…nous proposons aujourd'hui d'améliorer, au moins, leurs conditions d'indemnisation. Notre ambition n'est pas démesurée – M. le ministre l'a d'ailleurs reconnu –, et elle va dans le sens du progrès social.
Les objectifs du texte que nous examinons sont au nombre de quatre. Le premier consiste à rapprocher du droit commun le régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail en conséquence d'une faute inexcusable ; le deuxième consiste à améliorer les conditions d'indemnisation des victimes de manière générale ; le troisième s'intéresse aux victimes confrontées à un taux d'incapacité permanente afin de mieux les indemniser ; enfin, le quatrième vise à mieux prendre en compte les maladies psychiques d'origine professionnelle dans le régime des AT-MP.
Le système actuel d'indemnisation des victimes d'accidents du travail repose encore largement sur les trois piliers de la loi de 1898 : la présomption d'imputabilité pour l'employeur, l'indemnisation forfaitaire des salariés et l'immunité civile de l'employeur, sauf en cas de faute intentionnelle ou inexcusable. Ce système a connu des évolutions au fil du temps : étendu à de nouvelles maladies professionnelles en 1919, il a surtout fait l'objet d'une prise en charge collective de l'indemnisation forfaitaire des victimes par la sécurité sociale à partir de 1946.
Ce régime d'indemnisation spécifique et dérogatoire du doit commun pour les victimes d'accidents du travail est, bien sûr, un acquis social important, tout du moins en ce qui concerne son premier volet : il leur permet d'obtenir une réparation forfaitaire automatique en l'absence de toute faute de la part de l'employeur, en contrepartie de quoi cette indemnisation est partielle. La branche AT-MP a ainsi dépensé, en 2010, quelque 8 milliards d'euros au titre de la réparation des accidents professionnels.
En revanche, les dispositions législatives régissant l'autre volet du système, relatif à la faute inexcusable de l'employeur, sont désormais inadaptées ce qui justifie notre proposition de loi. Les récentes évolutions de la jurisprudence nous incitent du reste à les modifier. En 2005, la Cour de cassation a élargi la définition de la faute inexcusable : celle-ci est dorénavant caractérisée à partir du moment où l'employeur n'a pas respecté « l'obligation de sécurité de résultat », c'est-à-dire quand « il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ».
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 18 juin 2010, que l'énumération des préjudices susceptibles d'être réparés en cas de faute inexcusable, figurant à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, revêt un caractère limité qui n'est pas constitutionnel. Cette limitation pourrait en effet aboutir à une atteinte disproportionnée aux droits à indemnisation des victimes de la faute inexcusable, qui ne seraient alors pas indemnisés de la même manière que, par exemple, les victimes d'un accident de la route ou d'un accident médical.
Les victimes d'accidents du travail sont, en France, les seules victimes d'un dommage corporel à ne pas être intégralement indemnisées de leur préjudice : c'est ce qui ressort des conclusions du livre blanc de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la FNATH.
Par exemple, les indemnisations actuelles ne couvrent pas les frais éventuels dits de compensation du handicap : l'aménagement du logement et du véhicule, ou encore la toilette quotidienne. C'est pourquoi nous voulons, au travers de l'article 2 de cette proposition de loi, permettre à un salarié victime d'une faute inexcusable d'obtenir la réparation intégrale des préjudices qu'il a subis.
Notons bien qu'il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause le compromis de 1898, qui a abouti au régime d'indemnisation forfaitaire et automatique. La réparation intégrale du préjudice ne se justifie que dans le cas où la faute inexcusable est avérée, c'est-à-dire au-delà des procédures d'indemnisation automatique habituelles, qui ne nécessitent pas de prouver la faute de l'employeur. C'est justement pour la sauvegarde de ce compromis que le Parlement ne peut ignorer les évolutions de la jurisprudence.
En effet, en l'état actuel de la législation, la Cour de cassation a considéré, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, qu'il fallait, pour les nouveaux préjudices non visés par l'énumération, revenir à une démarche de droit civil, comme l'a rappelé Alain Vidalies. Cela signifie que la victime devrait s'adresser directement à l'employeur, ce qui serait une négation de la forme particulière de l'indemnisation des accidents du travail. Nous manquerions donc à notre devoir en ne modifiant pas la législation.
