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Intervention de Michel Boyon

Réunion du 2 novembre 2011 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Madame la présidente, c'est toujours un très grand bonheur de comparaître devant les membres de votre commission, avec lesquels le CSA nourrit des rapports beaucoup plus étroits que par le passé. En effet, la généralisation de la télévision numérique terrestre et l'arrêt de la diffusion analogique de la télévision nous ont donné l'occasion d'échanger de très fréquents courriers.

Vous m'avez invité, dans un premier temps, à rappeler les principales conclusions auxquelles m'a conduit l'étude que m'avait confiée, au mois de mai dernier, le Premier ministre. Cette étude a fait l'objet d'un rapport, que j'ai remis à M. Fillon le 9 septembre et sur la base duquel le Gouvernement a pris un certain nombre de décisions.

L'analyse de la situation de l'audiovisuel en France passe par celle de la télévision numérique terrestre.

La TNT est une incontestable réussite technologique, audiovisuelle et populaire.

Une réussite technologique d'abord : l'arrêt de la diffusion analogique et la mise en place de la TNT se sont effectués, globalement, dans de très bonnes conditions. Bien sûr, des problèmes ont surgi dans certaines localités, mais ils ont tous été résolus les uns après les autres, même lorsqu'ils ne concernaient que quelques dizaines de foyers, voire quelques foyers seulement. Tout le monde y a d'ailleurs veillé, au niveau du CSA, du GIP France Télé Numérique – créé pour accompagner cette évolution – ou des élus.

Une réussite audiovisuelle ensuite : la mise en place de la TNT a permis d'élargir de manière importante le nombre des chaînes gratuitement accessibles et de diversifier le nombre des opérateurs de télévision. Aujourd'hui, dix-neuf chaînes nationales gratuites, dix chaînes nationales payantes, plus une cinquantaine de télévisions locales de dimension plus ou moins importante sont accessibles aux deux tiers de la population. Très prochainement, un service de médias audiovisuels à la demande sera mis en place.

Une réussite populaire enfin : ceux que l'on appelle les nouveaux entrants, c'est-à-dire les nouvelles chaînes de la TNT, qui n'existaient pas avec le mode de diffusion analogique, ont conquis, en cinq ans et demi seulement, 24 % de l'audience totale de la télévision ! Cela montre bien que la TNT répondait à un besoin.

La TNT reste le mode principal de réception de la télévision. Environ 60 % des foyers français regardent la télévision par la voie hertzienne terrestre, c'est-à-dire grâce à une antenne en forme de râteau installée sur le toit de la maison ou par une antenne intérieure. C'est d'ailleurs le cas dans tous les pays d'Europe du Sud – Portugal, Espagne, Italie, etc.

Un tel phénomène a des conséquences sur l'ensemble de la télévision française. Pour une chaîne de télévision, être présente sur la TNT assure sa notoriété. Voilà pourquoi certains opérateurs qui exploitent aujourd'hui des chaînes de télévision diffusées par le câble, par l'ADSL, la fibre optique ou le satellite, souhaitent accéder à la TNT. De ce point de vue, on peut dire que la TNT structure l'offre de programmes audiovisuels en France, et ce qui se passe aujourd'hui le montre d'une manière encore plus évidente.

Partant de ce constat, j'ai essayé de répondre à quelques-unes des principales questions qui me paraissaient se poser. J'ai toutefois écarté la question suivante : compte tenu des particularités sociologiques de la France et des comportements d'écoute des Français, quel pourrait être le nombre optimal de chaînes sur la TNT ? En effet, il n'est pas possible de se prononcer : tout dépend de l'équilibre entre les chaînes gratuites et les chaînes payantes de la TNT, les unes et les autres n'utilisant pas les mêmes fréquences ; de l'intérêt des programmes qui existent par rapport à ceux qui pourraient être présentés dans le cadre d'appels à candidatures ; enfin, de la ressource radioélectrique disponible, c'est-à-dire, concrètement, du nombre de multiplex qui pourront être affectés à la TNT.

Restent trois questions principales.

La première est relative au sort des canaux compensatoires, les chaînes bonus instituées par la loi du 5 mars 2007. Il s'agissait alors de compenser le préjudice que les chaînes historiques estimaient avoir subi du fait de l'arrêt anticipé de la diffusion analogique, et donc d'une réduction de la durée de l'autorisation qui leur avait été accordée.

