À chaque fois que ces produits étaient vendus aux entreprises, une alerte figurait en dernière page des contrats, soulignant leur absence de liquidité ; Les banquiers s'étaient entendus pour qu'aucun contrat de prêt structuré passé avec une collectivité territoriale ne comporte cette mention. Ces contrats, c'était la poule aux oeufs d'or ; ils ont d'ailleurs fait l'âge d'or de Dexia mais aussi de la Société générale et d'autres établissements financiers intervenus sur ce marché après les années 2000. Cela n'a jamais été dit, sinon par l'auteur anonyme d'un opuscule intitulé Confessions d'un banquier pourri, selon lequel les produits vendus aux collectivités locales avaient pour acronyme interne « POTT », autrement dit : « Prends l'oseille et tire-toi »… Cela dit tout de la volonté des banques de réaliser des marges exorbitantes sur ces prêts dont la particularité est d'être établis pour plus de trente ans – les entreprises empruntent plutôt à dix ans.
On a commencé par introduire dans les contrats un petit virus qui a créé quelques difficultés, ce qui a permis de vendre ensuite au client un produit un peu plus risqué, puis un autre qui l'était davantage, la banque prenant sur chaque opération une marge complémentaire. Déjà, les premiers produits structurés qui, n'étaient pas très risqués, prévoyaient une marge de 50 centimes alors que la marge sur les prêts consentis jusqu'alors était de l'ordre de 5 centimes, 10 centimes au plus ; l'amélioration de la marge était donc sensible d'emblée. De surcroît, alors que les mécanismes proposés étaient de plus en plus risqués, le banquier a toujours présenté le gain d'intérêt qui avait été réalisé mais masqué à chaque vente la perte en capital. Les collectivités n'ont jamais été informées que si elles étaient conduites à rembourser ces contrats par anticipation elles encourraient une pénalité comprise dans une fourchette de 10 à 30 % sur le capital restant dû. Par un effet boule de neige voulu, plus nombreux étaient les produits à taux structurés vendus, plus sûres étaient les banques de voir leurs clients revenir, contraints de négocier sans contrepartie. Le virus ayant été inoculé, on a dérivé peu à peu vers des produits à ce point « exotiques » que les banques elles-mêmes ne maîtrisaient plus ce qu'elles vendaient. Quelques brillants matheux avaient mis au point une « machine à cash » qu'il n'y avait aucune raison de jamais arrêter ; d'ailleurs, on ne pouvait pas l'arrêter, car l'essence même du produit était de jouer contre les marchés - ce que le banquier n'a jamais expliqué à la collectivité. Le modèle financier suivi étant mauvais – une période de remboursement de trois ou quatre ans à taux fixe faible, voire à taux nul avant les élections, suivie d'une période de remboursement à des taux progressifs explosifs pour restaurer la marge –, on allait dans le mur.
La volonté de tromper de certains banquiers – pas tous – est évidente. Des renégociations en série ont eu lieu, en Bretagne par exemple, qui ont conduit de multiples petites collectivités à passer d'un produit risqué à un autre qui l'était plus encore, avec une même date d'échéance : la banque, parce qu'elle avait certainement pris des options pour des centaines de millions d'euros, a vendu ces produits en bloc. Et l'on exige aujourd'hui de petites collectivités qui veulent se débarrasser de produits fondés sur l'évolution du taux de change entre le yen et le dollar ou l'euro et le franc suisse une pénalité pour remboursement anticipé de 7 millions d'euros, pour un encours de 3 millions !
Le mécanisme était très organisé et les banquiers, qui avaient une connaissance approfondie des marchés, trouvaient pour interlocuteurs bien peu de spécialistes capables de dire « non » à leurs propositions. Et lorsqu'il se produisait qu'un directeur financier refuse ces produits, on le court-circuitait en traitant avec l'adjoint aux finances puis, si besoin était, avec le maire directement. Tout a été fait pour que les collectivités signent ces contrats. Ensuite, on la flambée de l'Euribor a fait peur, et cela a permis aux banquiers d'enchaîner les marges successives. La volonté de tromper me semble évidente.