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Intervention de Catherine Lemorton

Réunion du 22 novembre 2011 à 21h30
Renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Lemorton :

Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à saluer, au nom du groupe socialiste, radical et citoyen, l'engagement que vous venez de prendre au sujet de cette nomination, qui fait débat, au sein de la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Lors du premier examen du projet de loi par notre assemblée, j'avais souligné l'état d'esprit dans lequel les membres du groupe SRC se trouvaient et leur volonté de proposer aux Français un texte efficace pour éviter que ne se reproduise un scandale comme celui du Mediator. À la conclusion de nos débats, j'avais donc expliqué pourquoi notre groupe, fidèle à cet état d'esprit – contrairement à ce que vous avez parfois malhonnêtement laissé entendre à propos de la commission mixte paritaire –, s'abstenait sur un texte qui, certes, contenait des avancées, mais demeurait encore trop perfectible, et laissait le soin à la nouvelle majorité du Sénat de l'améliorer.

Jamais nous n'avons été d'accord sur l'ensemble de votre projet de loi, étant intimement convaincus que l'ampleur du problème à régler imposait des mesures bien plus fortes que celles que vous proposiez. Parce que nous avions confiance en la nouvelle majorité du Sénat, nous nous étions abstenus, par esprit d'ouverture, pour donner une seconde chance à ce texte. Nous avons eu raison, puisque le texte fut largement amélioré, dans le sens d'un renforcement de la sécurité sanitaire des produits de santé.

Cette chance, la majorité gouvernementale a décidé de ne pas la saisir. En trouvant un argument de désaccord incompréhensible sur le fond – j'y reviendrai –, les groupes de la majorité présidentielle, l'UMP et le Nouveau Centre, ont prouvé les limites de leur indépendance vis-à-vis de je ne sais quelle force, force néanmoins capable de les aider à faire échouer la CMP. Cet échec était d'ailleurs annoncé, puisque nous avions reçu, avant même la tenue de la commission mixte paritaire, une convocation de la commission des affaires sociales. Dès lors, nous vous l'annonçons dès à présent : si vous ne votez pas cette motion de renvoi en commission, nous discuterons de ce texte mot à mot, article après article.

S'agissant de l'article 1er, je tiens d'abord à souligner vos contradictions. Lorsque vous nous indiquez qu'il est quasiment impossible de trouver des experts à la fois compétents et indépendants – la compétence ne pouvant s'acquérir, selon vous, qu'au détriment de l'indépendance –, tout en refusant que la constitution d'un corps d'experts indépendants au sein de l'ANSM fasse l'objet d'un rapport, vous vous empêchez de vérifier la véracité de vos affirmations, ce qui tend à prouver que celles-ci sont soit erronées, soit farfelues. Je vous mets au défi de dire, les yeux dans les yeux, aux pharmacologues des centres de pharmacovigilance régionaux, qui travaillent de manière indépendante des firmes pharmaceutiques, qu'ils sont incompétents.

Ensuite, il me semble que le texte de la commission ne va pas suffisamment loin, notamment pour le temps d'analyse des conflits d'intérêts des présidents des grands établissements ou instituts relatifs à la santé. Pourquoi ne pas étendre cette analyse aux trois années précédant la prise de fonctions ? Faut-il rappeler qu'il s'agit de s'assurer de l'indépendance de personnes qui seront amenées à jouer un rôle très important dans notre système de pharmacovigilance ?

Ainsi, il pourrait naturellement être demandé au nouveau président de la Haute autorité de santé d'indiquer si son service a touché de l'argent pour la réalisation d'essais cliniques – ce qui est tout à fait logique –, voire s'il a été rémunéré à titre personnel. Cela a du reste été fait, monsieur le ministre, puisque nous avons auditionné le président, qui a ensuite déclaré ses liens d'intérêts. Or – et je ne mets pas en cause sa personne – le montant des sommes qu'il a lui-même touchées laisse perplexe, je vous le dis sincèrement.

Pourquoi également ne pas aller plus loin dans la procédure de publicité et de conservation des débats ? Pourquoi refuser de garder par exemple les opinions minoritaires, qui peuvent s'avérer justes en cas de problème de pharmacovigilance ? Pourquoi ne pas inclure les groupes de travail préalables dans le dispositif ? Ne serait-ce pas prendre le mal à la racine ? Quelle raison objective et politiquement défendable peut justifier une telle partialité ? Pourquoi encore renvoyer à une « charte » la définition des modalités de choix des experts, du processus d'expertise, des rapports entre expertise et pouvoir de décision, de la notion et des cas de conflits d'intérêts ? On sait ce que valent ces chartes : elles ne sont pas opposables. Qu'il s'agisse de la charte de l'agroalimentaire ou de celle de la visite médicale, on a vu où cela nous a menés. Pourquoi ne pas créer plutôt une expertise véritablement indépendante au lieu de vous contenter de belles paroles ? Où est la volonté politique si fortement affirmée à la conclusion des assises du médicament ? Elle existe, mais elle n'est pas suffisamment forte.

Autre point faible de ce texte : le pantouflage, dont nous n'avons pas vraiment discuté. Comment laisser perdurer une pratique qui favorise intrinsèquement les conflits d'intérêts ? Comment justifier que des ministres ou des secrétaires d'État à la santé pantouflent dans l'industrie pharmaceutique ou dans des fondations qui en dépendent ? Excusez-moi de personnaliser, mais il est bon de prendre des exemples concrets. Comment expliquer qu'un ancien directeur général de l'INPES puisse passer à la direction générale du LEEM, le syndicat des entreprises du médicament, sans que cela pose problème ? Cette situation est-elle acceptable ? Peut-être, mais elle devrait préalablement faire l'objet d'un examen de la commission de déontologie. Or, je ne suis pas certaine qu'un tel examen ait eu lieu à l'époque. Le texte permet-il de mettre fin aux dérives qui ont pu être à l'origine de ces scandales ? Nous sommes loin d'en être sûrs et nous aurions aimé que la majorité gouvernementale puisse faire preuve d'un peu plus de courage pour réformer cette pratique qui jette le discrédit sur de nombreuses institutions.

S'agissant des avantages, force est de constater que le texte de la commission est en deçà des propositions émises par le Sénat. Dois-je vous rappeler une énième fois le précédent créé par l'industrie pharmaceutique au sein de la faculté de médecine et de pharmacie de Clermont-Ferrand ? Dois-je vous rappeler le poids pris par les industriels au sein des facultés dans la formation de nos futurs médecins, pharmaciens ou sages-femmes – bref, futurs prescripteurs – depuis la loi dite « d'autonomie » des universités ? Dois-je enfin vous rappeler le recours aux groupements d'étudiants, qui constituent le moyen de leur faire parvenir des subventions ?

Les sanctions pénales que vous proposez sont hors de proportion – et pourraient même faire rire, si le sujet n'était aussi grave – avec les résultats nets des industries pharmaceutiques. Comment oser prévoir de condamner à des peines d'amende de 45 000 euros les industries qui contreviendraient à la loi en ne déclarant pas les conventions passées ou en faisant de fausses déclarations, quand ce comportement va leur permettre de générer des chiffres d'affaires de l'ordre de 260 millions d'euros, comme cela a été le cas avec les anti-Alzheimer ? Mes chers collègues de la majorité, monsieur le ministre, je suis au regret de vous dire que vous venez d'inventer le forfait d'entrée à la fraude ! Grâce à vous, un industriel pourra désormais décider de régler 45 000 euros pour se dispenser de déclarer ses conventions…

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