Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intitulé du projet de loi n° 3858 est sans ambiguïté : il porte sur la réforme des ports d'outre-mer relevant de l'État. Le tocsin a bien sonné : c'est la fin de la concession accordée en 1953 pour une durée initiale de cinquante ans à la chambre de commerce et d'industrie de la Martinique. La compagnie consulaire voit ainsi son rôle réduit à la portion congrue. La voilà remerciée sans dommages et intérêts en dépit des loyaux services rendus.
Tout n'était pas parfait certes, mais c'est bien elle qui a assumé la gestion, la modernisation, la conteneurisation et l'agrandissement des structures d'accueil. C'est aussi elle, et personne d'autre, qui a préparé le projet de transbordement pour tenter de capter une partie du flux de marchandises après les travaux d'élargissement du canal de Panama.
Elle a de quoi être sonnée, la chambre de commerce ! Qui ne l'aurait pas été à sa place ?
Devant une telle situation, sonnent creux ceux qui font diversion en jouant subitement à l'ingénu ou au matamore. Le constat est là, sans appel : l'État reprend la main dans tous les rouages de la direction, laissant à tous les autres partenaires le poste honorable de figurant donneur d'avis.
En commission du développement durable et de l'aménagement du territoire du mercredi 7 décembre 2011, le rapporteur l'a martelé à maintes et maintes reprises à ceux qui ne voulaient pas se rendre à l'évidence : « S'il est souhaitable d'associer les collectivités à l'exercice des prérogatives de l'État, il ne faut pas aller jusqu'à associer l'État à l'exercice de ses prérogatives par les collectivités. » « Nous parlons de ports d'État, non de ports décentralisés ». « L'État doit avoir la main sur ses ports. » « Le conseil de développement est organisé par le préfet et non par le président de région en concertation avec l'État. » « Quitte à me répéter, ce texte est une adaptation du droit commun à l'outre-mer et non une loi de décentralisation. »
C'est clair : c'est l'État qui réglemente, légifère, contrôle, assume la tutelle, assure la police maritime, mais on fait semblant de l'ignorer !
C'est l'État qui est actionnaire à 100 % dans les grands ports maritimes, ce qui implique naturellement qu'il récupère les dividendes en cas d'excédents. La loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire précise en effet dans l'article L.103-1, alinéa 4, du code des ports maritimes que « le grand port maritime conclut un contrat pluriannuel avec l'État et, le cas échéant, avec les collectivités territoriales intéressées ou leurs groupements » et que « ce contrat porte également sur la politique de dividendes versés à l'État ».
À notre connaissance, dans aucun grand port maritime, aucun contrat de ce genre n'a encore été conclu. Néanmoins, des dividendes sont versés : le grand port du Havre, par exemple, verse actuellement à l'État près de 35 % au titre du résultat net comptable.
Puisque l'objectif est le développement de la Martinique à travers les activités portuaires, ne faudrait-il pas envisager le réinvestissement sur place des dividendes attendus ? Car nous n'avons pas seulement besoin d'un « port-import »…
Qui plus est, deux problèmes restent en suspens.
Premièrement, la manutention n'est pas réglée, pas unifiée. Les portiqueurs dépendent de la chambre de commerce et d'industrie de la Martinique, dont le rôle est amoindri. Les dockers, eux, dépendent du groupe des employeurs de main-d'oeuvre.
Deuxièmement, n'est pas réglé financièrement le transfert du personnel d'État de la direction de l'équipement, de l'aménagement et du logement opérant sur le port.
Pour conclure, voici ce que j'ai lu à la page 28 de l'étude d'impact : « A noter également qu'aucun des élus des exécutifs actuels des collectivités mentionnées n'a demandé un transfert des infrastructures portuaires au profit d'une collectivité ou d'un groupement. Au vu de l'ensemble de ces éléments il a été décidé de confier la gestion des ports outre-mer à des établissements publics de l'État. »
Or l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales dispose que les ports non autonomes relevant de l'État sont transférés au plus tard le 1er janvier 2007 aux collectivités territoriales ou à leurs groupements : toute collectivité territoriale ou groupement de collectivités territoriales peut demander, jusqu'au 1er janvier 2006, à exercer les compétences prévues par la loi.
À l'époque, en tant que président du conseil régional de Martinique, j'avais formulé une demande de transfert du port de Fort-de-France dans le patrimoine régional comme le prévoyait la loi. Le conseil régional avait délibéré à l'unanimité de ses membres. Ceux qui déplorent aujourd'hui la reprise en main de l'État sont ceux-là mêmes qui s'étaient déplacés vers Paris pour plaider pour le non-transfert ! Le décret n° 2006-330 pris le 20 mars 2006 n'a pas prévu le transfert du port de Fort-de-France. Puisqu'il en est ainsi, nous devons d'abord nous en prendre à nous-mêmes. On ne peut réclamer le droit commun, tout le droit commun, rien que le droit commun, et puis, par la bande, demander des dérogations.
En tout cas, au moment où l'on recommande de se centrer sur le développement endogène, de s'intégrer dans la Caraïbe, quel outil mieux que le port, sans oublier l'aéroport, pourrait remplir cette double mission précieuse et prometteuse, avec des gens compétents, connaisseurs du milieu, connaisseurs de la zone, qui ont fait leur preuve ou qui sont prêts à relever le défi ? Pawol an bouch pa chaj : sé konsyans, sé lonnè, sé respé, sé travay ki met.