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Intervention de Martine Aurillac

Réunion du 7 décembre 2011 à 11h10
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Aurillac, rapporteure :

Le projet de loi qui nous est soumis vise à autoriser l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, signé le 30 juin 2011 à Panama. Cette convention tend, d'une part, à éliminer les doubles impositions, d'autre part, à mettre en oeuvre une procédure d'échange de renseignements à caractère fiscaux avec Panama.

Panama est entré dans une profonde mutation économique avec un nouveau projet de développement et un nouveau modèle de croissance. Ce modèle fonctionne et place Panama en tête des pays de la région en termes de taux de croissance, en faisant désormais un pays quasiment émergent. La croissance pour 2010 est de 6,9 %. Les investissements directs étrangers devraient continuer à progresser au vu de la croissance et de la montée en puissance des grands projets d'infrastructures, qui devraient donner lieu à 13,6 milliards de dollars d'investissements publics sur la période 2010-2014.

Les relations entre la France et Panama, forgées dans l'histoire, avec le rêve de canal de Ferdinand de Lesseps, se sont renforcées ces dernières années et ont été couronnées par la visite en France du Président Ricardo Martinelli en France le 17 novembre dernier. Si les flux économiques demeurent modestes, il existe au Panama environ vingt-cinq filiales et succursales de groupes français dont les investissements s'élèvent à quelques 800 millions d'euros et dont certaines ont obtenu ou sont bien positionnées pour des grands contrats. Je citerai Alstom, GDF-Suez, Bouygues et Degrémont. Il s'agit notamment des marchés électriques, de l'élargissement du canal, du traitement des eaux et de la construction de grands bâtiments.

Ce nouveau modèle de croissance implique une ouverture à l'économie mondiale et la conformité à ses règles, y compris en matière fiscale. Historiquement un paradis fiscal non coopératif, Panama a pris le virage de la coopération internationale. Depuis sa prise de fonction en juillet 2009, le nouveau gouvernement panaméen a affiché cette volonté et l'a traduite par un processus de réformes substantielles, ce qui tranche avec la situation que nous avons connue en 2000.

Panama a été examiné en 2010 dans le cadre de la procédure d'évaluation du Forum de l'OCDE. Cet examen portait sur la phase 1, c'est-à-dire l'évaluation des dispositifs législatifs et réglementaires, pour déterminer s'ils permettent une mise en oeuvre des principes de l'OCDE. Le Forum, dans son rapport de septembre 2010, a relevé certaines carences relatives, d'une part, à une large utilisation des titres au porteur et, d'autre part, aux sociétés qui sont constituées au Panama mais n'y réalisent pas d'opérations. Ces sociétés offshore ne paient pas d'impôt à Panama et ne sont soumises à aucune obligation comptable. La disponibilité des renseignements sur les fondations ne semblait à l'époque pas non plus totalement assurée et la capacité à échanger des informations était limitée.

Le rapport du Forum de l'OCDE remis à l'occasion du G20 de Cannes le 4 novembre dernier, classe donc Panama parmi les onze juridictions qui ne sont pas en mesure de passer à la phase 2 de l'évaluation, mais tous les changements de sa législation n'ont pas été pris en compte dans l'attente de la commission du Forum qui devrait se réunir début 2012. Car Panama a apporté des modifications substantielles à sa législation.

En particulier, il a pris en juin 2010 une loi dont l'objet est de lever l'impossibilité de transmettre des renseignements qui ne sont pas utiles pour l'application de sa propre loi fiscale et la loi « Connais ton client » a été modifiée en février 2011 pour assurer la disponibilité des informations relatives à l'identité des propriétaires et des bénéficiaires des sociétés offshore. Par ailleurs, Panama a signé une convention d'échanges d'informations avec douze partenaires : les Etats-Unis, l'Espagne, le Mexique, la Corée du Sud, le Portugal, les Pays-Bas, Singapour, la Barbade, le Luxembourg, le Qatar, l'Italie et la France. C'est d'ailleurs ce critère qui a permis à Panama de sortir de la liste grise en juillet dernier.

Quelques obstacles à l'échange d'informations demeurent toutefois. Des modifications sont encore nécessaires concernant les obligations comptables des sociétés offshore et les actions au porteur, mais un groupe de travail est en place. Toutefois les effets d'une décision négative de l'OCDE, sur la réputation du pays mais aussi sur les prêts accordés par certaines institutions internationales, constituent en soi un sérieux stimulant et les travaux sont en cours pour mener ces réformes rapidement.