En conséquence des évolutions de jurisprudence qui élargissent le champ de la faute inexcusable, le principe de la réparation intégrale va immanquablement aboutir à une augmentation de la responsabilité financière des employeurs. Les conséquences financières dramatiques d'une telle situation pour une entreprise ont progressivement conduit le législateur à autoriser les employeurs à s'assurer dans ce domaine, notamment par la loi du 27 janvier 1987.
Aujourd'hui, l'élargissement de l'interprétation de la faute inexcusable, et le fait que nous arriverons inévitablement, dans un futur plus ou moins proche, à une réparation intégrale pour les victimes, nous conduisent à demander que cette assurance soit obligatoire. C'est l'objet du premier article de la proposition de loi.
Nous souhaitons enfin revenir sur le délai de prescription de deux ans qui s'applique pour engager une action en justice en vue de la reconnaissance d'une faute inexcusable. Nombreux sont les salariés victimes d'une rechute qui n'ont pu saisir la justice, ce délai étant forclos. Pourtant, les évolutions récentes de la jurisprudence ouvrant une interprétation élargie de la faute inexcusable devraient leur permettre d'obtenir cette reconnaissance. Il nous semble donc opportun de revenir sur ce délai.
Le deuxième objet de la proposition de loi consiste à améliorer de manière générale l'indemnisation forfaitaire des victimes d'accidents du travail. Mes chers collègues de la majorité – car j'en vois tout de même un ! –, vous avez fait diminuer le montant des indemnités versées aux victimes d'accidents du travail à partir de l'année 2010 en les fiscalisant au titre de l'impôt sur le revenu pour 50 % de leur montant. Nous considérons pour notre part qu'une victime d'un accident du travail ne devrait pas recevoir une indemnité journalière inférieure à son dernier salaire. Alors qu'elle subit déjà un préjudice en raison de son état de santé, elle ne devrait pas subir de surcroît un préjudice financier : c'est une sorte de double peine.
Il conviendrait aussi, dans le cadre d'une amélioration globale de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, d'améliorer l'indemnisation de celles qui sont atteintes d'une infirmité permanente après la consolidation de leur blessure ou de leur maladie. C'est le troisième objet de la proposition de loi.
Quant au quatrième objet de ce texte, il est d'une actualité prégnante, puisque c'est au cours de la décennie 2000 que cette thématique a été portée sur le devant de la scène : je veux parler du stress, du harcèlement et de l'épuisement professionnels. On a vu où avaient pu mener les nouvelles pratiques managériales dans des entreprises comme France Télécom. Les partenaires sociaux européens ont d'ailleurs signé dès 2004 un accord sur le stress au travail, transposé dans le droit français par la signature de l'accord national interprofessionnel sur le stress du 2 juillet 2008. Cet accord précise clairement que l'employeur est responsable de la santé mentale des salariés dans l'entreprise, au même titre que de leur santé physique, et que la médecine du travail a pour rôle d'identifier les situations de stress professionnel. La violence et le harcèlement au travail font par ailleurs l'objet d'autres accords interprofessionnels en cours de discussion.
Il est donc particulièrement pertinent de vouloir assurer dans le régime spécifique d'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles une meilleure prise en compte des risques psychosociaux. Aujourd'hui, il n'existe pas de tableau annexé au code de la sécurité sociale regroupant les maladies psychiques d'origine professionnelle. En attendant de disposer d'un tel tableau, nous souhaitons que les salariés qui en sont victimes puissent faire reconnaître que leur maladie est liée à leurs conditions de travail, sans qu'il en résulte nécessairement un taux d'incapacité permanente partielle au moins égal à 25 %. Le lien de causalité direct entre la maladie et le travail doit suffire pour leur ouvrir droit à indemnisation.
On ne peut évidemment laisser perdurer une situation où tout le monde convient de la réalité de ces maladies, mais où elles ne sont pas, ou si peu, prises en compte dans le cadre de l'indemnisation des victimes de maladies professionnelles.
Je veux enfin rappeler, me tournant vers les bancs vides – ou quasiment – de l'UMP,…