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Intervention de Igor Semo

Réunion du 29 novembre 2011 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de Lyonnaise des eaux, vice-président de la Fédération professionnelle, FP2E et du Partenariat français pour l'eau, PFE, membre du conseil d'administration de l'ONEMA :

L'absence de définition précise de la maîtrise d'ouvrage pour la gestion du grand cycle de l'eau est le premier constat établi par le forum d'experts présidé par Erik Orsenna. Plusieurs solutions ont été envisagées : certains proposent d'étendre la compétence des agences de l'eau, mais cette proposition se heurte à de fortes réticences ; d'autres, comme André Flajolet, plaident pour que la maîtrise d'ouvrage soit confiée aux établissements publics territoriaux de bassin, les EPTB, mais ceux-ci sont loin de couvrir l'ensemble du territoire. Le ministère semble considérer que c'est aux autorités organisatrices du service de prendre en charge la protection de la ressource en eau, mais les situations sont diverses sur le terrain, cette mission pouvant être assurée ici par un syndicat de rivières, là par un EPTB, ailleurs par une ou plusieurs collectivités. Pour l'heure, les opérateurs privés se bornent à constater que la question n'est pas résolue et ils estiment que cette absence d'une maîtrise d'ouvrage clairement identifiée, de même que l'absence de financement affecté, constituent des obstacles importants à l'atteinte des objectifs assignés par la directive-cadre. Ce n'est qu'une fois que cette maîtrise d'ouvrage aura été clairement identifiée, que nous serons en mesure d'aider les maîtres d'ouvrage à atteindre leurs objectifs.

Garantir l'équité de l'accès à l'eau, comme on a pu le faire pour l'accès à l'énergie, est une question qui mérite un examen approfondi. Nous comptons d'ailleurs mettre sur pied, en janvier 2012, un troisième forum d'experts chargé de débattre – sous la présidence de Martin Hirsch – de la question des nouveaux modes de tarification du service de l'eau. La mise en place d'une tarification sociale de l'eau comparable à ce qui existe pour le gaz et pour l'électricité se heurte néanmoins à plusieurs obstacles, au nombre desquels la multiplicité des opérateurs de l'eau et de l'assainissement – près de 32 000, dont 17 000 pour l'eau potable et 15 000 pour l'assainissement – et la différence des prix.

Plusieurs collectivités locales se sont emparées des possibilités que leur ouvre la loi sur l'eau de 2006 pour lancer des initiatives en la matière. Certaines d'entre elles ont, par exemple, mis en place une tarification progressive distinguant entre l'eau « vitale » – soit une consommation quotidienne de quarante litres par personne –, l'eau « utile » et l'eau « confort ». Il faudrait également envisager une tarification spécifique pour les grands consommateurs, dont l'activité économique est vitale pour l'emploi.

La commune de Libourne, dont nous sommes l'opérateur, a été la première à s'engager dans cette voie de la tarification progressive. S'agissant d'une initiative totalement nouvelle, nous en sommes encore au stade des tâtonnements et cette première expérience est encore perfectible. Nous sommes parvenus à résoudre certaines difficultés pratiques, notamment celle posée par les logements collectifs. Restent cependant d'autres problèmes, comme la question de la part fixe – si cette part est très élevée, elle réduit d'autant la progressivité de la tarification d'assainissement – ou celle des services publics gros consommateurs. Il y a également le problème des ménages dont la consommation est réduite du fait de forages non déclarés et qui, outre qu'ils ne contribuent pas au service de l'assainissement, vont bénéficier du tarif social. Il me semble, de ce point de vue, que l'absence d'obligation de déclarer les forages constitue une faille juridique.

En tout état de cause, nous nous efforçons de mettre nos compétences en matière d'ingénierie tarifaire à la disposition de la collectivité, seule autorité décisionnaire, et d'affiner nos propositions en fonction de ses besoins. La ville d'Hyères (Var), avec laquelle nous venons de signer un contrat de délégation de service public, a ainsi souhaité la mise en place d'une tarification progressive à visée sociale et environnementale – il s'agit d'inciter les usagers à modérer leur consommation – intégrant un élément de tarification saisonnière, afin que la population estivale contribue à la prise en charge des coûts du service, dont 85 % sont des coûts fixes.

