Dans le Val-d'Oise, on compte 1 600 enfants placés, ce chiffre étant relativement stable depuis plusieurs années, et une cinquantaine d'adoptions, dont quinze de pupilles majoritairement nés sous X. Cela signifie donc un nombre relativement faible de déclarations judiciaires d'abandon en application de l'article 350 du code civil.
Notre département s'intéresse particulièrement à la problématique de l'enfance délaissée. Nous avons été entendus par les inspecteurs généraux des affaires sociales dans le cadre de la mission évoquée par Mme Oui. Un groupe de travail sur l'enfance délaissée s'est régulièrement réuni entre 2009 et 2010. Nous avons également organisé un colloque sur ce thème. Enfin, nous avons développé un dispositif de veille et de traitement des situations des enfants durablement délaissés. C'est dire l'intérêt que nous portons à cette question !
Le dispositif que nous avons mis en place a pour vocation de systématiser le recensement des enfants âgés de moins de six ans et de vérifier, pour chacun d'entre eux, si nous sommes en présence d'une situation de délaissement qui conduirait à s'interroger sur leur statut à venir. Nous menons cette réflexion au travers de différentes réunions techniques de synthèse et dans le cadre d'une instance collégiale, appelée « groupe technique de veille ». Nous examinons ainsi de façon systématique et à raison de deux fois par an la situation de ces enfants. Les premiers résultats sont significatifs : nous avons considéré que vingt-quatre enfants étaient délaissés par leurs parents, ce qui a permis d'enclencher un certain nombre de procédures dont quelques-unes sont encore en cours.
J'en viens à nos commentaires sur votre proposition de loi. L'article 1er comprend plusieurs points positifs. Le premier porte sur le remplacement de la notion de « désintérêt » par celle de « délaissement », davantage axée sur la relation parents-enfant et permettant de mieux prendre en compte les situations de parents parfois présents auprès de leurs enfants mais par intermittence, ce qui est très douloureux pour les enfants. Deuxième point positif, la déclaration judiciaire d'abandon est centrée sur l'intérêt de l'enfant et fait allusion à son développement psychologique, social ou éducatif. Troisièmement, la suppression du terme « manifeste » est fondamentale dans la mesure où il induisait le caractère volontaire de l'abandon et excluait, de fait, la possibilité de prononcer une déclaration judiciaire d'abandon contre un parent victime de problèmes pathologiques et incapable de toute expression de volonté. En outre, le caractère volontaire du désintérêt étant extrêmement compliqué à prouver, on était très souvent débouté par la juridiction. Quatrièmement, enfin, la possibilité d'action d'office par le parquet est un garde-fou très pertinent.
D'autres points, en revanche, nous semblent plus discutables. C'est le cas de la définition du délaissement parental, trop générique et source d'interprétations qui pourraient être dangereuses. En effet, « les carences des parents dans l'exercice de leurs responsabilités parentales » recouvrent un concept très large, évocateur de carences éducatives, qui renvoient plutôt à la procédure d'assistance éducative, donc aux articles 375 et suivants du code civil, voire à la protection sociale, donc à la situation d'enfants en risque de dangers pour lesquels le président du conseil général propose déjà un certain nombre d'aides. L'article 350 du code civil étant de nature à conduire un enfant à l'adoption, il nous semble gênant de prévoir une définition qui risque, encore plus que le désintérêt manifeste, de se prêter à interprétation. Peut-être faudrait-il prendre en compte la notion d'absence, physique ou psychique, des parents envers leur enfant.
Plus globalement, l'intégration actuelle de l'article 350 dans le titre du code civil consacré à l'adoption ne nous paraît pas adaptée dans la mesure où cet article permet, certes, l'adoption mais pas exclusivement l'adoption. Maintenir l'article 350 dans le titre VIII relatif à la filiation adoptive pourrait favoriser un raccourci trop rapide entre les dispositions prévues et ce qui pourrait être interprété comme la constitution d'un vivier d'enfants adoptables.
Enfin, l'article 377, dont il n'est pas question dans la proposition de loi, se réfère toujours au « désintérêt manifeste ». Faut-il le modifier pour être en cohérence avec le nouvel article 350 ?
L'article 2 de la proposition de loi modifie l'article L. 223-5 du code de l'action sociale et des familles. Rendre obligatoire l'évaluation annuelle du délaissement nous semble tout à fait pertinent – c'est la pratique que nous avons adoptée dans notre département. Il en va de même de l'introduction d'une échéance plus courte pour les enfants âgés de moins de deux ans, le temps d'un jeune enfant n'étant pas le même que celui des institutions. Il semble cependant que cette obligation pèsera essentiellement sur l'aide sociale à l'enfance, y compris lorsque celle-ci n'est pas service gardien de l'enfant. Cela signifie qu'elle concernera aussi les situations d'enfants confiés à des tiers dignes de confiance, et à des établissements. Quid, dans ces conditions, de la faisabilité de ces évaluations annuelles, les moyens dont disposent les départements, notamment en personnels, étant limités ? Nous aurons, à tout le moins, à définir des priorités si ce texte devait être voté.