J'ai bien dit : une peur instinctive et profonde.
C'est parce que vous avez affaibli le rôle du Parlement que vous n'osez pas conférer davantage de pouvoir au peuple. Les textes qui nous sont aujourd'hui soumis et qui avaient suscité tant d'espoir ne sont qu'une pâle copie de ce que nous étions en droit d'attendre.
Je ferai trois observations : la première est tirée du droit comparé, la deuxième porte sur la forme et la troisième sur le fond du texte.
Que nous apprend le droit comparé ? Si le référendum d'initiative populaire est une figure ancienne de notre droit constitutionnel, il n'a longtemps rencontré aucun succès. C'est à l'étranger que cette idée se propagera et sera appliquée ; pendant plus de deux siècles, la France, en dépit de quelques tentatives, s'y montrera très réticente. Si le référendum d'initiative populaire n'entre pas dans les habitudes de la pratique démocratique française, force est de reconnaître qu'il a connu ailleurs un incontestable succès. L'étude réalisée en 2002 par le Sénat a permis de comparer les dispositions nationales relatives au référendum d'initiative populaire en Italie, en Suisse, en Belgique et en Californie, États qui accordent une très large place à l'initiative populaire sous toutes ses formes. Le référendum d'initiative populaire y est en effet consultatif ou abrogatif et reconnaît au corps électoral une forme de veto sur certains textes.
En Italie, le référendum d'initiative populaire abrogatif peut être demandé par seulement 500 000 électeurs ou cinq conseils régionaux. En Suisse, pays qui compte huit millions d'habitants et cinq millions d'électeurs, l'initiative peut aboutir si elle recueille dans un délai de dix-huit mois les signatures de 100 000 citoyens actifs. Ce qui frappe dans les exemples que je viens de citer, c'est la simplicité avec laquelle les citoyens peuvent s'emparer d'une question essentielle : simplicité quant au nombre de citoyens susceptibles de signer la pétition et quant aux modalités d'exercice de ce droit de pétition.
Il nous appartient de tenir compte de l'existence de ces pratiques démocratiques pour permettre à la France de s'enrichir d'un nouvel instrument favorable à l'exercice de la citoyenneté. Tel devait être le fondement de la démarche qui aurait dû vous conduire à rédiger un article 11 plus profond et plus efficace. Hélas, le processus que vous nous proposez ne peut satisfaire les exigences démocratiques qui sont les nôtres.
Sur la forme, je me dois de rappeler que cela fait plus de trois ans que nous attendons que le Gouvernement accepte d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée les textes portant application de l'article de l'article 11 de la Constitution dans sa version issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Depuis 2008, le groupe SRC a réclamé avec insistance leur inscription à l'ordre du jour parlementaire. En octobre 2009, Michel Vauzelle a défendu, en séance publique, une proposition de résolution à ce sujet, estimant urgente l'application de l'article 11 de la Constitution et l'extension du référendum. Un an plus tard, notre groupe a soutenu la proposition de loi déposée et défendue par le groupe GDR, qui visait à appliquer le nouveau dispositif constitutionnel.
En retardant sa mise en oeuvre, le Gouvernement s'est clairement épargné l'utilisation qui aurait pu être faite de cette procédure pour lutter contre les réformes qu'il a menées durant cette législature. Je ne citerai que la réforme du statut de La Poste ou la réforme repoussant l'âge légal du départ à la retraite.
Je veux également rappeler les hésitations qui ont été les vôtres et qui n'avaient pour but que de calmer notre impatience. Pour mémoire, je citerai l'intervention de M. Karoutchi, alors ministre des relations avec le Parlement, qui déclarait, le 12 février 2009 : « Quant au projet de loi organique sur le référendum, nous y travaillons. Bien sûr, tous les textes prévus par la révision constitutionnelle seront présentés progressivement au Parlement au cours de l'année 2009. » Le 15 octobre 2009, son successeur, M. de Raincourt, indiquait : « Le Gouvernement tient son engagement. Le projet de loi organique relatif au référendum d'initiative parlementaire et populaire sera déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, comme je l'ai indiqué mardi, avant la fin de l'année 2009. » Le Premier ministre lui-même s'était fait l'écho de la nécessité d'inscrire le plus rapidement possible à l'ordre du jour du conseil des ministres les dispositions relatives à l'article 11. Pour ma part, j'ai personnellement interrogé à différentes reprises le président de la commission des lois – vous en êtes témoin, monsieur Geoffroy – pour connaître la date d'inscription de ces textes à l'ordre du jour de notre commission. Enfin, il nous a fallu attendre un an après l'adoption des deux projets de loi – l'un organique, l'autre ordinaire – en conseil des ministres, le 22 décembre 2010, pour pouvoir les examiner en séance publique.
