Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 29 juin 2009 à 21h30
Lutte contre les violences de groupes — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Monsieur le président, madame la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le secrétaire d'État à la justice, monsieur le rapporteur, j'espère que mon intervention donnera le temps à nos collègues de la majorité de rejoindre l'hémicycle. Il est vrai que nous n'avons su que vendredi que l'examen de cette proposition de loi se poursuivrait ce soir, alors que nous avions les uns et les autres déjà pris des engagements.

L'article 1er est au coeur du dispositif de cette proposition de loi. Il contient la difficulté essentielle soulevée par ce texte : la volonté d'instituer une responsabilité pénale collective.

Qu'est ce qu'une responsabilité pénale collective ? Il faut se mettre d'accord sur les termes. Droit pénal général, ouvrage d'Yves Mayaud, publié aux PUF, qui fait référence, en donne la définition suivante : « Une responsabilité qui pèserait sur une personne au titre d'une participation à une infraction commise par plusieurs, mais sans qu'il soit possible de savoir, qui, des participants, a précisément réalisé le fait qui en constitue la matérialité ».

Or il s'agit là exactement ce que permet l'article 1er. Il ne fait en effet aucun doute que ce dernier aboutira au rétablissement d'une véritable responsabilité pénale collective en permettant de juger une personne pour des actes commis par des tiers sans qu'il soit besoin d'établir qu'elle en a été complice.

J'ai bien entendu, lors de notre débat en commission, le rapporteur refuser ce constat au motif que cet article contiendrait un élément intentionnel résidant dans le membre de phrase : « en connaissance de cause ». À nos yeux cela ne constitue en rien une garantie contre une application arbitraire de la loi car la simple lecture de l'article 1er ne permet pas de savoir si cette « connaissance de cause » doit concerner le fait de participer à un groupe dont on sait qu'il poursuit un but violent, ou si elle concerne le fait de participer à un groupe, même si on ignore qu'il poursuit un but violent. Il y a là une ambiguïté sémantique, et de cette ambiguïté d'écriture découle un arbitraire puisque la responsabilité peut varier suivant l'interprétation qu'en donne le juge.

Je répète ce que disait Delphine Batho en défendant une exception d'irrecevabilité sur ce texte – la dernière du genre sous la Ve République, d'ailleurs, puisque, désormais, nous ne pourrons plus déposer cette motion de procédure – : de notre point de vue l'article 1er est clairement en dehors du champ de la Constitution.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 27 juillet 2006, avait imposé « d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines » et « d'éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs de l'infraction ». Or le dispositif de l'article 1er fait l'inverse. Il vise une délinquance dont le véritable sujet est le groupe lui-même, la présence du groupe étant regardée, en fait, comme la cause de l'acte violent.

Parce que l'auteur des violences est le groupe, les membres du groupe sont donc considérés comme violents, même si certains d'entre eux ne se sont pas comportés de façon violente. Voici la seule et unique raison de la disposition dont nous allons parler : puisque l'on ne peut pas identifier le rôle exact de chacun, vous voulez incriminer l'appartenance à un groupe quel qu'ait été le comportement individuel de celui qui en est membre. De cette façon, le rapporteur entend faciliter l'établissement matériel de l'infraction : l'appartenance au groupe.

Du même coup, vous espérez finalement supprimer l'exigence d'établir un élément intentionnel, puisqu'en réalité il ne sera plus que la conséquence évidente de l'élément matériel établi. Là encore, de notre point de vue, une telle démarche est clairement irrecevable sur le terrain constitutionnel. Je veux ainsi citer la décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003 sur la loi de sécurité intérieure. Il avait validé la nouvelle rédaction de l'article 225-12-1 du code pénal parce que celui-ci respectait « le principe selon lequel nul ne peut être sanctionné que de son propre fait » et celui selon lequel « la définition des crimes et délits doit comporter un élément intentionnel »,

Enfin, nous ne pouvons pas ignorer le contexte dans lequel ce dispositif pourrait être mis en oeuvre par l'autorité judiciaire. Ce sera vraisemblablement dans le cadre d'enquête de flagrance et par un juge unique saisi par voie de comparution immédiate. On voit alors poindre le risque de porter atteinte à un autre principe, celui de l'individualisation des peines, également constitutionnalisé par une décision du Conseil constitutionnel du 9 août 2007.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion