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Intervention de Philippe Tourtelier

Réunion du 17 novembre 2011 à 11h00
Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Tourtelier, rapporteur :

En accord avec Alain Gest, je vous présenterai nos conclusions au nom des deux rapporteurs, ces conclusions étant parfaitement communes. Nous avons conclu dans notre rapport d'information publié en juillet 2010 que s'il convenait de conserver le principe de précaution, il était néanmoins opportun d'en préciser le champ d'application, en indiquant notamment que celui-ci devait être étendu au domaine de la santé, et de mieux en définir l'organisation, de façon à éviter des jurisprudences et des pratiques divergentes.

Nous proposions la mise en oeuvre d'une procédure globale, en quatre étapes, encadrant l'usage de ce principe, dans le domaine environnemental comme dans le domaine sanitaire.

Première étape : l'analyse du risque. Nous proposions en la matière de confier l'identification des risques plausibles à une instance ad hoc, qui pourrait être l'actuel Comité de la prévention et de la précaution. Si le risque est considéré comme plausible et relevant de l'application du principe de précaution, un référent indépendant, bien identifiable pour l'ensemble des acteurs, y compris l'opinion publique, chargé de piloter la procédure, devrait alors être désigné par cette instance.

Deuxième étape : une double expertise, faisant appel, d'une part, à des scientifiques spécialistes du sujet concerné, et, d'autre part des philosophes, des économistes et des spécialistes de l'éthique.

Troisième étape : l'organisation d'un débat public, s'appuyant sur les procédures et instances existantes.

Quatrième étape : à l'issue de la procédure, il revient bien entendu aux autorités publiques de prendre les décisions qui s'imposent. Tout d'abord, la promotion de la recherche afin de mieux cerner le risque et réduire l'incertitude car le principe de précaution est bien un principe d'action. Ensuite, la mise en oeuvre de mesures, proportionnées et provisoires, afin de limiter le risque hypothétique.

Depuis la publication de notre rapport d'information, il y a près d'un an et demi, le principe de précaution a été invoqué au moins à deux reprises dans le domaine environnemental, confirmant d'ailleurs les interrogations que nous avions exprimées.

Tout d'abord, sur le sujet des gaz et huile de schiste. À l'inverse de ce qu'aurait exigé le principe de précaution, lequel, il faut le rappeler, n'est pas un principe d'urgence, on a légiféré dans la précipitation, sous le coup de l'émotion, sur le fondement d'arguments à la rationalité incertaine. Une mission d'information parlementaire a été créée, une expertise technique demandée. Hélas, avant même que leurs conclusions ne soient connues, une loi était adoptée. Les débats ont toutefois montré qu'on avait avancé sur la distinction à opérer entre précaution et prévention. Dès lors qu'un risque est avéré, il ne s'agit en effet plus de précaution, mais de prévention.

Sur le sujet des organismes génétiquement modifiés (OGM), la Commission européenne a proposé une évolution de la législation communautaire. Une proposition de règlement, en cours d'examen, fournirait une base juridique autorisant les États membres à restreindre ou interdire, sur tout ou partie de leur territoire, la culture d'OGM autorisés à l'échelon de l'Union. La Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 8 septembre 2011, qui mériterait d'ailleurs d'être analysé plus en détail, pose des exigences qui seraient satisfaites par la mise en oeuvre de la procédure que nous préconisons. Ces exigences ont pour corollaire le renforcement des recherches dans le domaine des biotechnologies, lesquelles, après avoir été un temps délaissées, font de nouveau l'objet de projets, notamment dans le cadre des financements prévus pour les investissements d'avenir, ainsi que l'Agence nationale de la recherche (ANR) nous l'a confirmé. Certaines prises de conscience mais aussi le soin mis par les chercheurs à démontrer leur sens des responsabilités n'y sont pas non plus étrangers.

Mais c'est dans le domaine sanitaire que le principe de précaution a été le plus invoqué. Tout d'abord, pour la grippe A (H1N1). Une partie du débat au sein de la commission d'enquête de l'Assemblée sur la campagne de vaccination contre la grippe A a porté sur le fait de savoir s'il s'agissait de précaution ou de prévention, les avis des experts eux-mêmes divergeant. Nous avons, pour notre part, soutenu qu'il s'agissait de prévention au niveau collectif, et de précaution au niveau individuel, dans la mesure où on ignorait la réactivité individuelle au vaccin. Dans le domaine du médicament, à l'interface de l'individuel et du collectif, il est en effet difficile de trancher.

