Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de William Nuttall

Réunion du 27 octobre 2011 à 14h30
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

William Nuttall, directeur adjoint du groupe de recherches sur la politique électrique, Université de Cambridge :

– Je tiens à vous remercier pour votre invitation et à préciser que si je m'exprime à titre personnel, mes collègues du groupe de recherches m'ont aidé à préparer mon exposé.

Le marché de la production d'électricité au Royaume-Uni est privatisé et compétitif. Ce n'est pas le gouvernement qui construit les centrales. L'initiative dans ce domaine est privée, elle relève des sociétés. La conscience publique des enjeux du changement climatique est très grande, ce qui crée des tensions. La loi relative au changement climatique s'inscrit dans cette perspective. Il y a plusieurs années, nous avions plus de préoccupations qu'aujourd'hui pour la production d'électricité et la sécurité de notre approvisionnement, notamment en gaz. Plusieurs facteurs ont concouru à l'allègement de cette contrainte, notamment l'augmentation de la capacité d'importation de gaz naturel liquéfié. L'adéquation de notre capacité de production demeure une préoccupation pour notre sécurité énergétique. Si nous ne construisions rien de neuf, nous perdrions toute marge de manoeuvre vers 2015. La solution traditionnelle à ce problème est de développer l'énergie nucléaire et l'énergie éolienne. Cela coûte cher. Dans une approche pragmatique, je vois trois options pour le Royaume-Uni : le gaz avec les turbines à cycle combiné, l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables, dominées par l'éolien. L'énergie nucléaire est plus propre que le gaz et moins chère que le vent.

La politique britannique démarre en 2008, sous le gouvernement travailliste, avec le « livre blanc » sur l'énergie nucléaire, qui soutient officiellement la construction de nouvelles centrales. Ce document a permis une simplification du processus de planification : projet global, évaluation et affirmation d'un besoin national. Il en résulte que si la conception de la centrale est sûre, les procédures d'enquêtes publiques locales ne peuvent remettre en cause la nécessité de construction de la centrale, ni la nécessité de l'énergie nucléaire pour le Royaume-Uni, ni l'emplacement de l'installation. C'est au niveau national que l'on aura répondu à ces questions auparavant.

En 2010 est arrivé le premier gouvernement de coalition britannique (entre les conservateurs et les libéraux-démocrates) depuis des décennies, qui a donné une réelle impulsion au programme de construction de centrales, devant être achevées dès 2018 : tel était le calendrier avant Fukushima. Il n'a pas beaucoup changé depuis.

Avant Fukushima, l'un des problèmes majeurs du nucléaire était l'importance du coût en capital. La construction représente les deux tiers du coût total d'une centrale, à l'opposé du gaz. Il n'y a pas que le coût, il y a les risques économiques, qui sont entièrement assumés, au Royaume-Uni, par les investisseurs : coût du capital élevé ; retard du chantier ; baisse des prix de l'électricité après la construction ; changements de réglementation environnementale, de politique, de gouvernement, d'acceptation sociale pendant la construction, qui dure des années ; chute des prix du carbone avant la mise en service ou problèmes opérationnels pendant l'exploitation ; difficultés d'exploitation opérationnelle. Quatre risques sur sept peuvent affecter l'investisseur avant même qu'il ait vendu le premier kilowatt. A 95 %, après cinq ans de paperasses et quatre ans de construction, l'investissement ne peut être considéré comme un actif : il ne le devient que lorsqu'il fabrique de l'électricité.

Plusieurs aspects de la « stratégie 2020 » de l'Union européenne posent des contraintes à la politique énergétique du Royaume Uni. Il y a une tension entre l'objectif de réduction des gaz à effet de serre et celui d'augmenter la part d'énergie renouvelable, qui en tendant à réduire le prix du carbone, limite l'incitation à diversifier les sources de production.

Ainsi, avant Fukushima, les coûts économiques élevés et les risques économiques menaçaient déjà le renouveau nucléaire. Nous observions aussi les retards et les surcoûts constatés en France et en Finlande. Le gouvernement a répondu en réformant le marché de l'électricité au début de l'année, afin de fixer un prix plancher pour le carbone, stable et suffisamment élevé ; garantir les tarifs, en créant des contrats différenciés, pour toutes les sources d'électricité hors carbone ; rémunérer les capacités de production ; créer une norme sur les émissions nouvelles, obligeant les installations à capturer le carbone. L'objectif est de porter le prix du carbone à 70 livres la tonne en 2030. Telle est la route vers la stabilité. L'axiome traditionnel au Royaume Uni selon lequel il ne doit pas y avoir de subvention pour l'énergie nucléaire (contrairement aux énergies renouvelables), a été « clarifié » ainsi par le secrétaire d'Etat à l'énergie et au changement climatique l'an dernier : « il n'y aura pas de transfert, paiement direct ou mécanisme de soutien pour l'électricité ou la capacité fournie par un nouvel opérateur privé, sauf si un soutien similaire est accordé plus généralement à d'autres types de production ». Bref, l'énergie nucléaire peut être éligible à des subventions accordées à d'autres formes de production d'énergie pauvres en carbone. C'était avant Fukushima.

Fukushima a-t-il changé la donne ? Pas encore énormément. La position du gouvernement ne paraît pas avoir varié. Le gouvernement et l'opposition travailliste, en Angleterre, continuent de soutenir le programme de construction de nouvelles centrales. Il en va différemment en Ecosse, qui a sa propre politique énergétique. Le calendrier de construction élaboré en 2010 a été un peu retardé, par la réflexion publique et officielle provoquée par Fukushima et le rapport Weightman, mais de façon mineure selon les industriels concernés. En fait, le nouveau calendrier n'a pas encore été rendu public. Nous en saurons davantage dans quelques semaines. J'imagine qu'il y aura des retards d'un certain nombre de mois.

Qu'en est-il des entreprises privées du secteur de l'énergie ? Le risque principal pour le programme nucléaire britannique vient de là, puisque ce sont elles qui prennent l'initiative de construire. Or ce sont de grands consortiums internationaux, qui sont affectés par le climat, politique et social,de leurs pays d'origine. Il y en a trois principaux : un franco-anglais, un germano-allemand et un franco-espagnol. Les décisions allemandes peuvent donc avoir un impact sur le programme britannique. Le Financial Times d'hier rapportait que le consortium des Allemands E.On et RWE cherchait à vendre 25 % de son projet à un fournisseur de technologie nucléaire, pour 5 milliards d'euros. Il ne s'agit pas d'une seule centrale, mais d'un ensemble de centrales, qui représentait l'ambition du groupe en Grande-Bretagne.

Sur Fukushima, il y a deux écoles de pensée. Je tiens à dire que je me range dans la première. Pour celle-ci, si l'on considère l'histoire des accidents nucléaires, Three Mile Island et Tchernobyl apparaissent certes comme des erreurs de l'industrie nucléaire, mais il n'y a pas eu d'erreur de conception de la centrale au départ. Fukushima, en revanche, est la triste conséquence d'une catastrophe naturelle qui a tué des milliers de personnes. De ce point de vue, Fukushima est beaucoup moins inquiétant que les deux accidents précédents. Lorsque je pense à Fukushima, je pense d'abord à toutes les vies perdues dans cette catastrophe naturelle.

Il y a une autre interprétation, selon laquelle l'accident de Fukushima révèlerait une erreur fondamentale dans la conception des centrales nucléaires, montrant que l'on ne peut pas avoir confiance dans l'industrie qui en a la charge. Le débat reste ouvert.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion