Comme il est tard et que nous sommes en bonne compagnie – Mme la secrétaire d'État est sympathique –, j'ouvrirai mon propos sur une note légère. Je suis député du Nord, théâtre du film Bienvenue chez les Ch'tis, qui a fait vingt millions d'entrées. Au-delà des clichés, ce film a plutôt donné une bonne image du Nord. Aujourd'hui, quelque neuf millions de nos concitoyens sont allés voir le film Intouchables. Je ne l'ai pas vu et ne peux donc en parler, peut-être y trouve-t-on également certains clichés, mais je crois que cette affluence est révélatrice de ce que peuvent penser nos concitoyens, de leur amour, de leur affection, dans un esprit républicain et égalitaire, à l'endroit des personnes handicapées. Que neuf millions de personnes aillent voir un film comme celui-là, ce n'est pas innocent. Il me semble que, dans le cadre du présent débat, cela méritait d'être souligné.
La proposition de résolution du groupe GDR s'inscrit dans cet esprit. Si elle présente quelques traits excessifs, je tiens à dire, au nom du groupe SRC, que nous la voyons d'un oeil favorable. Les valeurs défendues par Martine Billard, ses préconisations, l'exposé sommaire de la proposition nous satisfont particulièrement, au plan philosophique et politique. Notre groupe avait déjà défendu, dans le débat sur la loi de 2005, notamment par la voix de Christophe Sirugue, des amendements qui exprimaient notre opposition à certains reculs et certaines dérogations, une opposition que nous retrouvons dans la présente proposition.
De manière plus actuelle, le groupe SRC a saisi le Conseil constitutionnel, le 13 juillet, de la loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, dont les articles 19 et 20 remettaient en cause le principe général d'accessibilité et méconnaissaient plusieurs articles de notre Constitution ainsi que le préambule de la Constitution de 1946. Martine Billard renvoie d'ailleurs elle-même, dans l'exposé sommaire de sa proposition, en première page, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'au préambule de 1946 qui la précise. Il me paraît important d'indiquer que le Conseil constitutionnel a censuré ces articles 19 et 20, au nom de principes qui nous semblent essentiels.
Ces principes, vous les avez rappelés, madame la secrétaire d'État. C'est tout d'abord la conception universelle de l'accessibilité prévue par les conventions internationales, notamment dans la définition de l'OMS approuvée par la France le 1er avril dernier. Pour que cette signature ne soit pas un poisson d'avril, il faut que le Gouvernement s'oppose résolument à tout ce qui peut être dérogatoire. Il y a des principes intangibles, ce sont ceux de la République.
Nous sommes proches de l'échéance de 2015. Nous aurons eu dix ans pour faire le boulot, ce n'est pas rien ! À l'approche de l'échéance, certains lobbies interviennent, des cavaliers arrivent dans le débat législatif. Tout récemment, a été déposée au Sénat une proposition de loi visant à reculer cette date. Ces faits sont mal ressentis par les associations de personnes handicapées, par tous ceux qui militent – et ils sont nombreux – pour cette cause et à qui nous pouvons rendre hommage car des choses seraient passées et ne l'ont pas été grâce à leur action déterminée et, à juste titre, virulente.
Déroger, du latin derogare, c'est s'écarter du principe de la loi. Par extension, les latinistes y voient aussi le sens de « s'éloigner de ce qui est bien » : morem non servare, ne pas servir la morale, s'écarter du chemin légitime. C'est diminuer la liberté : liberté de travailler, d'aller et venir, de se promener, de voter, de militer, de vivre, d'exister dans le cadre d'une société. Le préambule de la proposition de résolution réaffirme des valeurs égalitaires, qui seraient bafouées si nous reculions par rapport à la loi de 2005. Un tel recul porterait également un coup à la fraternité, à la solidarité à laquelle j'ai fait allusion en évoquant ce film, peut-être pas majeur mais en tout cas révélateur, Intouchables.
Nous avons eu du temps depuis 2005. Pour être pragmatiques, parlons de choses simples. Dans l'habitat neuf, les choses sont claires : un permis de construire ne peut être délivré que si le projet respecte les normes sur l'accessibilité des parties communes, les volumes, l'adaptabilité… Je crois que nous pouvons tous être d'accord sur le fait qu'ici il est essentiel d'être rigoriste.
