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Intervention de Martial Saddier

Réunion du 30 novembre 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartial Saddier, président du Conseil national de l'air, CNA :

Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui, en compagnie de Mme Isabelle Derville, chef du bureau de la qualité de l'air à la Direction générale énergie climat (DGEC) du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Le combat pour la qualité de l'air en est aujourd'hui au stade où était le combat pour la qualité de l'eau il y a quinze ou vingt ans : à celui des balbutiements. C'est dire si nous avons encore un long chemin à parcourir.

L'air présente trois caractéristiques fondamentales D'abord – pardonnez le truisme –, nous ne pouvons nous en passer. Ensuite, contrairement à une source d'eau polluée – qui peut être remplacée par un approvisionnement en eau minérale – ou à un aliment souillé – qui peut être retiré du commerce –, il n'est pas possible d'en interrompre la circulation ou de le traiter : l'usine de filtration de l'air est le corps humain lui-même ! Enfin, les zones d'émission de la pollution ne sont pas forcément celles qui la subissent le plus durement ; pour autant, il ne s'agit pas de stigmatiser telle région ou de montrer du doigt telle profession, mais plutôt de sensibiliser l'opinion pour obtenir un changement des comportements et de travailler dans la durée pour résoudre les problèmes de santé publique qui se posent.

Créé par un décret du 29 avril 1997, modifié par un décret du 1er juin 2011, le Conseil national de l'air est placé sous l'autorité du ministère chargé de l'environnement, qui peut le saisir pour avis de toutes les questions relatives à l'air. Dans la mesure où il a été créé par décret, sa saisine est en effet facultative – contrairement à celle du Comité national de l'eau. La ministre chargée de l'environnement l'a néanmoins saisi à de multiples reprises depuis qu'il a été réactivé.

La composition de ses collèges a été élargie, ce qui permet de fédérer davantage de membres d'origines variées. La qualité de l'air est en effet un sujet qui dépasse les clivages politiques, d'autant que les dix à vingt ans – voire plus – qui nous seront nécessaires pour revenir sous les valeurs limites excèdent la durée de nos mandats.

La ministre de l'écologie devant s'exprimer le 5 ou le 6 janvier prochain sur la question de la qualité de l'air intérieur, en s'appuyant notamment sur les résultats de mesures effectuées pendant plusieurs mois à l'intérieur d'écoles-types, je vous parlerai donc essentiellement de la qualité de l'air extérieur, à propos de laquelle se posent quelques questions brûlantes. La France est en effet aujourd'hui assignée devant la Cour de justice de l'Union européenne pour non-respect des valeurs limites fixées pour la concentration en micro-particules de diamètre inférieur à 10 µm (PM10). Elle devra en outre, d'ici au 31 décembre prochain, fournir à la Commission européenne un état des lieux sur la concentration de dioxyde d'azote (NO2) sur son territoire et sur le quota annuel de monoxyde d'azote (NO) qu'elle produit – car, sans être soumise à un contentieux, elle a dépassé, comme beaucoup de pays européens, les valeurs limites annuelles en NOx.

Afin de ne pas tenir ici des propos seulement déprimants, je mentionnerai toutefois quelques faits qui démontrent qu'on peut, malgré tout, obtenir des résultats significatifs en un assez court laps de temps. Grâce à la directive européenne sur les carburants de 1998, qui a imposé l'essence sans plomb, et à l'utilisation dans les stations-service de pistolets capturant le benzène, la concentration de ces deux polluants a rapidement baissé pour passer sous les seuils de toxicité. Nous avons également réussi à faire diminuer les émissions de dioxyde de soufre (SO2) provenant des carburants et des cinq grandes raffineries françaises, de sorte que le phénomène des pluies acides a été largement contenu. Le 20 novembre 2009, la France a transmis à la Commission européenne un avis motivé sur le contentieux en cours à ce sujet et, au vu des mesures prises, la procédure a été classée sans suite – il est donc à souhaiter que nous suivions le même chemin, s'agissant des particules fines et des oxydes d'azote !

La directive 200850CE concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe impose aux États membres de limiter l'exposition de la population aux particules fines – c'est-à-dire aux PM10 et, à partir de 2015, aux PM2,5 – ainsi qu'au dioxyde et à l'oxyde d'azote, à l'oxyde et au dioxyde de soufre, au gaz carbonique, au benzène et enfin au plomb.