Je sais combien il est difficile, pour les élus locaux, d'expliquer pourquoi le prix de l'eau potable peut autant varier d'une commune à l'autre. À défaut d'une harmonisation nationale des tarifs, qui soulève d'autres objections, une harmonisation des tarifs dans un périmètre raisonnable serait un progrès. Je crois que l'État et de nombreux élus sont favorables à un regroupement des services publics d'eau et d'assainissement visant à une plus grande harmonisation des tarifs. En tout état de cause, les contrats de distribution d'eau ne font pas obstacle à ce genre d'initiatives, comme le prouve le précédent de la communauté urbaine de Nantes.

S'agissant du choix du mode de gestion, je vous renvoie aux conclusions du rapport public du Conseil d'État, intitulé L'Eau et son droit et fruit du remarquable travail de Frédéric Tiberghien. Le rapport met en garde contre une focalisation excessive du débat sur la question du mode de gestion, au détriment de sujets beaucoup plus stratégiques. Qu'il soit public ou privé, un opérateur est confronté aux mêmes problèmes de performance du service, de réchauffement climatique, de rendement des réseaux, etc.

Je dois dire avec franchise que nous vivons assez mal la mise en cause de la participation des entreprises françaises aux Forums mondiaux de l'eau. Le premier de ces Forums s'est réuni en 1997 à Marrakech ; il rassemblait un certain nombre d'acteurs publics et privés de bonne volonté qui souhaitaient inscrire les problématiques de l'eau et de l'assainissement à l'agenda des grands de ce monde. Ce Forum ayant rencontré un certain succès, il a été décidé de le réunir tous les trois ans. Ayant participé au Forum d'Istanbul, qui s'est tenu en 2009, j'ai été impressionné de voir ces délégations venues du monde entier et dont les préoccupations étaient fort éloignées du choix du mode de gestion !

Le Forum de Marseille permettra d'avancer encore, puisque nous parlerons aussi de solutions et d'engagements. Je voudrais à ce propos rendre hommage à Danielle Mitterrand, que j'ai eu l'occasion de rencontrer en sa qualité de présidente de la fondation France-Libertés. Avec une conviction et une ardeur impressionnantes, celle qui était une militante – mais aussi une femme de dialogue – s'est toujours battue pour que l'accès à l'eau et à l'assainissement devienne une priorité des gouvernements.

Ce Forum est préparé par le Partenariat français pour l'eau (PFE), présidé par Henri Bégorre et qui rassemble les acteurs français de l'eau : ministères, agences de l'eau, ONEMA, collectivités territoriales – notamment l'Association des maires des grandes villes de France et l'Association des maires de France, laquelle sera représentée au Forum par l'ancien sénateur Paul Raoult –, organisations non gouvernementales, associations scientifiques comme l'ASTEE, entreprises de l'eau. Il participera à la constitution du stand « Espace France » au Forum de Marseille, où auront lieu de nombreux débats.

S'agissant de la lutte contre la pollution par les nitrates, les entreprises de l'eau – qui sont des entreprises d'ingénieurs – cèdent peut-être trop à la facilité de proposer des solutions technologiques à des problèmes qui pourraient être résolus autrement, notamment par la collaboration et le dialogue avec les agriculteurs. C'est d'ailleurs l'esprit de la directive-cadre communautaire que de passer du curatif au préventif. Nous partageons votre constat que le traitement des eaux ne saurait être qu'une solution à très court terme. C'est pourquoi la FP2E, qui fédère l'ensemble des entreprises de l'eau, a noué un partenariat avec l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, visant à contribuer à la protection effective des captages d'eau potable face aux pollutions diffuses. Les bonnes pratiques partenariales entre les différents acteurs ont été recensées, donnant lieu à l'édition d'un guide de vingt-et-une recommandations à destination de tous les acteurs de l'eau, notamment des agences de l'eau. Celui-ci préconise notamment l'amélioration des pratiques agricoles. C'est ainsi que dans la région de Dunkerque, nous incitons les agriculteurs à planter de la moutarde, qui constitue un excellent piège à nitrates.

Pour ce qui a trait aux sociétés d'économie mixte, nous suivons les travaux de la Fédération des entreprises publiques locales – j'ai notamment assisté cette année au congrès des EPL, qui s'est tenu à Tours. Nous sommes ouverts à toutes les possibilités de collaboration dans ce domaine. Lyonnaise des Eaux considère cependant que le cadre de la délégation de service public permet déjà de doter les collectivités locales de tous les moyens de pilotage : c'est à l'autorité organisatrice du service de fixer les objectifs et de prendre les décisions, non seulement lors du renouvellement du contrat, mais aussi au cours de l'exécution de celui-ci. C'est à la collectivité locale de piloter le dispositif : nous ne sommes qu'un opérateur, ce qui est déjà une responsabilité importante.

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