La Commission européenne a contesté la validité de ces canaux compensatoires. À la fin du mois de septembre 2011, elle a émis un avis motivé selon lequel ceux-ci ne sont pas compatibles avec le droit européen, parce que le préjudice allégué par les chaînes historiques n'est pas tel qu'il puisse justifier l'attribution automatique d'une chaîne sans passer par la voie d'un appel à candidatures.

La Commission européenne s'est donc montrée très claire et très ferme et si, d'aventure, les procédures devaient se poursuivre jusque devant la Cour de justice de l'Union européenne, il y a fort à parier que celle-ci dirait exactement la même chose.

Face à cette situation, j'ai proposé dans mon rapport que les autorités françaises décident, purement et simplement, d'abroger les canaux compensatoires. D'abord parce qu'il est inutile de laisser subsister un doute sur le nombre de chaînes de la TNT – les opérateurs ont besoin de le connaître – ; ensuite parce que, plus on attend, plus on risque de devoir faire face à des demandes indemnitaires de la part des opérateurs qui se trouveraient privés de la possibilité d'exploiter un canal bonus, ou de la part des opérateurs concurrents qui, si ces canaux bonus étaient effectivement mis en service, pourraient se plaindre d'un manque à gagner en matière de ressources publicitaires.

L'abrogation des canaux compensatoires a été la formule retenue par le Gouvernement au mois d'octobre. Celui-ci a en effet annoncé que, dans un délai de deux mois – celui que la Commission européenne avait demandé aux autorités françaises –, un projet de loi serait déposé en ce sens.

Dès que le principe de ce projet de loi a été posé, le CSA a lancé un appel à candidatures, portant sur six chaînes en haute définition.

La deuxième question concerne la norme de compression applicable à la TNT.

Je précise d'emblée qu'il faut distinguer la norme de compression de la norme de diffusion. Pour vous l'expliquer de façon imagée, je dirai que la norme de compression correspond à la vitesse avec laquelle quelque chose peut circuler dans un tuyau, et la norme de diffusion à la manière dont on aménage ce que l'on diffuse à l'intérieur du tuyau. Imaginez que votre collaborateur travaille dans un bureau voisin et que vous communiquiez avec lui comme au bon vieux temps du pneumatique, en utilisant un gros tuyau dans lequel vous lui faites passer des papiers : la norme de compression serait la vitesse avec laquelle le papier passerait de votre bureau à celui de votre collaborateur, et la norme de diffusion la manière dont vous agenceriez le papier – si vous le pliiez en quatre, en huit, ou si vous le chiffonniez.

Nous vivons aujourd'hui avec deux normes de compression : Mpeg2, la norme des chaînes gratuites, applicable aux chaînes payantes pour leurs plages en clair obligatoires (Canal Plus, TPS Star) et une norme Mpeg4, applicable aux chaînes payantes pour le reste de leur programme en dehors de leurs plages obligatoires en clair, et à celles qui n'ont pas de plages obligatoires en clair, pour la totalité de leur programme. L'intérêt de la norme Mpeg4 par rapport à la norme Mpeg2 est qu'elle permet de faire passer davantage de chaînes en utilisant la même ressource radioélectrique.

En 2004, le Gouvernement avait opté pour la norme Mpeg2 pour les chaînes gratuites parce que le CSA d'alors avait beaucoup insisté pour que la TNT soit lancée le plus rapidement possible en France, et parce que les adaptateurs et les téléviseurs Mpeg2 étaient réputés moins onéreux que les adaptateurs et les téléviseurs Mpeg4.

Depuis lors, la situation a évolué. Les Français ont acheté de très nombreux téléviseurs. Aujourd'hui 90 % de ces téléviseurs sont des écrans plats TNT haute définition (HD). Or la HD est à la norme Mpeg4. Les deux tiers des foyers français sont actuellement équipés pour recevoir la haute définition et l'on peut penser qu'à l'horizon 2015, en comptant très large, ce sera le cas de la quasi-totalité des foyers français – on a constaté une augmentation de 20 points en un an. Dès lors qu'ils seront équipés pour recevoir la HD, ils pourront recevoir dans la norme Mpeg4.

Pour des raisons d'économie de fréquence et des raisons de qualité, je suggère donc que l'on proclame le plus rapidement possible l'abandon de la norme Mpeg2 pour tous les programmes, lesquels passeraient en Mpeg4. Je rappelle que toutes les chaînes de la TNT ont vocation à passer, au moment où elles le souhaiteront, à la haute définition.

