Concernant la remise en cause des pouvoirs en place, à l'exception du Bahreïn, elle n'est pas d'actualité du fait des clivages tribaux et ethniques. La monarchie constitue une puissance supra-tribale, un tiers séparateur à « égale distance », du moins en théorie, de toutes les forces en place. D'un point de vue sociologique et organisationnel, les familles régnantes sont si puissantes, si intégrées dans la société à travers le clientélisme et les alliances matrimoniales, le contrôle des ressources notamment, qu'elles ne seront pas remises en cause à court ou moyen terme. Cette possibilité n'est envisageable que si des conflits au sein des familles conduisaient à leur affaiblissement.
Concernant les perspectives économiques des pays du Golfe, elles sont réduites en dehors du pétrole et du gaz. Les seules perspectives sont éventuellement l'agriculture séculaire et surtout le développement du tourisme. Pour l'Arabie saoudite, il s'agit du pèlerinage, qu'on tend à développer avec la construction d'infrastructures entre la Mecque, Médine et Jeddah pour pouvoir créer une sorte circuit religieux complet et recevoir des millions de personnes avec toute la panoplie d'activités les incitant à dépenser et à rester sur place le plus longtemps possible après l'accomplissement des rituels religieux.
S'agissant du prince héritier Nayef, il est déjà, de facto, le Roi. C'est la raison principale qui explique la décision rapide de la Ligue arabe : il n'y a pas eu de diplomatie parallèle créant des dissensions mais au contraire convergence autour de Nayef qui contrôle la quasi-totalité du pouvoir avec l'affaiblissement du Roi Abdallah. Nayef n'est pas un conservateur. L'idée qu'il serait sous l'emprise des forces obscurantistes est erronée. D'abord elles sont faibles en Arabie saoudite contrairement à une idée reçue, ensuite Nayef est avant tout un pragmatique. Une fois Roi, il nous étonnera car cette fonction le conduira vraisemblablement à transmettre le pouvoir à l'un de ses fils. Il fera tout pour lui faciliter la tâche, notamment en mettant en place des réformes et en renforçant la présence saoudienne dans le domaine régional.
La police religieuse est un des grands mythes de l'Arabie saoudite. J'ai pu avoir accès aux statistiques des interventions, du budget et des effectifs du Comité du commandement du bien et de l'interdiction du mal, le véritable nom de ce qu'on appelle en Occident police religieuse, et il apparaît qu'ils ne sont que 5 000 personnes pour une population de 27 millions d'habitants, soit un rapport de 0,01 agent pour 1000 habitants. Ils sont donc quasiment absents de l'espace public. C'est un phénomène virtuel à travers lequel le pouvoir espère maintenir l'ordre mais surtout la cohésion de la classe dominante. Cette police morale n'intervient massivement que dans les régions où le Wahhabisme est majoritaire, c'est-à-dire le Nadjd dont sont originaires plus de 70 % des élites saoudiennes. Elle est en outre sous le contrôle de l'Etat. Il n'y a pas d'infiltration des Frères musulmans dans ses rangs. Ces derniers sont d'ailleurs marginalisés depuis la seconde moitié des années 1990, malgré la réhabilitation des repentis.
Concernant le lien entre hétérogénéité des populations et révolutions, c'est en général plutôt l'homogénéité des populations qui crée les révolutions. Les révolutions naissent souvent de l'homogénéisation d'une partie de la population qui se soulève contre un corps mystique qui l'unissait. Le conflit à Bahreïn est un conflit social qui est traduit en problème religieux. Il n'est pas du à l'hétérogénéité. Cette dernière est plutôt stabilisante. Le Roi Abdallah utilise ainsi sur les clivages de la société pour monter les uns contre les autres et jouer les arbitres.
Le Wahhabisme est une des doctrines musulmanes les plus adaptables à la réalité. C'est une religion individuelle et malléable, comme en atteste les changements intervenus au XXème siècle. La position à l'égard des femmes a beaucoup évolué. Sur la question de la conduite par exemple, des Oulémas parmi les plus importants ont dit qu'il s'agissait d'une question sociale et non pas religieuse ; c'est la famille royale qui est à l'origine des blocages. Les Oulémas peuvent être favorables à la démocratie en tant que mécanisme permettant l'alternance, mais pas en tant qu'idéologie libérale.
Concernant enfin les populations étrangères, il est exact qu'il s'agit d'une question explosive dans les petits émirats. Deux processus sont à venir : la hausse des revendication de ces populations et l'augmentation de la population saoudienne, estimée de 27 à 40 millions de personnes, qui se traduira par une exportation de main d'oeuvre dans la région au détriment des populations étrangères établies.