le déni de génocide, c'est souligner le rôle particulier de la France dans la défense du droit fondamental des personnes à leur histoire et du droit des peuples à la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)