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Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 29 novembre 2011 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2011 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

Où vous arrêterez-vous dans cette course sans fin à la dépression ?

Avec cette succession de plans, votre politique économique est inefficace et illisible : aucun diagnostic de la situation conjoncturelle, aucune mesure structurelle, ni sur l'investissement ni sur l'emploi. Seule émerge de cette accumulation de plans, de nouveaux impôts et de coupes brutales dans les dépenses, une austérité aveugle et massive.

Austérité aveugle du côté des dépenses. Aux coupes dans tous les budgets s'ajoutent, avec le nouveau plan de rigueur, la réduction du pouvoir d'achat des allocations familiales et des aides au logement, et l'augmentation du délai de carence dans le secteur public.

Et que dire de la politique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite ? Non seulement la Cour des comptes a montré que, loin du milliard d'euros d'économies annuelles que vous prétendiez ainsi réaliser, celles-ci n'ont été que de l'ordre de quelques centaines de millions – 200 à 300 millions tout au plus –, confirmant ce que Philippe Séguin disait lui-même, en 2009, en évoquant une politique « caractéristique d'un État incapable d'analyser ses besoins et de programmer ses effectifs ».

J'ai eu l'occasion, dans mes rapports, de souligner les dysfonctionnements qu'entraînait la RGPP, et notamment l'absence totale de concertation avec les représentants des fonctionnaires.

Puisque vous teniez aujourd'hui un séminaire gouvernemental sur ce sujet, vous pourriez utilement méditer le rapport voté la semaine dernière à une large majorité par le Conseil économique, social et environnemental, qui réclame la suspension temporaire de la RGPP. Nous ne manquerons pas de poursuivre ce débat, puisque notre collègue Christian Eckert doit remettre très prochainement un rapport sur le sujet.

À trop se concentrer sur la quête d'économies, dit l'avis du Conseil, la RGPP « engendre sur le terrain des désorganisations qui nuisent à la lisibilité et à l'efficacité de l'action publique […] et alimente la méfiance des citoyens à l'égard de l'État ».

J'ai souvent eu l'occasion de dire que la RGPP aurait pu être une politique intelligente. Encore eût-il fallu faire ce que vous n'avez pas fait : définir les missions, dialoguer avec les syndicats, ajuster les moyens aux missions. Au lieu de quoi, vous vous êtes limités à cet objectif absurde de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, pour en faire ce qui s'apparente, selon l'expression d'un syndicaliste que j'ai auditionné, « à une casse du service public ».

J'ai pu vérifier, lors d'un déplacement en province, que même dans un secteur où la règle du « un sur deux » ne s'appliquait pas, en l'occurrence la justice, la réforme, menée au pas de charge et sans concertation, avait conduit à de profondes désorganisations des services.

Dans ce domaine comme dans tous les autres, la réforme, pour vous, c'est toujours moins d'État, avec ce paradoxe qu'en cassant le secteur public vous cassez aussi la croissance. Le résultat, c'est que la part des dépenses publiques n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui : 56,6 % du PIB en 2010 contre 52,6 % en 2007.

Austérité aveugle du côté des recettes également : au lieu de supprimer des niches injustes et inefficaces, votre gouvernement accumule les nouveaux prélèvements. Après avoir augmenté la CSG, taxé les mutuelles, créé de nouvelles taxes, vous augmentez l'impôt le plus injuste, la TVA.

De plus, en n'indexant pas son barème, c'est une hausse injuste de l'impôt sur le revenu que vous programmez : elle représentera 1,6 milliard en 2012 et 3,16 milliards en 2013.

Là où la réforme fiscale qui s'imposait consistait, comme nous allons le proposer par voie d'amendements, à supprimer des prélèvements forfaitaires, à plafonner l'ensemble des niches et à relever à 45 % le taux marginal de l'impôt, vous préférez faire entrer des contribuables modestes dans l'impôt sur le revenu.

Comment ne pas mettre en regard du 1,8 milliard d'augmentation de la TVA, qui pèsera, vous le savez, sur les plus modestes, le 1,8 milliard de cadeau fiscal aux plus fortunés que vous avez consenti au début de l'été avec la réduction de l'ISF ? Et comme si cela ne suffisait pas, vous prenez prétexte de cette hausse de TVA pour supprimer la taxe sur les hôtels de luxe, qui n'aura, de ce fait, vécu que deux mois. Résultat, les sandwiches qu'on achète à midi dans les boulangeries seront taxés au même taux que les séjours dans les hôtels de luxe. Belle illustration de votre conception de la justice fiscale !

Au total, et contrairement au discours gouvernemental, les hausses d'impôts représentent plus de 60 % des mesures cumulées de réduction du déficit, comme le souligne le rapporteur général du budget.

Cette politique, qui aggrave la situation de l'emploi, du pouvoir d'achat et de la croissance pour tenter de réduire le déficit, est une impasse.

Il faut, bien sûr, réduire les déficits, et ramener celui des finances publiques à 3 % du PIB en 2013 est nécessaire pour deux raisons. La première est qu'il s'agit d'un engagement européen de la France. La seconde tient au fait que, dans la situation que nous allons connaître en 2012-2013, avec une croissance pratiquement nulle et une dette égale à 86 % du PIB, le seuil de déficit qui arrête l'explosion de la dette est proche de 3 %. Mais si l'on se contente d'une politique d'austérité, en coupant dans les dépenses ou en inventant de nouveaux impôts, comme vous le faites, le seul résultat sera d'aggraver la récession en cassant un peu plus la croissance, rendant ainsi encore plus difficile la réduction des déficits.

