Comme le note la Cour des comptes, la première difficulté est de définir le concept de prévention sanitaire. Sa communication met justement en garde contre la tentation d'isoler ce qui est consacré explicitement à la prévention, comme le Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires, et d'en déduire que les moyens mis en oeuvre pour la prévention en France ne sont pas suffisants. Une telle approche serait beaucoup trop réductrice, notamment au regard de la conception de l'Organisation mondiale de la santé, qui inclut dans la prévention tout ce qui tend à éviter l'aggravation d'une maladie.
Selon moi, il y a deux idées à prendre en considération.
D'abord, la prévention doit s'attacher à préserver le capital santé de chacun plutôt qu'à éviter les maladies. Nous arrivons actuellement au terme d'un système où l'individu est libre de ses actes, l'État-providence venant ensuite réparer les problèmes de santé et prendre en charge les personnes exclues du marché du travail ou considérées par les entreprises comme trop âgées pour travailler. Nous devons inventer un nouveau rapport à la sécurité sociale, dans lequel le système de redistribution, de transferts sociaux et de services publics aiderait chacun à mieux vivre sa vie, à savoir fonder une famille, réussir la transition entre la vie professionnelle et la retraite et préserver le plus longtemps possible son capital santé.
Ensuite, il est frappant de constater que, si la santé générale de la population s'améliore et que l'espérance de vie en bonne santé s'accroît, les inégalités, notamment sociales mais aussi devant les indicateurs de la santé, perdurent. Certaines politiques de prévention semblent même les aggraver ; c'est ce que tendent à indiquer les premiers résultats des politiques de prévention nutritionnelle, qui sont mieux reçues par les personnes disposant d'un certain niveau d'éducation : l'obésité devenant alors un marqueur social.
Il convient donc de fixer des objectifs aux politiques de prévention et de retenir les outils et le pilotage adéquats. Il s'avère que la politique qui a le plus contribué à la prévention dans la période récente est la généralisation des radars automatiques de contrôle routier, dans la mesure où cette installation a évité bien des morts et des handicaps. C'est pourquoi les politiques de santé publique ne doivent pas se borner à faire appel aux instruments traditionnels, mais doivent recourir à une palette d'outils la plus vaste possible, incluant l'interdiction, le contrôle et la tarification, comme les mesures relatives aux boissons sucrées, au tabac et à l'alcool, à côté de l'information, de l'éducation à la santé, de l'éducation thérapeutique et du temps médical consacré à la prévention.
Le pilotage de ces outils doit bien évidemment revenir à l'État, qui est le seul à pouvoir en assurer une coordination de leur utilisation. Vous avez raison de préciser que par « État », il ne faut pas entendre le seul ministère de la santé, mais l'État dans toutes ses composantes, y compris la médecine du travail et la médecine scolaire. Une telle politique interministérielle doit cependant être pilotée par le ministère de la santé, qui, seul, dispose d'une vision globale du sujet et des moyens d'évaluer les différentes politiques – car ce n'est pas parce qu'il s'agit d'une politique de prévention qu'il ne faut pas en mesurer l'efficience.
À l'échelon territorial, il importe d'améliorer la coordination entre les acteurs et de développer des synergies. Les agences régionales de santé me paraissent les mieux placées pour la mettre en oeuvre, même si la médecine du travail ne relève pas de leur responsabilité ; il convient en effet de mieux coordonner non seulement l'État avec l'assurance maladie, mais aussi les différentes composantes de l'État entre elles.
S'agissant de l'évaluation, j'adhère totalement au constat de la Cour des comptes selon lequel l'addition de dizaines de priorités de santé publique n'aboutit pas à une politique de prévention efficace. Il faut d'abord hiérarchiser les actions, puis les évaluer ; de surcroît, tout ne repose pas uniquement sur la dépense publique.
Pour conclure, dire que le système français est bon dans le domaine curatif, mais moins bon dans le domaine préventif, c'est, d'une certaine manière, rendre hommage à la sécurité sociale qui a assuré l'accès de tous aux soins. Toutefois, il ne faudrait pas que ce soit un alibi pour tolérer le laisser-faire en amont, dans les politiques de gestion du risque. Il convient de responsabiliser les différents acteurs et d'aider chacun à prendre en charge sa propre santé.