C'est à bon droit que vous m'interrogez sur l'implication des bailleurs sociaux, le protocole qui nous lie au CEC prévoyant que les travaux de la Cour ne se limiteraient pas au seul hébergement d'urgence, mais s'étendraient à toutes les formes d'hébergement et aux modalités d'accès à un logement adapté, prenant appui notamment sur l'accompagnement individualisé vers un logement plus pérenne. Dans ce cadre, nous avons constaté que les moyens consacrés au développement du parc de logements très sociaux ont connu une forte progression depuis le plan de cohésion sociale de 2005, notamment en 2009, année au cours de laquelle 20 000 logements très sociaux ont été financés, contre 6 000 par an en moyenne entre 2002 et 2005.
Il est vrai que la programmation des crédits n'a que progressivement pris en compte la carte des besoins. Ce n'est que tout récemment que les financements ont commencé à être recentrés au bénéfice des zones tendues, notamment de l'Île-de-France. Ainsi, la part de la zone A, c'est-à-dire les zones très tendues, qui comptait 19 % du nombre total des logements financés en 2005, s'est progressivement élevée à 27 % en 2009 et 36 % en 2010. Les bailleurs sociaux sont évidemment mobilisés pour la construction de logements très sociaux là où la demande se concentre. La Cour souligne que les loyers de ces logements, particulièrement en Île-de-France, restent néanmoins trop élevés pour une partie des ménages en situation de précarité, contraints de ce fait de chercher à se loger dans le parc privé.
L'enquête de la Cour auprès des services déconcentrés montre que les bailleurs sociaux sont associés au fonctionnement de ces nouveaux dispositifs mis en place par la politique de refondation. Ils participent en particulier aux comités de suivi des services intégrés d'accueil et d'orientation, et des plans départementaux d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Ils sont membres des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions. Toutefois, nous n'avons pas procédé à un contrôle de l'action des bailleurs sociaux, qui ne relevait pas du périmètre de notre enquête.
Quant au juge civil, ce magistrat exerce ses pouvoirs de façon indépendante dans le cadre de la législation en vigueur. Les expulsions n'interviennent qu'au terme d'un processus construit précisément pour en prévenir, quand c'est possible, la conclusion. C'est ce qui explique la mobilisation des bailleurs en amont, les enquêtes sociales impliquant l'État, le recours au juge, la décision finale du préfet. L'analyse de ce processus confirme avant tout la nécessité de faire porter l'effort de prévention le plus en amont possible de la phase contentieuse. L'augmentation du nombre des impayés de loyers est effectivement inquiétante. Dans un contexte de crise économique, le phénomène doit être mieux suivi et analysé sur le plan statistique. L'estimation qui en est faite tous les six ans par l'enquête logement de l'Insee n'est pas suffisante, c'est évident. Les travaux engagés avec la Cnaf ainsi que la proposition faite par la DHUP aux ministères de l'intérieur et de la justice de fiabiliser la collecte des statistiques sur le contentieux locatif doivent se concrétiser rapidement.
Compte tenu de ces incertitudes, un doute subsiste quant à l'efficacité réelle des mesures de prévention et à leur capacité à faire face à l'augmentation des impayés. On peut être surpris, voire choqué, que, dans ce contexte, n'aient pas été rassemblées des données fiables sur les coûts comparés des mesures de maintien dans le logement et de la prise en charge par une structure d'hébergement. Au-delà du drame que représente la privation du logement par l'expulsion, il est probable que, dans certains cas, le coût du maintien est inférieur à celui des mesures, notamment d'hébergement, qu'elle entraîne. Même s'il ne saurait être question de ne pas veiller au respect des droits du bailleur, cette analyse en termes d'efficience nous apparaît absolument nécessaire.
Dans cet esprit, la question des impayés ne peut être déconnectée de celle de l'augmentation des loyers et de la solvabilité des ménages les plus modestes, dont le taux d'effort pour accéder à un logement, et s'y maintenir, est de plus en plus important. Il est nécessaire que les expérimentations prévues par la stratégie de refondation visant à recourir à l'intermédiation locative pour prévenir les expulsions soient plus largement conduites sur le terrain, puis évaluées par les services. Les réponses des services montrent d'ailleurs que des mécanismes de coordination avaient parfois été mis en place depuis plusieurs années. Les résultats des études qui viennent d'être engagées par l'Agence nationale pour l'information sur le logement et le Conseil général de l'environnement et du développement durable devront clarifier le rôle des commissions qui ont été mises en place et dégager des pistes d'amélioration.
Vous souhaitez savoir par ailleurs si la recommandation consistant à écourter le délai de traitement est de nature à répondre, dans son ensemble, au constat fait par la Cour que la stratégie de refondation a ignoré la question spécifique de l'hébergement des déboutés du droit d'asile et, plus largement, des personnes étrangères en situation irrégulière. Il serait totalement imprudent d'assurer que cette seule mesure peut répondre, dans son ensemble, à un problème d'une rare complexité qui nous est, soulignons-le, commun avec nos principaux voisins européens. C'est cependant, à n'en pas douter, un facteur essentiel de réponse : le dispositif actuel de l'asile est conçu et calibré pour accueillir 35 000 demandeurs par an avec un délai de traitement d'environ neuf mois. Or le flux actuel est de plus de 50 000 demandeurs par an et le délai de traitement moyen est de 19 mois. L'hébergement généraliste subit directement l'impact de cette saturation en accueillant à la fois les demandeurs ne trouvant pas de place en centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les Cada, et les déboutés du droit d'asile qui ne quittent pas le territoire français. Le délai de traitement a un double effet : d'une part, il augmente mécaniquement le nombre de demandeurs d'asile qui doivent être logés et, d'autre part, il constitue un facteur d'enracinement qui rend plus difficile le départ pour la majorité des demandeurs finalement déboutés – 75 % d'entre eux. Du fait de l'inconditionnalité de l'hébergement, la circulaire du 24 mai 2011 se contente d'organiser les flux vers les centres d'hébergement de droit commun sans aborder le devenir des populations concernées. Compte tenu de leur situation, ces personnes déboutées du droit d'asile, et donc en situation irrégulière, restent fixées, souvent pendant plusieurs années, dans les dispositifs d'hébergement d'urgence et demeurent logés notamment dans des chambres d'hôtel.