Il convient de souligner enfin que Panama dispose de capacités pour mettre en oeuvre l'échange de renseignements : il existe une Superintendance bancaire efficace, aux pouvoirs de régulation et de recommandation, et l'administration fiscale a mis en place en son sein une nouvelle cellule spéciale chargée de l'application des accords fiscaux bilatéraux et de procéder aux contrôles découlant des saisines des administrations fiscales étrangères. Le Panama affiche d'ailleurs des progrès concrets et sensibles avec d'autres pays : un programme de formation de l'administration fiscale a été engagé avec l'Espagne et les premières réponses à des demandes de coopération et de transmission de données bancaires ont été apportées à plusieurs reprises par le Panama au Mexique, à l'Espagne, à la Barbade et aux Etats-Unis.

Concernant la convention avec notre pays, des contacts ont été établis dès 2009, la France proposant aux autorités panaméennes de conclure un accord d'échange de renseignements fiscaux. Cette proposition a été refusée par les Panaméens qui ont préféré négocier une convention fiscale complète, permettant d'éliminer les sources de double imposition pour les particuliers et les entreprises opérant sur les territoires des deux Etats. La rédaction de la convention n'a nécessité qu'un seul tour de négociations en mai 2010. La signature en a cependant été repoussée après l'évaluation négative du Forum de l'OCDE, le temps que les autorités panaméennes adoptent les mesures nécessaires à garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration à y accéder et à les transmettre. La convention a ensuite été signée le 30 juin 2011 à Panama.

Par note verbale en date du 21 octobre 2011, les autorités panaméennes ont notifié à la France l'achèvement de leurs procédures internes nécessaires à l'entrée en vigueur de la convention. Celle-ci entrera donc en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception par Panama de la notification française. Mais au-delà de la question de l'entrée en vigueur de ses dispositions, c'est l'existence même d'une convention ratifiée qui est requise au 1er janvier 2012 – raison pour laquelle nous examinons le projet de loi dans une relative urgence – afin que Panama puisse être retiré de la liste des Etats et territoires non coopératifs prévue par l'article 238-0 A du code général des impôts. Cet article, introduit en troisième loi de finances rectificative pour 2009 crée une liste française mise à jour au 1er janvier de chaque année qui déclenche l'application de sanctions fiscales : majoration des retenues à la source, non-application des dispositifs de faveur, non-déductibilité des versements, application facilitée des mécanismes anti-abus etc. Aujourd'hui Panama figure sur cette liste et les flux en lien avec ce pays ont donc été fortement pénalisés cette année.

Or, la bonne volonté de Panama est je crois démontrée, le processus de réformes semble bien engagé et une coopération efficace est envisageable. D'ailleurs, si un simple accord d'échange de renseignements avait été négocié, il aurait probablement été conclu très rapidement et Panama n'aurait même pas figuré sur notre liste de 2011. En tout état de cause, il ne serait pas justifié de faire preuve de plus de réticences à l'égard de cet Etat qu'à l'égard d'autres que le Forum d'évaluation de l'OCDE appelle aussi à poursuivre l'aménagement de leur législation et avec lesquels nous avons conclu des accords.

J'en viens aux dispositions de la convention. Inspirée du modèle de l'OCDE, elle a fait l'objet de notre part d'une grande vigilance. Composée de 29 articles et d'un Protocole de 6 points, elle détermine d'abord la répartition du droit d'imposition et fixe un mécanisme d'élimination des doubles impositions lorsque ce droit n'est pas attribué exclusivement à une partie. Elle porte seulement sur les impôts sur le revenu, Panama ne disposant pas d'impôts sur la fortune. La convention a été négociée sur la base de la proposition française et validée, comme je l'ai dit, à l'issue d'un seul tour de négociation. C'est ce qui explique que son contenu reflète les intérêts de la France.

Panama ne bénéficiera quasiment pas des dérogations au modèle de convention de l'OCDE généralement accordées par la France aux Etats non membres de l'organisation. Ainsi une durée de 12 mois est requise pour pouvoir considérer qu'il existe un établissement stable dans le domaine de la construction et, concernant les services, il n'a été inséré ni concept d'établissement stable, ni article spécifique permettant l'application systématique de retenues à la source. S'agissant des revenus passifs, les intérêts sont soumis à une retenue à la source de 5 % avec de larges exonérations. Par ailleurs, les dividendes sont passibles d'une retenue à la source de 5 % pour les participations supérieures à 10 % et de 15 % dans les autres cas, étant précisé que - compte tenu du droit interne panaméen - les dividendes versés à des résidents de France ne seront pas taxés à plus de 10 %. Seule concession classiquement accordée, les redevances seront soumises à une retenue à la source, mais de 5 % seulement, et la France a obtenu que, s'agissant du droit de distribution de logiciels, seuls les paiements incluant le droit de reproduction soient considérés comme des redevances.