Pour les PM10, la réglementation exige de ne pas dépasser, pendant plus de 35 jours par an, une valeur de 50 µg par mètre cube et par jour ; pour le dioxyde d'azote, la valeur limite est de 40 µg. Depuis 2005 seulement – et plus encore depuis 2007, année historique durant laquelle quinze millions de Français ont été concernés par des dépassements de valeurs limites des particules fines –, les mesures sont réalisées en temps réel, alors qu'auparavant, il fallait procéder à des prélèvements, les envoyer à des laboratoires et attendre le résultat.

Les dépassements de seuil en particules PM10 enregistrés en 2010 l'ont été dans le Nord-Pas-de-Calais – une partie de cette pollution provenant de la Pologne et de l'Ukraine –, dans les régions parisienne, lyonnaise, marseillaise et bordelaise et en Rhône-Alpes. Cette pollution est liée à un problème de qualité des opérations de combustion : ses principales sources sont le chauffage, les transports, l'écobuage et l'agriculture. Il faut cependant garder à l'esprit que, dans le sud de la France, l'écobuage est pratiqué l'hiver afin de prévenir les incendies d'été : du point de vue du CNA, il y a donc sur ce point un équilibre délicat à trouver entre des préoccupations également justifiées, mais concurrentes. Enfin, pour l'anecdote, sachez que lorsque vous admirez un feu d'artifice, les compteurs de particules fines s'affolent autour de vous.

Les dépassements de seuil pour le dioxyde d'azote (NO2) ont été constatés en 2010 dans les mêmes zones mais, plus généralement, dans toutes les zones urbaines agglomérées : les transports sont en effet à l'origine de 80 % de ces émissions.

Si l'on prend en compte toutes les zones touchées par ces pollutions, sont concernés 28 millions de nos concitoyens – soit 44 % de la population.

La Commission européenne a donc saisi la Cour de justice de l'Union pour non-respect des valeurs limites de PM10 dans quinze zones en France – la requête a été envoyée en novembre à la Cour. Comme cette affaire sera l'une des premières à être soumises à la procédure simplifiée issue du traité de Lisbonne, elle sera traitée dans des délais resserrés. Un arrêt pour manquement et dépassement de seuils sera très certainement rendu. Il sera renvoyé devant la Commission, à laquelle nous ferons valoir nos projets ou réalisations de plans de protection de l'atmosphère (PPA), de zones d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA) et de schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE). Soit la Commission se déclarera satisfaite, sous réserve d'une appréciation ultérieure des résultats ; soit elle renverra notre pays devant la Cour, qui rendra alors un nouvel arrêt « de manquement sur manquement » nous condamnant à une amende de 11 millions d'euros, assortie d'une astreinte journalière de 240 000 euros. Je précise que celle-ci n'est pas proportionnelle au nombre de zones polluées : n'y en aurait-il qu'une seule, son montant resterait identique… L'arrêt de manquement sur manquement pourrait intervenir dès la fin de 2013 : il nous reste donc dix-huit mois au plus pour répondre à la Commission et, éventuellement, à la Cour de justice afin d'échapper à cette condamnation.

La tâche sera d'autant moins aisée que des enquêtes publiques pour un PPA ou une ZAPA ne peuvent être menées durant les périodes électorales. Les quinze zones placées sous surveillance sont les suivantes : Marseille, Toulon, Avignon, la zone littorale urbanisée des Alpes-Maritimes, Paris et son agglomération, Grenoble, Lyon, le reste de la région Rhône-Alpes, Valenciennes, Dunkerque, Lille, le Nord–Pas-de-Calais, Strasbourg, Montbéliard–Belfort, Bordeaux et la Réunion.

Mais au-delà des aspects contentieux, les enjeux de santé publique sont considérables. Les particules fines, qui pénètrent dans l'organisme et y restent stockées, ont en effet, en quelques années, fait passer de 4 à 12 % la proportion de cas d'asthme chez les nourrissons et accru considérablement le nombre des allergies respiratoires, qui touchent aujourd'hui 30 % de la population. Elles provoquent des dérèglements du système nerveux, mais aussi des maladies cardiovasculaires. Dans certaines zones urbaines, les seuils sont dépassés durant 180 jours par an ; dans la plupart, ils le sont de 80 à 100 jours par an. Ainsi, une personne vivant à Paris six mois par an perd six mois d'espérance de vie et, selon les estimations actuelles, celle qui y passerait toute sa vie verrait cette espérance de vie réduite de dix ans. Le coût estimé des maladies liées à la pollution s'élève à environ 30 milliards d'euros par an !

Dans ces zones, les sources d'émission des particules et des oxydes d'azote sont, en premier lieu, le chauffage et le transport.