Le principe de précaution a également été cité dans l'affaire du Mediator. L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a ainsi pointé dans son rapport que l'absence de culture du principe de précaution avait conduit à ce que le doute bénéficie non au patient, mais à la firme pharmaceutique. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a, pour sa part, soutenu qu'elle ne disposait pas de tous les instruments juridiques nécessaires pour retirer certains médicaments du marché, et que chaque retrait d'AMM (autorisation de mise sur le marché) entraînait des années de contentieux. Le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, en cours de navette, a justement pour objectif de transposer en droit français les dispositions d'une récente directive européenne sur deux points : l'inversion de la charge de la preuve en faveur du patient et la réévaluation régulière des AMM.

C'est dans le cas des perturbateurs endocriniens qu'on s'est le plus approché de la démarche globale que nous préconisions. Certes, le débat public est demeuré plutôt circonscrit au Parlement et aux spécialistes. Mais il y a bien eu moratoire, demande d'un rapport et attente de ses conclusions avant que des dispositions législatives ne soient adoptées.

Dans le cas des antennes relais de téléphonie mobile, le débat public, ouvert depuis longtemps sans avoir été jamais véritablement organisé, se poursuit. Divers travaux de recherche ont été menés sur le plan tant national qu'international, mais les décisions des juridictions continuent de poser question. On se souvient de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, rendu le 4 février 2009, qui, sans se réclamer explicitement du principe de précaution, invoquait l'angoisse suscitée chez les riverains pour demander le démontage d'une antenne. Depuis, dans une affaire similaire, la Cour d'appel de Montpellier a, elle, fait expressément référence au principe de précaution pour exiger le démontage, s'appuyant sur la seule étude intitulée « Bio Initiative », datant de 2007, mais ignorant l'étude « Interphone » de 2011, qui a pourtant établi que si danger il y a, celui-ci ne provient pas tant des antennes, que des téléphones eux-mêmes : la cour n'a pas pris compte les résultats de cette étude, alors même qu'ils étaient déjà publiés.

Le Conseil d'État également a opéré un revirement de jurisprudence important pour les élus locaux. Il a en effet annulé les arrêtés municipaux visant à réglementer l'implantation des antennes relais, pris sur le seul fondement de la compétence de police générale des maires. En effet, si les maires ont un pouvoir en matière d'urbanisme pour réglementer l'implantation de ces antennes, il ne leur appartient pas de prendre sur ce point de mesures au nom de la protection de la santé publique car, dans le domaine des télécommunications, une police administrative spéciale (confiée à l'Arcep) en a seule le pouvoir.

J'en viens aux suites données par le Gouvernement aux recommandations de notre rapport. Les ministères concernés se sont impliqués de manière très inégale. Moins d'un mois après sa prise de fonctions au ministère de l'Écologie, du développement durable, des transports et du logement, Nathalie Kosciusko-Morizet nous avait répondu et proposé de travailler avec le Commissariat général au développement durable, ce que nous avons fait avec Mmes Michèle Pappalardo, puis Dominique Dron. Les échanges ont été très riches. Les points de vue ont pu être rapprochés, même si des désaccords demeurent, et le travail mené a été de grande qualité. Une approche ministérielle dans un domaine comme celui-là présente toutefois des limites.

Le ministère de la recherche a lui aussi été très actif, avec notamment l'élaboration d'une charte de l'expertise. Nous avons également pu travailler avec lui de manière approfondie.

Il faut en revanche déplorer le silence du ministère chargé de la santé. Mme Roselyne Bachelot puis M. Xavier Bertrand ont bien accusé officiellement réception de notre rapport, mais il n'a été possible de développer aucun contact de travail avec leurs équipes. C'est ce que signifie notre rapport lorsque nous disons pudiquement que cette « réponse est attendue ». Nous n'avons pu rencontrer que le nouveau directeur général de l'Afssaps, avec lequel nous avons d'ailleurs eu un échange intéressant.

