Nous pouvons remercier la rapporteure pour le travail de réflexion qu'elle a mené afin de nous présenter ce texte qui, en proposant de modifier les dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, vise à harmoniser la répression des infractions commises envers les personnes, quel qu'en soit le motif.
Mme Quéré a rappelé que les délais de prescription de l'action publique concernant la tenue de propos discriminatoires varient suivant le motif de la discrimination. Si le critère constitutif de l'infraction est l'homophobie, le handicap ou le sexisme, l'État et la victime disposent du délai de droit de commun, soit de trois mois, pour agir. En revanche, en cas de diffamation et d'injure raciale ou religieuse, ils bénéficient d'une prescription spéciale d'un an, en raison de la gravité de telles infractions. Notre collègue propose d'étendre au délit de diffamation et d'injure en raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap, la prescription d'un an de l'action publique.
Si nous pouvons comprendre l'esprit de cette proposition de loi, nous nous interrogeons sur son opportunité.
Premièrement, celle-ci nous paraît restreindre la liberté de la presse. En effet, elle introduit une nouvelle exception à la règle de la prescription de trois mois de l'action publique pour les délits de presse, qui constitue une des garanties fondamentales de la liberté d'expression, principe de valeur constitutionnelle, dont découle celui de la liberté de la presse.
Deuxièmement, la règle des trois mois est justifiée. La répression des délits doit rester soumise à la règle de l'actualité. Si la justice intervient après un délai trop long, elle perd en légitimité et risque d'exposer les organes de presse à des procédures en rapport avec des faits anciens et oubliés du public.
Troisièmement, l'établissement d'un délai spécial d'un an introduit par un article de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité visait à faciliter la poursuite de messages antisémites sur des sites islamistes ou d'extrême droite, difficiles à détecter dans les trois mois. La situation n'est pas du tout la même en matière de sexisme, d'homophobie ou d'handiphobie.
Quatrièmement, enfin, dans le contexte récent, marqué par les actes de violence, les menaces et les dégradations inacceptables dont a été victime le journal Charlie Hebdo, il nous paraît indispensable de manifester l'attachement des pouvoirs publics à la garantie de la liberté de la presse.
Ces quatre observations nous conduisent à privilégier la défense de la liberté de la presse par rapport à l'harmonisation du droit, et donc à ne pas accepter cette proposition de loi, qui a au moins l'intérêt de susciter la réflexion.