Vous avez attendu la toute fin de la législature, comme si vous redoutiez que l'initiative populaire vienne sanctionner les errements de votre politique. L'exécutif s'est montré plus empressé de rédiger les textes organisant la nomination du président de France Télécom ou le retour dans leur assemblée des ministres déchus que ceux relatifs au Défenseur des droits, à la responsabilité pénale du chef de l'État ou à l'application de la nouvelle procédure de l'article 11, sujet qui arrive bon dernier dans l'ordre de vos priorités. Encore une fois, force est de constater que vous avez et aurez toujours peur de donner le pouvoir à l'initiative citoyenne.
Sur le fond, l'article 11 dispose notamment qu'« un référendum […] peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales […] ». Il ne s'agit donc nullement d'une initiative populaire, puisque la proposition devra être portée par 185 parlementaires. Qui plus est, ce nombre est si élevé qu'à l'heure actuelle, seuls l'UMP et le PS pourraient envisager d'engager une telle procédure. En outre, celle-ci n'aurait d'autre but que de soutenir une proposition de loi qui serait examinée par les assemblées parlementaires, puisqu'elle ne pourrait être soumise à référendum que si elle n'était pas examinée par l'une ou l'autre des assemblées dans un délai défini par le texte.
La mise en oeuvre du mécanisme que vous nous proposez n'aboutira que très rarement – pour ne pas dire jamais – à l'organisation d'un référendum, dès lors que l'examen du texte par l'une des deux assemblées parlementaires suffira à mettre un terme à la procédure. Il serait donc plus approprié de parler, comme Robert Badinter, d'initiative parlementaire renforcée ou d'initiative à la fois parlementaire et citoyenne ou encore d'initiative parlementaire populaire, en se gardant bien de toute référence au référendum, qui n'est ici qu'un miroir aux alouettes. À vouloir absolument parler de référendum, on court le risque de nourrir la frustration des citoyens à l'encontre des élus.
Pour bien démontrer la volonté qui est la nôtre de faire participer le citoyen à l'acte législatif, nous pourrions convenir – c'est une perche que je tends à la majorité – d'amender le texte en modifiant, par exemple, le nombre de parlementaires requis. Certes, ce nombre est fixé dans la Constitution, mais un cinquième des parlementaires, soit 185, c'est trop. Par ailleurs, la participation des électeurs pourrait n'être exigée qu'à hauteur de 5 % des inscrits, la barre des 4,5 millions étant manifestement trop élevée. Comme l'a indiqué Jean-Jacques Urvoas, au début, il s'agissait de ne retenir que l'une de ces deux conditions : soit un cinquième des parlementaires, soit 10 % des électeurs inscrits. Or, dans l'article 11, ces deux conditions sont cumulatives. Le texte est ainsi cadenassé, restrictif, et rend toute initiative citoyenne velléitaire.
Par ailleurs, le délai relatif à la collecte des pétitions est fixé à trois mois. J'ai évoqué la discussion que nous avons eue lors de la réunion qui s'est tenue au titre de l'article 88 du règlement : ce délai est manifestement trop court. C'est pourquoi nous vous proposerons, lors de la discussion des articles, de le porter à six mois. Je rappelle que, dans sa proposition de loi, notre collègue François de Rugy suggérait qu'il soit fixé à un an, afin de permettre aux citoyens de s'emparer du sujet.
Quant au délai d'examen par les assemblées – un an dans le texte –, nous sommes prêts à le raccourcir. Nous pourrions sans nul doute ramener à dix-huit ou vingt mois la durée de vingt-trois mois à laquelle vous faites référence si, lors de la discussion des amendements, nous réduisions le délai d'examen par les assemblées d'un an à six ou huit mois.
Nous souhaitons vraiment que l'initiative citoyenne puisse se concrétiser ; c'est la raison d'être des amendements que nous avons déposés. Nous voulons concilier le pouvoir donné aux citoyens avec celui qui est le nôtre et qu'il nous est parfois reproché de mal utiliser.
Le renvoi en commission permettra à la majorité et à l'opposition d'élaborer ensemble les conditions d'une meilleure articulation entre les citoyens et les parlementaires. Je suis persuadé que notre démocratie représentative ne peut que gagner à s'adjoindre l'engagement des citoyens qui, trop peu nombreux, croient encore en elle, comme le disait dernièrement Pierre-Henri Prélot dans un article remarquable.
Je terminerai par un reproche, monsieur le ministre. Vous ne parlez que de contrôles et de règles coercitives, ne pensant en fait qu'à une chose : briser à tout prix l'élan populaire, la ferveur citoyenne, car vous redoutez la spontanéité, l'initiative populaire. Pour notre part, sur les bancs de l'opposition, nous voulons une vraie initiative populaire, un vrai référendum. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de renvoyer ce texte en commission afin que nous puissions, ensemble, rediscuter de ses éléments essentiels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)