On ne réduit pas les déficits par une politique d'austérité mais par une politique macroéconomique complète qui s'attaque simultanément à tous les déficits. L'emploi, la justice fiscale, le soutien à la croissance, voilà ce qui manque cruellement dans le projet de loi de finances comme dans ce deuxième plan de rigueur. Ces plans successifs prétendent répondre à l'inquiétude des marchés ; ils ne font qu'aggraver l'inquiétude des Français et la défiance des marchés.

Quant à l'excuse de la crise, que vous n'avez de cesse de mettre en avant, elle ne tient pas.

Bien sûr, la crise est là, mais elle n'est pas la principale responsable du déficit : c'est votre politique. Ce n'est pas la crise seule qui explique l'ampleur du chômage, mais une politique absurde de soutien aux heures supplémentaires quand il faudrait au contraire soutenir l'emploi. Et la crise n'est pour rien dans le déficit extérieur record de notre pays, quand l'Allemagne accumule 150 milliards d'excédents.

Selon la Cour des comptes, sur les 140 milliards de déficit de l'année 2010, seuls 40 milliards étaient de nature conjoncturelle. Le reste, 100 milliards, représentait un déficit structurel, c'est-à-dire celui que la France aurait connu si la croissance avait correspondu à la croissance potentielle, c'est-à-dire s'il n'y avait pas eu la crise. Ce déficit structurel est le résultat d'une politique irresponsable accordant des cadeaux fiscaux aux plus fortunés quand il fallait, au contraire, mettre à profit la croissance qui précédait la crise pour réduire les déficits.

Il suffit, d'ailleurs, de comparer notre situation à celle de nos voisins allemands pour réaliser que la crise n'est pas la principale cause des difficultés de notre pays. En 2005, la France et l'Allemagne avaient toutes deux un déficit excessif, c'est-à-dire supérieur à 3 % du PIB. Mais, alors que l'Allemagne a profité de la période de croissance qui précédait la crise pour le ramener à zéro en 2008, la France l'a laissé dériver et a abordé la crise avec un déficit excessif de 3,3 % en 2008. En conséquence de quoi, au plus fort de la crise, il atteignait 7,5 % du PIB chez nous alors qu'il n'était que de 3,3 % en Allemagne, où il sera de 2 % cette année contre 5,7 % en France.

Il en est de même en matière de chômage. À la veille de la crise, à l'été 2008, nos deux pays avaient exactement le même taux de chômage : 7,5 %. Aujourd'hui, l'Allemagne approche des 6 % alors que, en données harmonisées, la France tourne autour de 10 %.

Pendant toute cette période, l'Allemagne a utilisé tous les instruments à sa disposition pour limiter la progression du chômage : recours massif au chômage partiel et réduction du temps de travail. C'est ainsi que, au plus fort de la crise, les salariés ont pu rester dans l'entreprise, ce qui a permis à l'Allemagne, après la première récession, de redémarrer fortement en 2010.

La France a, au contraire, maintenu cette politique absurde de subvention aux heures supplémentaires dans une situation de chômage, dont le seul impact aura été la destruction d'emplois avec un bilan nul en termes de pouvoir d'achat. Toutes les analyses des effets de cette politique, dans cette conjoncture précise, montrent que les gains de revenu des salariés faisant des heures supplémentaires sont totalement annulés par les pertes de revenu de ceux qui se retrouvent au chômage.

Notre pays connaît aujourd'hui un déficit extérieur sans précédent de 75 milliards d'euros alors que la France enregistrait entre 1995 et 2002 des excédents compris entre 20 et 30 milliards d'euros.

Si l'Allemagne connaît 150 milliards d'excédents et la France 75 milliards de déficit, ce n'est pas en raison du niveau des salaires, ils sont identiques dans les deux pays ; ni du temps de travail, les Allemands travaillent en moyenne 35,5 heures par semaine quand les Français travaillent 38 heures. C'est le fait d'une politique industrielle qui n'a jamais faibli en Allemagne.

L'absence de politique industrielle depuis dix ans laisse béantes les deux grandes faiblesses de notre industrie. Tout d'abord, l'écart trop important entre les grandes entreprises, parfaitement insérées dans la mondialisation, et les petites et moyennes entreprises, peu présentes sur les marchés extérieurs. Ensuite une gamme de produits trop peu sophistiquée, ne reposant pas suffisamment sur l'innovation, ce qui rend les exportateurs français, plus que d'autres, vulnérables aux variations de prix, donc au cours de l'euro et à l'évolution des coûts salariaux.

Bref, ce n'est pas par une politique de bas salaires que la France développera son industrie mais par une politique de financement de l'investissement et de l'innovation, en relation avec les pôles de compétitivité des régions, pour permettre aux PME de s'insérer pleinement au côté des grands groupes dans la mondialisation. Car le formidable déficit de compétitivité français, c'est d'abord un déficit de stratégie industrielle.

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