Les leviers pour la reconquête de la qualité de l'air sont identifiés : il faut agir dans tous les secteurs responsables de la pollution de fond, mais aussi intégrer une politique de l'air dans les schémas de cohérence territoriale et dans les plans locaux d'urbanisme.

Au cours des années passés, notre action a essentiellement été dirigée contre les polluants industriels – pluies acides, plomb et benzène – et contre les gaz à effet de serre. Après les lois « Grenelle I » et « Grenelle II » qui ont renforcé la politique de l'air, nous vous proposons aujourd'hui, au travers d'une trentaine d'actions, de faire porter l'effort sur l'ensemble des polluants – c'est-à-dire non seulement sur le CO2, mais aussi sur les NOx et sur les particules fines – ainsi que sur tous les secteurs : le secteur domestique – chauffage individuel, notamment au bois, et brûlage à l'air libre –, le secteur tertiaire – chaudières et plan bâtiment –, le secteur industriel, les transports et, enfin, l'agriculture, qui est à l'origine de 30 % des émissions.

Pour y parvenir, nous disposons de trois outils issus du « Grenelle II ». D'abord, les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie, qui devront être en place en 2012. Ensuite, les plans de protection de l'atmosphère (PPA), désormais inscrits dans le code de l'environnement : ces plans, qui doivent être élaborés en coopération avec l'ensemble des acteurs d'un bassin de vie concerné par un dépassement de seuil, seront soumis à enquête publique puis mis en oeuvre, le cas échéant après arrêté préfectoral. Enfin, les zones d'actions prioritaires pour l'air, particulièrement adaptées aux territoires où le réseau routier est très dense – dans une zone très urbanisée, 85 % des pollutions sont en effet liées aux transports. Réservées aux agglomérations ou groupements de communes de plus de 100 000 habitants, les ZAPA sont instituées à titre expérimental pour une durée de trois ans, qui peut être prolongée de dix-huit mois. Les collectivités parties prenantes doivent se porter volontaires ; après concertation entre l'État, les acteurs locaux et les collectivités territoriales, une enquête publique sera réalisée, puis un arrêté ministériel fixera la composition de la ZAPA.

À ce jour, 33 PPA sont en cours d'élaboration, et neuf collectivités – Nice, Paris, Marseille, Plaine-Commune, Bordeaux, le Grand Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand et Aix-en-Provence – nous ont fait part de leur souhait de travailler sous forme de ZAPA. Un seul PPA a été soumis à enquête publique, à ce jour. Les autres et les ZAPA doivent impérativement l'être dès après les élections prochaines, afin que nous soyons en mesure de répondre dans les délais à la Cour de justice de l'Union européenne.

Ce problème de la qualité de l'air n'est évidemment pas propre à notre pays et 180 zones à bas niveau d'émissions – les équivalents des PPA et des ZAPA – ont été constituées en Europe ; à Londres, elles font même l'objet d'une signalisation spécifique.

La Commission européenne commence à s'intéresser, en outre, à la gestion des pics de pollution. Le gouvernement français a également la possibilité de le faire par voie législative et réglementaire.

Le code de l'environnement prévoit une surveillance de la qualité de l'air sur l'ensemble du territoire. Le bureau de la qualité de l'air la confie, dans chaque région, à des organismes agréés : les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), qui ont un rôle de relais pour l'élaboration des PPA et des ZAPA. Elles sont financées à 30 % par l'État, à 30 % par la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et à 30 % par les collectivités territoriales.

Le dispositif français de surveillance de la qualité de l'air repose sur un parc important de stations de mesure : 252 stations pour le SO2, 468 pour le NO2, 366 pour les PM10, 85 pour les PM2,5et 424 pour l'ozone. De ce point de vue, la France est un bon élève puisqu'elle dispose de deux fois plus de stations que l'Europe ne lui en demandait ; mais il est vrai que ce maillage s'imposait en raison de la diversité de notre territoire. Toutefois, comme ces équipements datent de la première loi sur l'air – dite loi LAURE (« loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie ») – votée en 1996 à l'initiative de Mme Corinne Lepage, ils arrivent au terme de leur vie et il convient donc d'investir à nouveau pour en renouveler le parc.

Si nous voulons nous mettre en situation de répondre à la Commission et à la Cour de justice de l'Union européenne en 2012, il nous faut surtout réussir à sensibiliser l'opinion dans les mois et les années à venir. Ce sont en effet des changements d'habitude que nous devrons demander à nos concitoyens et, pour cela, nous aurons besoin de l'énergie de tous.

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