Le logement social peut poser problème mais il bénéficie d'aides publiques, ce qui justifie des contraintes. Dans le cadre de constructions neuves, il faut, à notre avis, adopter la même attitude : le permis de construire en échange du respect absolu des normes, sans dérogation. La priorité pour les personnes handicapées, ce sont les parties communes. Quant à l'adaptation de certains logements, elle me semble également légitime.
La situation des logements à changement d'affectation est parfois un peu plus complexe. Dans le cas de commerces, cela peut rester simple, quand il s'agit de rez-de-chaussée facilement adaptables. Il peut s'agir aussi d'immeubles à la découpe. Dans ce domaine, je crois qu'il faut être absolument intransigeant : une personne qui souhaite réaliser une opération immobilière sur un immeuble à la découpe, dont nous savons que le but est essentiellement mercantile et financier, doit s'adapter.
La proposition de résolution GDR aborde également des points plus délicats. Il s'agit tout d'abord de l'habitat privé. Nous connaissons tous des propriétaires privés qui ont peu de moyens, et nous savons que certaines conditions historiques et patrimoniales rendent difficile l'adaptation des centres-villes. La solution ne peut passer que par l'intervention de la puissance publique, c'est-à-dire les aides d'État, même si les contraintes budgétaires sont ce qu'elles sont.
Les commerces sont un autre problème. J'ai visité un certain nombre de commerces de la ville de Dunkerque. Ils ne sont pas adaptés, et l'adaptation peut poser problème pour ces commerçants, eu égard à leurs possibilités mêmes de pérennité.
Il existe également des cas de franchises, essentiellement étrangères, dans le domaine du vêtement, par exemple, qui, alors que la loi de 2005 était entrée en vigueur, n'ont pas intégré dans leurs cahiers des charges le principe de l'accès pour les personnes handicapées. Elles auraient dû se conformer à la loi en 2005 et ne l'ont pas fait, ce qui pose à présent quelques problèmes aux commerçants franchisés. Je pense que le FISAC pourrait agir à cet égard. C'est nécessaire en particulier pour les plus petits commerçants ; je ne parle pas des grands groupes, qui s'en sortiront toujours.
S'agissant des établissements recevant du public, au nombre de 650 000 en France, je crois que nous devons là aussi être rigoureux. Nous ne pouvons pas accepter de dérogations, en dehors de cas très particuliers, liés au patrimoine. Il faut que les choses soient nettes, que l'État adopte une attitude coercitive : l'adaptabilité doit être la plus grande possible. Le Gouvernement peut vraiment être une force publique d'importance en ce domaine.
Ce matin, j'étais en réunion à la communauté urbaine de Dunkerque à propos de l'accessibilité de la voierie. Un bon nombre d'EPCI font de réels efforts quel que soit leur bord, ils ont fait travailler leurs services de la plus belle manière possible en ce domaine et ils seront globalement à peu près aux normes dans les années 2015. C'est une bonne chose. S'il y a un certain nombre de problèmes, je pense que ce n'est pas forcément volontaire, et ce n'est en tout cas pas le fait d'une volonté politique institutionnelle.
J'en viens à deux points que j'ai abordés avec un de mes amis, Gilles Canet, un des spécialistes de la question sur le littoral dunkerquois.
On cherche souvent des gisements d'emplois. Or il manque souvent chez les promoteurs, qu'ils soient publics ou privés, de réels spécialistes dans le domaine de l'accessibilité. Je sais que Pôle emploi commence à s'y intéresser et il serait important qu'il mette le paquet. Ce serait un gisement d'emplois important. On recherche des spécialistes en matière de déperdition d'énergie ou d'amiante quand il faut passer un acte devant notaire : pourquoi n'y aurait-il pas des spécialistes de l'accessibilité ? Je suis sûr qu'il y a une possibilité de travail intéressante. À cet égard, on peut travailler avec les associations qui ont déjà beaucoup de connaissances dans le domaine de l'accessibilité, mais on pourrait développer une vraie spécialisation créatrice d'emplois.
Enfin, nous pouvons jouer sur le fait que les promoteurs publics ou privés ne considèrent plus l'accessibilité pour les personnes en situations de handicap comme une contrainte, mais peut-être même comme une plus-value. C'est assurément une plus-value humaine, et peut-être, quand un poil de mercantilisme se mêle à l'humanisme républicain, pourrions-nous réussir à convaincre encore plus d'acteurs de la construction et de la promotion immobilières d'être beaucoup plus volontaires, beaucoup plus généreux et beaucoup plus républicains.
Je terminerai en évoquant Georges Couthon. Je suis sûr que vous le connaissez, madame la secrétaire d'État.