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Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 29 novembre 2011 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, rapporteure :

Je ne vais revenir ici ni sur les liens historiques qui unissent la France et le Liban ni sur l'attachement de notre pays à l'indépendance et la souveraineté du « pays du cèdre ». Environ 23 000 Français vivent au Liban et 210 000 Libanais résident en France. Si l'on ajoute à ces chiffres l'importance de la criminalité transfrontalière qui transite par le Liban, laquelle concerne principalement le trafic de stupéfiants, d'armes et de véhicules volés, le blanchiment d'argent et la traite des êtres humains, on comprend combien il est nécessaire d'organiser une entraide judiciaire efficace entre la France et le Liban.

Or, pour le moment, en l'absence d'un dispositif conventionnel bilatéral ou multilatéral de coopération judiciaire en matière pénale, celle-ci s'effectue simplement au titre de la réciprocité dans le cadre de la courtoisie internationale. Mais cette coopération rencontre depuis plusieurs années de fréquentes difficultés de mise en oeuvre.

Les premières résultent de l'exécution partielle ou de l'absence d'exécution des demandes formulées par la France en matière économique et financière. De nombreuses demandes françaises concernent des faits de délinquance financière : escroqueries, abus de biens sociaux ou abus de confiance. Lorsque des identifications bancaires ou des gels d'avoirs sont sollicités par les magistrats français, les autorités libanaises demeurent généralement silencieuses, obligeant nos juridictions à multiplier les lettres de relance. S'ajoutent à cette attitude passive, un mauvais système de lutte contre le blanchiment (monopole de la banque centrale pour le traitement et l'exploitation judiciaire des renseignements obtenus en matière bancaire) et un manque de formation des magistrats libanais sur ces contentieux spécifiques. Depuis 2005, le secret bancaire a ainsi été opposé une vingtaine de fois pour justifier l'inexécution de demandes françaises. Il l'a notamment été dans le cadre du dossier dit « Thales International » instruit par le juge Renaud Van Ruymbeke.

Les autres difficultés, plus fondamentales, découlent du maintien de la peine de mort dans le système juridique libanais. Le fait qu'une personne mise en cause encourt la peine capitale dans une affaire où des autorités judiciaires étrangères sollicitent l'assistance des juridictions françaises rend cette demande contraire à notre ordre public. Afin d'éviter un blocage de la coopération, la France sollicite alors des garanties préalables de non-application de la peine de mort. Une fois obtenues, ces garanties permettent de répondre favorablement à la demande. La France s'est heurtée à cette difficulté dans le cas de M. Zouheïr al Siddiq, ressortissant syrien résidant en France réclamé par les autorités libanaises en raison de son implication présumée dans l'assassinat du premier ministre Rafic Hariri. Le Président de la République libanaise s'est certes engagé à examiner avec bienveillance, dans le cadre de son droit de grâce, toute demande qui viendrait à être présentée par l'intéressé en cas de condamnation à la peine capitale, mais cette assurance a été jugée insuffisante pour garantir effectivement la non-application de la peine de mort dans le cas d'espèce et l'entraide a été refusée.

Les stipulations de la convention permettront de résoudre les difficultés liées au secret bancaire ; pour ce qui est des cas où la peine de mort est encourue, elles confirment la pratique française de l'examen au cas par cas.

La convention reprend les principes et les instruments habituels des accords d'entraide judiciaire en matière pénale. Son champ d'application est large, et les cas de refus de coopérer sont énumérés de manière limitative. Figure parmi eux le cas dans lequel l'exécution d'une demande serait contraire à l'ordre public de la partie requise : c'est sur ce fondement que la France pourra continuer à refuser d'exécuter une demande relative à une affaire dans laquelle la peine de mort est encourue. L'entraide ne doit en revanche être accordée qu'en cas de « double incrimination ».

La convention précise qu'une demande ne peut en revanche être refusée au seul motif qu'elle se rapporte à une infraction qualifiée de fiscale par la partie requise ou parce que la législation de cette partie ne contient pas une imposition du même type ou les mêmes règles dans ce domaine que la partie requérante.