En revanche, les demandes françaises de traiter certains cas particuliers de notre législation, et surtout d'insérer de nombreuses clauses anti-abus ou tendant à protéger notre droit d'imposer ont toutes été satisfaites. Ainsi :

– ne sont pas rattachés à un établissement stable des revenus qui n'y sont pas directement rattachables ;

– les actions au porteur sont exclues des taux réduits sur les dividendes ;

– les sociétés de personnes françaises sont considérées comme des résidents de France et le régime fiscal spécifique des sociétés d'investissement immobilier cotées est pris en compte ;

– le bénéfice de la convention n'est pas applicable lorsque la conduite des opérations a pour objectif principal ou parmi ses objectifs principaux l'obtention des avantages. Il est également limité si le bénéficiaire n'est pas le bénéficiaire effectif et conditionné à la présentation d'une attestation de résidence. Ceci permet de lutter contre les montages tendant à éluder l'impôt ;

– les doubles exonérations sont évitées en tenant compte de l'imposition effective à Panama pour le bénéfice du crédit d'impôt et le renoncement au droit d'imposer ;

– enfin, aucun article ne s'oppose à l'application des dispositifs français de lutte contre l'évasion fiscale.

Concernant la procédure d'échange de renseignements, elle est calquée sur celle de l'article 26 du modèle de convention de l'OCDE, qui a été maintes fois présenté en commission. Le 3 de l'article 24 de la convention comporte un ajout avec un premier alinéa stipulant : « Chaque Etat contractant doit prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ces renseignements et à les transmettre à son homologue. ».

Le point 6 du Protocole apporte de nombreuses précisions, toutes conformes aux clauses d'interprétation de l'OCDE. Il énonce :

– que l'article ne crée aucune obligation d'échanger spontanément ou automatiquement des informations ;

– que les sources habituelles de renseignements disponibles dans l'Etat requérant doivent avoir été utilisées ;

– que la mention de renseignements « vraisemblablement pertinents » a pour but d'assurer un échange le plus large possible sans permettre de demander des informations qui ne sont pas pertinentes ;

– que l'Etat demandeur doit transmettre l'identité, la période, une description des renseignements recherchés, le but fiscal et, dans la mesure où ils sont connus, les noms et adresses des personnes supposées en possession des renseignements demandés, ainsi que tout élément susceptible de faciliter la recherche ;

– que, en revanche, les règles de procédures administratives s'appliquent sans que leur application puisse entraver ou retarder indûment les échanges d'information et que les règles doivent être interprétées de manière libérale afin de ne pas constituer une entrave à un échange de renseignements effectif ;

– enfin, que l'échange relatif à la propriété, aux actifs et aux données bancaires s'applique aux entités « offshore ».

Pour conclure, la ratification de la convention permettra à nos entreprises – car c'est au fond l'enjeu – de ne pas subir une fiscalité excessive, du fait de la sortie de la liste noire de Panama au 1er janvier 2012 et de l'application des clauses d'élimination des doubles impositions. Le fort potentiel de croissance de Panama l'a conduit à engager des réformes majeures qui justifient cette ratification. Naturellement, la réalité des efforts de conformité effective aux engagements continuera d'être analysée et vérifiée, notamment par l'OCDE et par notre administration, comme pour tous les États et territoires nouvellement ralliés aux standards internationaux. La levée des sanctions est d'ailleurs bien entendu réversible dans le dispositif français et tout pays ne respectant pas ses engagements figurera sur la liste des territoires non coopératifs et se verra appliquer les sanctions correspondantes.

Il serait utile à cet égard que la Commission des affaires étrangères poursuive son suivi de la mise en oeuvre des accords et conventions conclues. Peut-être des programmes de formation des administrations fiscales devraient-ils se développer pour faciliter la mise en oeuvre de procédures de recherches d'informations parfois fort complexes. Les Etats qui s'engagent vers plus de coopération et de transparence, que ce soit en matière de fraude et d'évasion fiscales ou de blanchiment, sont d'ailleurs généralement demandeurs d'un renforcement de leur capacité administrative.

C'est sous le bénéfice de ces observations que je vous propose d'adopter le projet de loi, en vous remerciant de votre attention.

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