La troisième et dernière question est celle de la norme de diffusion. Il était pour moi important de l'aborder, parce qu'elle conditionne l'avenir de la télévision numérique terrestre, sous l'angle de la disponibilité des fréquences.

On a déjà amputé, il y a trois ans, le stock de fréquences assigné à l'audiovisuel pour le transférer aux opérateurs de télécommunications. L'opération a été engagée de manière précipitée et un peu incohérente, mais tout a fini par rentrer dans l'ordre. Une commission parlementaire du dividende numérique s'est penchée sur la question et a abouti à une solution consensuelle.

Le CSA a participé activement à cette opération dite du « premier dividende numérique » par laquelle 10 % des fréquences audiovisuelles ont été transférées aux opérateurs de télécommunications et donnent lieu aujourd'hui aux appels à candidatures lancés par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

Une forte pression s'exerce sur les fréquences radioélectriques, qui sont un bien relativement rare. Un certain nombre d'opérateurs souhaitent que l'on augmente encore le nombre de fréquences qui leur est assigné, notamment pour permettre le développement de l'internet mobile à haut débit et à très haut débit. À Bruxelles, certains s'agitent en disant qu'il faudrait déjà penser à un deuxième dividende numérique. Les extrémistes, dont fait malheureusement partie tel ou tel commissaire de Bruxelles, disent qu'il faut transférer aux télécoms 30 % des fréquences audiovisuelles. Je ne sais ce qui sera décidé dans quelques années, mais si un tel transfert était décidé, un certain nombre de chaînes de télévision ne pourraient plus être diffusées par la TNT. Je ne suis pas sûr que ce soit très bien ressenti par l'opinion publique et les intéressés eux-mêmes.

Je propose que l'on essaie d'anticiper les risques liés à cette menace portant sur le stock de fréquences audiovisuelles, en cherchant comment faire passer davantage de chaînes par le même nombre de fréquences, ou protéger au moins le nombre des chaînes existantes.

Le Gouvernement a rappelé que ce qui était inscrit dans la loi de 2007, à savoir que la majorité des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique devait être affectée au secteur audiovisuel, restait une priorité. Il a ensuite affiché sa volonté d'en venir à une norme de diffusion qui est extrêmement favorable, puisqu'elle permet de faire passer quatre chaînes en HD là où les normes actuelles ne permettent de n'en faire passer que trois. Les chaînes qui veulent passer de la définition standard à la HD pourraient donc le faire. Et il serait encore possible de lancer quelques chaînes nouvelles pour compléter l'offre de programmes.

Le Gouvernement a décidé d'afficher cet objectif. Il a chargé le ministre de l'industrie et le ministre de la culture et de la communication de préparer les textes destinés à matérialiser cette évolution vers une norme de diffusion qui s'appelle DVB-T2, et qui est appelée à remplacer, à l'horizon d'un certain nombre d'années, la norme actuelle de diffusion DVB-T. Le passage sera entrepris une fois que ces textes auront été pris, et surtout lorsqu'ils auront reçu un commencement d'application chez les fabricants de téléviseurs ou d'adaptateurs.

Les appels à candidatures que le CSA a lancés il y a trois semaines l'ont été dans la norme actuelle. Cela offre l'avantage de ne pas avoir à demander à une partie de téléspectateurs de se doter d'un nouvel adaptateur alors qu'ils en ont déjà acheté un pour le passage à la TNT, ou ont déjà changé de téléviseur.

Dans mon rapport, après avoir présenté les arguments pour et contre les deux normes, j'ai proposé que l'on passe le plus rapidement possible à la norme DVB-T2. Je me doutais que la décision qui serait prise ne serait pas celle-là. Mais j'ai voulu le faire d'abord pour que l'on ouvre le débat – qui, sinon, n'aurait jamais eu lieu – et ensuite pour que l'on affiche clairement un objectif. En effet, la caractéristique de notre audiovisuel français est, selon moi, que de nombreux opérateurs n'ont pas une vision suffisamment claire de l'évolution de la télévision dans les prochaines années. Il ne faut pas leur en faire grief : ce n'est pas qu'ils n'en seraient pas capables, mais ils ne disposent pas d'une visibilité suffisante. Ce manque de visibilité s'explique par les changements technologiques majeurs auxquels nous sommes confrontés, par les nouveaux modes de comportements vis-à-vis de la télévision et par l'articulation entre télévision et internet, qui, à mes yeux, ne sont pas concurrents, mais complémentaires. Ainsi, faute d'avoir une vision suffisante de l'avenir, de nombreuses entreprises ont du mal à définir une stratégie.

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