Après ce premier constat général, nous avons souhaité évaluer nos résultats au regard d'un objectif central des politiques sociales, aujourd'hui pleinement reconnu comme tel par les institutions communautaires – il constitue l'un des objectifs phares de la nouvelle stratégie européenne intitulée « Europe 2020 » – : la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Le 17 juin 2010, le Conseil européen a adopté cette nouvelle stratégie pour l'emploi et une croissance intelligente, durable et inclusive, et fait de la réduction de 25 % du nombre de personnes vivant en situation de pauvreté, soit 20 millions de personnes, un des cinq grands objectifs de l'Union européenne.
Outre l'indicateur habituel de pauvreté monétaire à 60 % du revenu médian, l'Union européenne considère également la pauvreté en conditions de vie – dite, dans le langage communautaire, « privation matérielle sévère » – et les ménages dans lesquels personne ne travaille – dits « à faible intensité de travail ».
L'analyse des indicateurs français et européens montre une tendance à l'aggravation des inégalités et de l'exclusion en France. Alors que le taux de pauvreté relatif au seuil de 60 % du revenu médian s'établit à 13,5 % selon l'Insee en 2009, l'indicateur européen, plus complet, révèle que la France n'est qu'à la neuvième place du classement européen, avec 18,4 % des Français concernés par le risque de pauvreté ou d'exclusion.
Le 23 mars 2011, à l'occasion de la remise de son rapport annuel, le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, avait évoqué « entre 12 et 15 millions de personnes qui seraient actuellement concernées par le sentiment de précarité, c'est-à-dire dont les fins de mois se joueraient à 50 ou 150 euros près ». Selon une enquête Ipsos, 45 % des 35-44 ans disent avoir déjà vécu une situation de précarité, soit une augmentation de 16 points entre 2008 et 2009.
D'après les associations actives dans la lutte contre la pauvreté que nous avons entendues, les publics les plus vulnérables sont aujourd'hui les jeunes, les familles monoparentales, les familles nombreuses et les personnes immigrées. La situation s'aggrave à cause de la crise, mais aussi en raison de la complexité toujours croissante des démarches administratives pour percevoir certains minima sociaux.
Ces associations rejoignent le constat formulé par les économistes de l'OCDE : l'accès à l'emploi est une condition nécessaire, même si elle n'est pas suffisante, pour sortir durablement de la pauvreté. Mais il faut aussi accéder à un emploi de qualité : il convient en effet de ne pas oublier le phénomène des travailleurs pauvres, qui retient aujourd'hui toute l'attention des institutions européennes et des autorités allemandes, et pour lequel le revenu de solidarité active (RSA) a été institué.
C'est pourquoi nous avons décidé de consacrer des développements plus substantiels de notre rapport aux politiques de l'emploi en Europe, à celles visant une meilleure conciliation entre travail et vie familiale, ainsi qu'à la situation particulière des familles monoparentales.
À l'issue de ces considérations transversales sur la performance des politiques sociales, nous proposons plusieurs mesures pour améliorer le pilotage et l'évaluation de ces politiques au regard des pratiques observées dans les autres pays européens.
Nous suggérons ainsi d'organiser chaque année un débat au Parlement sur l'efficacité des politiques sociales, qui porterait par exemple sur des thèmes correspondant à certains des objectifs des programmes de qualité et d'efficience (PQE), annexés aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, et dont le choix serait partagé entre la majorité et l'opposition.
Nous proposons aussi de développer le recours à l'expérimentation dans le champ social, en définissant un programme pluriannuel d'expérimentations. Ce programme pourrait être soumis pour avis à la Commission des affaires sociales. Des débats pourraient également être organisés régulièrement en séance publique à l'Assemblée nationale sur les résultats des expérimentations.
Plus généralement, nous recommandons d'améliorer l'évaluation des politiques sociales et d'en tirer tous les enseignements pour une conduite pragmatique des réformes dans la durée, fondée sur une démarche d'amélioration continue des dispositifs.
Il faudrait également renforcer l'évaluation des politiques locales et favoriser les échanges de bonnes pratiques, par exemple par la mise en place d'un tableau de bord commun de comparaison de l'action sociale décentralisée et par celle d'un fonds de « recherche et développement » des politiques sociales locales financé conjointement par l'État et les collectivités territoriales.
Le rapport propose également de s'appuyer sur les outils de 1' « Europe sociale », encore trop souvent négligée.
À l'occasion des négociations sur les perspectives budgétaires de l'Union européenne pour 2014-2020, il nous paraît indispensable de redéployer le Fonds social européen en fonction de l'objectif européen consistant à sortir 20 millions d'Européens de la pauvreté et de l'exclusion d'ici à 2020. À une échelle très opérationnelle et pragmatique, il faut absolument faciliter en France l'accès des associations innovantes dans le domaine social à ces financements.
De manière plus ciblée, il est également essentiel de conserver un programme européen d'aide alimentaire aux plus démunis après 2014, dans le cadre des engagements de l'Union européenne exprimés dans la stratégie « Europe 2020 ».