L'ensemble de ces éléments et les limites constitutionnelles de l'exercice imposé montrent à quel point cette initiative référendaire a été vidée de son sens, de peur que des mécanismes de démocratie directe conduisent à des solutions contraires aux décisions du pouvoir législatif. Ces réticences sont symptomatiques d'un corps politique qui craint de se voir confisquer une partie de son pouvoir.
Il existe des exemples réussis en la matière. Je pense, bien évidemment, au succès du référendum de mai 2005 qui a soumis au débat le traité constitutionnel européen. Ce fut effectivement un succès, non seulement en raison de son résultat, mais surtout du fait des débats de fond qu'il a suscité. C'est justement leur réappropriation hors des canaux classiques et institutionnels qui en a fait la richesse.
Le référendum de 2005 représente la parfaite reprise en main citoyenne du débat politique dans ce qu'elle a de plus noble. Au-delà du résultat, c'est en effet l'incroyable mobilisation des Français, militants ou non, syndicalistes, responsables associatifs, élus, jeunes et moins jeunes, qui doit être retenue. Ils ont manifesté leur volonté de se donner les moyens d'étudier, d'analyser un projet qui ne leur convenait pas, tout en envisageant et esquissant les grandes lignes d'un autre programme que vos prédécesseurs ont balayé, avec mépris, d'un revers de main. On en paie clairement, aujourd'hui, les pots cassés tant au niveau de la forme, avec la dépossession des citoyens du débat politique, qu'au niveau du fond, avec une crise financière qui est très clairement liée à cette construction européenne. Dérouté, le corps politique dans sa quasi-intégralité a choisi de passer outre, en passant par une validation parlementaire, majoritairement acquise à la cause.
À quelques mois d'échéances politiques majeures, dans un contexte économique et financier très troublé, de taux d'abstention croissants, de défiance des citoyens vis-à-vis des responsables politiques et, plus généralement, de la chose politique, le corps politique, une fois encore, se révèle incapable de transformer le succès d'une mobilisation citoyenne institutionnelle en action politique majeure et souveraine. Pourtant, il suffit de voir aujourd'hui le succès des livres et réunions publiques traitant de la question économique – dette publique, crise financière et autres termes techniques n'ont plus de secret pour nombre de Français – pour comprendre que les citoyens veulent être de la partie.
À nous, législateur, de nous saisir de ces mobilisations en leur offrant un cadre institutionnel constructif et proactif ! Si l'élection reste l'un des fondements de la démocratie, la participation citoyenne ne doit pas se réduire à l'unique acte de vote, bien au contraire. Participer à la vie de la cité, s'engager au quotidien, manifester, faire grève, pétitionner, agir directement et dans le respect d'autrui, cela relève aussi, en-dehors et au cours des temps électoraux, de la participation politique qu'il conviendrait de respecter en tant que telle, tout à la fois intervention publique et miroir de la vivacité de notre société.
Nombre de débats de société pourraient ainsi prendre forme et sortir des cadres d'experts et des logiques de lobbying : les retraites, la privatisation de la Poste, la sortie du nucléaire sont autant de questions essentielles qui, si elles étaient traitées et investies par le plus grand nombre, permettraient une réconciliation évidente des Français avec leurs institutions et enrichiraient nos discussions parlementaires.
Tout préalable à une réforme de la Constitution aurait dû passer par l'introduction d'une citoyenneté active et responsable, décidément inconciliable avec la Ve République dans sa forme actuelle. Lors du débat institutionnel de 2008, j'étais revenu sur l'importance de garantir, par des moyens d'actions efficaces et réels, que « vivre ensemble » résonne pour tous de la même façon. Depuis 2008, notre groupe n'a eu de cesse de défendre les principes d'une autre république, où le pouvoir du Parlement, comme le pouvoir des citoyens, serait réel, où la démocratie serait insufflée à tous les échelons de l'État et du débat politique et où le pluralisme assurerait la vitalité de notre vie politique. Or ces principes n'ont eu aucune traduction, ni avec ce principe de ce référendum d'initiative partagée, ni avec les lois précédentes.
Ce texte aurait pu concevoir le référendum tel un contre-pouvoir salutaire, stimulant, actif et productif, où le citoyen aurait toute sa place. Bien évidemment, il n'en a pas été ainsi.
Cette proposition a, de plus, l'inconvénient d'inscrire dans le marbre constitutionnel un droit inapplicable sauf à le modifier dans notre débat – je doute qu'il en aille ainsi – en le transformant en un référendum d'initiative populaire qui, seul, a sa place dans une démocratie digne de ce nom.
Dans l'état actuel, nous voterons contre ce texte-alibi qui se fonde sur une vision archaïque de notre démocratie et de ses institutions politiques et, surtout, qui prend les citoyens pour ce qu'ils ne sont pas : des imbéciles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)