Nous avons noté un accord général sur l'organisation de la première étape de la procédure. Ainsi que je l'ai rappelé, nous avions proposé, afin de ne pas créer de nouvelle structure, que le Comité de la prévention et de la précaution soit chargé de l'identification des risques plausibles. Notre proposition d'élargissement de sa composition est envisagée favorablement. En revanche, celle de le rattacher aux services du Premier ministre pour lui donner une dimension interministérielle soulève plus de difficultés. Le ministère chargé du développement durable est bien sûr peu désireux que ce comité ne lui soit plus directement rattaché.

Qui doit saisir l'instance d'identification des risques ? La saisine pourrait émaner du Premier ministre lui-même ou de ses services, des administrations compétentes au niveau national, voire local, mais aussi d'un nombre minimal de parlementaires ou du Conseil économique, social et environnemental, ce qui permettrait de mieux associer les acteurs de la société civile. Cette question, de même que celle concernant la remontée des alertes, ne constitue pas un obstacle insurmontable. Le ministère chargé de la recherche a beaucoup travaillé sur le sujet. Ces aspects importants mériteraient cependant d'être développés au niveau interministériel.

Pour ce qui est de la deuxième étape, il importe de bien distinguer entre l'expertise scientifique proprement dite et ce qu'on appelle, par abus de langage, l'expertise citoyenne. Sur ce sujet également, le ministère de la recherche a beaucoup travaillé et des réseaux peuvent être facilement activés pour mobiliser une expertise de qualité. Le ministère a également le projet d'inclure l'enseignement du principe de précaution dans certains mastères et d'inciter aux recherches sur le sujet.

Il est apparu que mieux valait une expertise interdisciplinaire que pluridisciplinaire. En effet, alors que la seconde peut se contenter de juxtaposer les travaux émanant de plusieurs disciplines, la première exige un vrai dialogue entre scientifiques et spécialistes des sciences humaines, ce qui oblige les premiers à utiliser un langage compréhensible de tous, et d'ailleurs facilite le débat public ultérieur.

S'agissant de la délicate question des relations entre experts et parties prenantes, le ministère chargé du développement durable, habitué à discuter avec ces dernières dans le cadre du comité de suivi du Grenelle de l'environnement, aurait souhaité qu'elles soient associées à tous les stades. Le ministère chargé de la recherche entend, lui, que le temps de l'expertise soit bien distinct de celui de la consultation des parties prenantes. Un compromis est envisageable : les parties prenantes pourraient notamment contribuer à la formulation exacte de la saisine, de façon qu'elles ne se sentent surtout pas exclues et qu'elles puissent enrichir le débat. Il apparaît plus délicat qu'elles soient associées au choix des experts. Nous pensons, nous, qu'il faut en tout cas séparer le temps de l'expertise, y compris en sciences humaines, du reste.

Concernant le débat public, nous pensons que la Commission nationale du débat public (CNDP) devrait avoir plus de libertés pour organiser des consultations sous des formes innovantes. Le ministère chargé de la recherche a insisté sur certains principes méthodologiques, notamment la nécessité de mettre à disposition du public les documents complets issus de l'expertise, ce qui exigera de traiter la question de la confidentialité, qu'il s'agisse de secret défense ou de secret industriel.

Enfin, le décideur public doit, sur la base des conclusions, contradictoires ou consensuelles, des expertises, et des résultats du débat public, décider quelles recherches complémentaires sont nécessaires pour réduire le risque et quelles mesures « provisoires et proportionnées » se justifient – en disant pourquoi.

À l'issue de tout cela, nous jugeons nécessaires deux initiatives parlementaires. Tout d'abord, le dépôt d'une proposition de loi qui comporterait un article unique disposant expressément que le domaine de la santé relève du champ d'application du principe de précaution. Il semblerait toutefois que le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament satisfasse cette exigence, auquel cas cette proposition de loi deviendrait sans objet ; il faudra y regarder de plus près. Ensuite, pour éviter les jurisprudences discordantes et réconcilier expertise et débat public, une proposition de résolution, détaillant la procédure en quatre points que nous préconisons, serait opportune.

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