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Intervention de Catherine Quéré

Réunion du 9 novembre 2011 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Quéré, rapporteur :

Monsieur Kert, je retire mes propos.

Il n'en reste pas moins que nous parlons ici de dispositions notoirement inconstitutionnelles, qui remettent en question le principe d'égalité devant la loi.

Je vous rappelle que la liberté de la presse et la liberté d'expression n'ont jamais impliqué la liberté d'injurier ou de diffamer, et que la presse n'est d'ailleurs que marginalement concernée par les propos visés – à tel point que la juge Sauteraud nous a dit n'avoir eu qu'exceptionnellement à traiter d'affaires liées à des propos tenus dans la presse ; tout se passe dans d'autres pans de la sphère publique.

Je remarque que le délai de trois mois est le plus bref de toute l'Europe et que le délai d'un an constitue lui-même une dérogation très importante par rapport au régime de droit commun de prescription prévu dans le code pénal, qui est de cinq ans. Cela fait sept ans que les injures, diffamations, provocations à la haine racistes et xénophobes se prescrivent à un an. Pouvez-vous affirmer qu'un tel délai a muselé la presse et brimé la liberté d'expression ?

L'interdiction de diffamer et d'injurier est consubstantielle à la liberté d'expression. Selon l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « L'exercice [de la liberté d'expression] comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui ».

On ne peut pas, au nom de la liberté d'expression, balayer d'un revers de main les principes d'égalité devant la loi et d'intelligibilité du droit. Je suppose et j'espère qu'aucun d'entre vous n'oserait s'abriter derrière la liberté de la presse pour tolérer ce qui revient à établir une hiérarchisation entre les individus.

Par cohérence, nous ne pouvons pas faire l'économie d'aligner les délais de prescription et les motifs de provocation à la discrimination, quelles qu'en soient les victimes. Faut-il alors réduire ce délai à trois mois pour tous ? Ce n'est évidemment pas souhaitable car cela se traduirait par un recul très important du droit des victimes et par des dénis de justice pour l'ensemble des victimes d'agressions verbales.

Si vous n'êtes pas sensibles à des arguments constitutionnels, j'aurai peut-être la chance de vous éclairer en vous donnant l'exemple d'une affaire classée sans suite du fait des délais de prescription. Cette affaire, transmise par M. Hussein Bourgi, président du collectif contre l'homophobie, n'a d'ailleurs rien à voir avec la liberté de la presse et concerne le cas d'un couple d'homosexuels victime d'injures à caractère homophobe.

Les requérants ont porté plainte le 28 septembre 2009 contre leur voisin qui les injuriait et les menaçait de façon répétée en raison de leur orientation sexuelle. Dès le dépôt de la plainte, une confusion a eu lieu dans la qualification des faits. Le gardien de la paix qui a enregistré la plainte a d'abord qualifié l'infraction de « menace d'atteinte aux personnes, injures à caractère racial », puis de « menaces de violences réitérées, injures réitérées à caractère homophobe ».

Le collectif contre l'homophobie a été informé par le bureau d'ordre que le dossier avait quatre mois de retard. Le 26 novembre, M. Hussein Bourgi a écrit au procureur de la République de Rouen afin d'attirer son attention sur l'urgence de l'affaire en raison du délai de prescription qui s'appliquait en l'espèce. Le 17 décembre, les victimes ont subi de nouvelles agressions verbales, que j'ai sous les yeux mais dont je vous ferai grâce car elles ne sont pas dignes d'être prononcées dans cette enceinte.

L'audience a eu lieu le 10 juin 2010 au tribunal de police de Rouen et le jugement a été rendu le 1er juillet 2010. L'affaire a été classée sans suite au motif que le mandement de citation est intervenu plus de trois mois après la commission des faits.

L'agresseur, porté par un puissant sentiment d'impunité, est passé à la violence physique. Si vous aviez la victime devant vous, auriez-vous l'audace de lui expliquer que c'est au nom de la liberté de la presse qu'elle n'a pas obtenu justice ?

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