La prévention n'est pas seulement un problème de santé, mais un tout où l'accès à l'eau potable, l'assainissement, l'emploi et une alimentation saine comptent beaucoup plus. D'où la nécessité d'une approche médico-sociale.
Beaucoup de plans de prévention sont élaborés : la plupart atteignent partiellement leurs objectifs, mais beaucoup y échouent faute de s'adresser de manière adéquate aux populations qu'on cherche à toucher. En effet, si la prévention n'est pas qu'une affaire de santé, elle n'est pas qu'une affaire de médecins !
Les centres d'examen de santé de la sécurité sociale se sont opportunément reconvertis. Au lieu d'une prévention menée dans toutes les directions avec des bilans de santé tels qu'on les a connus dans les années 1970 – dont on s'est aperçu qu'ils étaient peu rentables quand on ne visait pas une population précise –, ils ont accordé la priorité aux publics précaires, que nous ne voyons pas beaucoup dans nos cabinets et qui ne sont pas culturellement enclins aux démarches de prévention. Encore faut-il évaluer le rapport coût-efficacité de cette nouvelle approche et apporter, au besoin, les mesures correctrices propres à l'améliorer.
S'agissant de la santé au travail, dans un éditorial qui m'a été confié il y a un mois pour la revue de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé sur la relation entre le médecin du travail et le généraliste, j'ai rappelé que nous connaissions mal les risques professionnels : si l'on me demandait par exemple la liste de mes patients qui ont été exposés à l'amiante, je serais en peine de la fournir… Nous défendons l'idée d'un document médical de synthèse annuel, élaboré à partir des données dont nous disposons sur chaque patient – y compris en matière de prévention. Nous souhaiterions dans le même esprit que les médecins du travail nous fournissent un document comparable sur les risques au travail, qui viendrait nourrir l'historique du patient. Ce serait particulièrement précieux une fois celui-ci à la retraite car c'est alors que certains risques se concrétisent – je pense en particulier à l'exposition à l'amiante. Nous sommes donc favorables à des relations avec le médecin du travail allant au-delà des contacts que nous pouvons avoir à propos d'une reprise du travail ou d'un aménagement de poste.
Quant à la médecine scolaire, elle a quasiment disparu. La prévention pour les enfants s'arrête à trois ans, quand est réalisé le dernier bilan de la protection maternelle et infantile. Nous disposons néanmoins d'éléments grâce au carnet de santé et aux informations des parents, mais nous souhaiterions avoir des relations plus étroites avec les médecins scolaires, lorsqu'ils détectent quelque chose, ainsi qu'avec la protection maternelle et infantile.
Les plans de prévention nationaux souffrent d'un manque d'articulation avec la médecine générale. Et si, dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, vous avez fort opportunément rappelé – notre organisation n'y est d'ailleurs pas étrangère – que le médecin de premier recours est notamment chargé du soin, de la prévention, du dépistage et de l'éducation thérapeutique, aucun décret d'application n'a été publié : nous élaborons les mesures d'application à mesure que les occasions s'en présentent.
Une de ces occasions nous a été fournie par la convention médicale, qui a été négociée longuement sur ce point. Nous avons souhaité qu'elle soit déclinée en trois volets, consacrés respectivement au médecin traitant, au médecin correspondant et au médecin de plateau technique lourd, et, dans le premier volet, nous avons introduit des objectifs de santé publique. Le contrat d'amélioration des pratiques individuelles avait un défaut à nos yeux : celui d'être un contrat individuel, sans aucune dimension collective. Nous manquons de modes d'organisation systématiques, y compris en matière de production de données, d'évaluation et d'ajustement des mesures prises. Il convient de voir comment mieux articuler les actions des professionnels de santé de proximité, dans leur ensemble car on ne saurait s'en tenir au seul médecin.
Je rappelle que si les pharmaciens voient 100 % et les médecins généralistes 95 % de la population chaque année, les infirmières n'en voient que 8 %. Par conséquent, penser qu'on peut mener par leur intermédiaire une action de prévention touchant la population générale est une vue bien théorique. Elle ne m'inspire pas d'objection de principe, les infirmières ayant un rôle indéniable en matière de vaccination, mais il faut mettre davantage l'accent sur l'équipe de soins de proximité, dont le modèle est constitué par les maisons de santé. Toutefois, comme celles-ci ne regrouperont à terme que 5 % à 10 % des médecins, il convient d'aller plus loin en développant des équipes de soins de premier recours. La création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires a été utile à cet égard.