Autre point essentiel, les autorités libanaises ne pourront refuser une demande d'entraide judiciaire au motif que son exécution porterait atteinte au secret bancaire. En effet, l'article 16 oblige une partie à fournir tous les renseignements concernant les comptes détenus ou contrôlés, dans une banque située sur son territoire, par une personne physique ou morale faisant l'objet d'une enquête pénale dans la partie requérante. Ces renseignements porteront sur des comptes bancaires déterminés et une période spécifiée dans la demande ; la partie requise peut avoir à suivre les opérations réalisées sur un compte pendant une période déterminée. Ces informations devront être fournies même si les comptes concernés sont détenus par des instruments de gestion d'un patrimoine dont le propriétaire n'est pas connu.

Le cadre général des demandes d'entraide est très classique. Alors que les conventions les plus innovantes prévoient une transmission directe entre les autorités judiciaires territorialement compétentes pour les présenter et les exécuter, celle-ci stipule que les demandes (et les réponses) seront adressées par l'autorité centrale d'un Etat partie à l'autre, c'est-à-dire par un ministère de la justice à l'autre.

Comme il est habituel, la convention pose également le principe du respect par l'Etat requis de la confidentialité d'une demande et le principe de spécialité. Elle fixe le cadre à respecter pour la comparution de témoins ou d'experts et le transfèrement temporaire de témoins détenus.

La convention ne retient qu'un outil de coopération vraiment innovant : elle établit les règles régissant l'audition par vidéoconférence d'un témoin, d'un expert, voire d'une personne poursuivie. Mais, d'une part, le droit français ne permet le recours à la vidéoconférence que pour l'audition d'un témoin ou d'un expert et, surtout, le droit libanais n'autorise pas un tel recours. Cette stipulation ne pourra donc être mise en oeuvre qu'en cas d'évolution de ce droit.

En revanche, aucune stipulation n'est relative aux formes de coopération les plus avancées que sont les livraisons surveillées, les équipes communes d'enquête et les enquêtes discrètes. Les négociateurs libanais n'ont en effet pas souhaité les inclure dans la convention. Il est vrai qu'elles n'ont été généralisées au niveau européen qu'au cours de la dernière décennie. De fait, ces techniques impliquent l'intervention active d'enquêteurs étrangers sur le sol de la partie requise, circonstance mettant directement en cause des enjeux de souveraineté.

La convention signée le 21 janvier 2010 constitue ainsi un premier pas très important pour l'amélioration de l'entraide entre la France et le Liban en matière pénale : non seulement elle donne un cadre juridique à des échanges qui sont déjà pratiqués, mais elle exclut expressément le secret bancaire comme motif de refus de la transmission d'informations demandées.

Cette convention reste néanmoins centrée sur les formes d'entraide les plus classiques. Il faudrait en outre la compléter par d'autres instruments bilatéraux, relatifs aux extraditions, aux transfèrements et à l'échange de renseignements fiscaux notamment.

Le 14 juin 2011, M. Najib Mikati a formé un gouvernement dans un contexte difficile marqué par les pressions du Hezbollah et de la Syrie pour renverser son prédécesseur. Il semblait néanmoins déterminé à poursuivre la coopération bilatérale avec la France et à honorer les engagements pris par les gouvernements précédents. Le 26 octobre 2011, le conseil des ministres libanais a examiné la convention mais n'a pas donné son accord à sa ratification, exprimant ses réticences à l'égard des stipulations de la convention relatives aux modalités de levée du secret bancaire.

Le 4 novembre dernier, le ministre de la justice libanais, arguant d'une part de l'efficacité du dispositif de lutte contre le blanchiment mis en place au Liban en 2001, et d'autre part, de l'importance du secteur bancaire dans une économie libanaise fragilisée, a fait connaître le souhait de son gouvernement de renégocier cet aspect de la convention. En novembre 2010, le précédent ministre de la justice du Liban avait déjà demandé que l'article 16 de la convention mentionne explicitement la procédure de levée du secret bancaire prévue par la loi libanaise, mais son homologue français avait indiqué que les stipulations actuelles de la convention y renvoyaient déjà directement, ce qui constituait une concession que la France avait acceptée.

Notre gouvernement n'a donc pas l'intention de rouvrir des négociations sur cet article et estime que la procédure visant à autoriser l'approbation de la convention doit se poursuivre. Si tel n'était pas le cas, la partie libanaise y verrait le signe de la possibilité d'une renégociation, alors même que la stipulation qu'elle veut remettre en cause constitue la principale avancée de la convention.

Dans ces conditions, la convention répondant fondamentalement aux intérêts tant du Liban que de la France et respectant la législation des deux parties, je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.

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