Avec ce texte, nous ne récrivons pas l'histoire, mais le massacre des Arméniens n'est est pas un point de détail. La Turquie conforterait la place qu'elle mérite dans la communauté internationale si elle ouvrait les yeux sur la vérité de son passé, comme l'ont fait l'Allemagne et la France, qui aujourd'hui sont le moteur de l'Europe.
Ce texte ne la condamne aucunement, ni les ressortissants turcs vivant en France, ni les Turcs eux-mêmes, mais il concerne des centaines de milliers d'Arméniens ou de Français d'origine arménienne auprès desquels la France a pris un engagement de dignité et d'humanisme.
Moi qui ai grandi à Marseille, avec des Français d'origine arménienne, les Melian, les Tcherpachian, les Melkonian, les Tavitian, les Gourdikian, les Parakian, je sais à quel point ce peuple a souffert et souffre encore.
Permettez-moi de reprendre quelques extraits de mon intervention d'il y a dix ans : « Comment passer sous silence la première grande tragédie du xxe siècle ? Comment rester insensible à l'évocation de ces faits historiques qu'aujourd'hui plus personne ne songe à contester ? […] En 1915, au coeur des dernières convulsions de l'Empire ottoman, le jeune gouvernement turc décide, par un acte prémédité, de rayer de la carte la population arménienne, alors majoritaire dans les provinces orientales de l'Empire. […] Cette déportation à grande échelle s'achève par l'extermination de 1 500 000 personnes. […] Les témoignages oculaires et les récits des survivants convergent pour démontrer qu'il s'agit réellement d'un génocide perpétré contre le peuple arménien par le gouvernement ottoman. […]
« Pourquoi le Parlement français tient-il, par un texte de loi, à reconnaître ce génocide ? Cette reconnaissance, c'est d'abord un geste d'amitié envers ce peuple qui a souffert dans sa chair et qui a été privé d'une partie de ses racines. En effet, ce ne sont pas uniquement des morts que l'on déplore, ce sont aussi l'élimination d'une culture et la destruction d'une civilisation. C'est également une affaire de dignité. […]
« Loin de moi l'idée d'imputer une responsabilité quelconque aux dirigeants actuels de la Turquie dans les massacres perpétués en 1915. Toutefois, il s'agit de condamner ces actes de barbarie et d'en obtenir la reconnaissance. Nous demandons l'affirmation de la vérité au regard de l'histoire. […] En reconnaissant comme tel le premier génocide du xxe siècle, la France montre qu'elle n'oublie pas sa vocation sacrée de patrie des droits de l'homme. En votant ce texte, nous nous montrons dignes et respectueux de nos écharpes tricolores. »
Aujourd'hui, dix ans après, je ne retire pas une phrase de ce discours, pas un mot.
Mes chers collègues, mon grand-père a donné la Croix de Lorraine à la France libre, mon père a été déporté à Dachau, l'ensemble de ma famille a été torturée ou déportée, je sais combien il est fondamental de faire la paix avec le passé pour construire l'avenir. L'Allemagne l'a fait en une demi-génération, la Turquie doit également suivre ce chemin : 1915-2011, il est temps d'y arriver.
Toutefois, le texte que nous examinons aujourd'hui va plus loin et permet à la France d'appliquer les progrès de la justice internationale. C'est en effet au Parlement de faire le lien entre les décisions internationales – en particulier les décisions de la Cour pénale internationale – et la loi française.
En 1999, nous avons adopté une loi constitutionnelle reconnaissant la juridiction de la Cour pénale internationale. En 2002, le Parlement adoptait une proposition de loi de M. Robert Badinter portant sur la coopération entre la France et la CPI, puis en 2010, lors du vote du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la CPI, les juridictions françaises ont été rendues compétentes pour juger, sur notre territoire, un coupable présumé de génocide.
Il s'agit aujourd'hui, dans la continuité, de donner aux magistrats les moyens de sanctionner avec justesse les actes de négationnisme à l'encontre des génocides reconnus comme tels par la loi française.
L'article premier de cette proposition de loi ajoute à la loi sur la liberté de la presse, qui contient déjà un article sur la contestation des crimes contre l'humanité créé par la loi Gayssot en 1990, un article 24 ter, qui concerne spécifiquement la contestation des génocides que la France reconnaît aujourd'hui, ou reconnaîtra à l'avenir. C'est une suite logique à notre travail de reconnaissance.
Il appartient de plus au législateur de poursuivre la mise en conformité de la loi avec les engagements politiques pris par notre pays. Ainsi, comme le prévoit cette proposition, « les peines [...] sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé de manière outrancière [...] l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide [...] reconnus comme tels par la loi française ».
Les moyens retenus par les juridictions afin d'évaluer ces contestations seront les mêmes que ceux déjà définis pour l'incitation à la haine et à la violence, la provocation à des actes de terrorisme, l'apologie des crimes de guerre, les atteintes à la vie et l'extorsion, l'utilisation des modes de communication à des fins de provocation à des crimes et délits.
Il est de notre devoir d'enrichir la loi de dispositions protégeant certains groupes ou individus ciblés par des discours ou des actes délibérément haineux, voire criminels. Bien entendu, cette proposition de loi n'a absolument pas vocation à entraver les recherches historiques et les débats sur les périodes les plus sombres de l'histoire, mais à faire la différence entre information et propagande négationniste.