Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Pierre Zaleski

Réunion du 27 octobre 2011 à 14h30
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre Zaleski, professeur à l'Université de Paris-Dauphine :

– Antérieure à l'accident de Fukushima, la division des pays de l'Union européenne dans leur attitude à l'égard de l'énergie nucléaire s'est accentuée après le mois de mars 2011.

Avant l'accident, la position des trois pays ayant déclaré un moratoire sur les nouvelles constructions – Allemagne, Espagne, Belgique – tendait à s'assouplir, au point que l'on pouvait envisager, à plus ou moins long terme, un changement d'attitude qui aurait conduit à y reprendre la construction de centrales. Si les huit pays ne possédant pas de centrales nucléaires, et sans programme, ne représentent qu'une faible fraction du PIB de l'Union européenne, on trouvait en revanche, parmi les cinq pays ne possédant pas de centrales, mais envisageant de faire appel à l'énergie nucléaire, deux économies relativement importantes, l'Italie et la Pologne.

Avant Fukushima, on pouvait donc penser que l'on allait vers un acquiescement au nucléaire dans l'aire économique de l'Union. En outre, des pays européens importants, hors Union européenne, avaient engagé des plans dynamiques du développement de l'énergie nucléaire – Russie, Ukraine, Biélorussie, Suisse et Turquie.

Après Fukushima, le tableau a changé. L'Allemagne a décidé un retrait accéléré du nucléaire et l'Italie, par un nouveau référendum a renoncé à la construction – il est vrai que ce pays, qui l'avait déjà fait après Tchernobyl, semble avoir le talent d'organiser, après chaque accident nucléaire, des référendums où la traditionnelle multiplicité des questions posées ne permet pas de distinguer si le rejet répond à la question ou à une politique, celle de Berlusconi, en l'espèce. Quant à l'Espagne, le changement d'attitude que l'on prévoyait pour après les prochaines élections apparaît aujourd'hui plus difficile à prédire.

L'Europe est donc partagée en deux blocs, d'importance sensiblement égale : quinze pays, dont la France, l'Angleterre, la Pologne, sont favorables à l'énergie nucléaire, tandis que douze, dont l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne – envisagent de s'en passer.

Cette situation rend très difficile l'adoption, au sein de l'Union européenne, d'une politique énergétique dynamique et cohérente. Ajoutons que, parmi les cinq pays européens hors Union qui envisageaient, avant Fukushima, la construction de centrales nucléaires, un seul, la Suisse, a changé d'avis en votant un moratoire sur les nouvelles constructions.

Il convient tout à la fois s'interroger sur les raisons qui ont conduit un pays clé comme l'Allemagne a son changement d'attitude et analyser les arguments de ceux qui sont favorables au développement de l'énergie nucléaire.

En Allemagne, Mme Merkel, initialement favorable à l'énergie nucléaire, déclare que l'on ne peut faire confiance aux sociétés humaines pour gérer les risques de l'énergie nucléaire. De fait, les deux accidents majeurs qui ont entraîné une importante contamination des terres, Tchernobyl et Fukushima, sont dus l'un et l'autre aux imperfections du système politico-social des pays concernés : opacité, manque de culture de la sûreté et arrogance scientifique de l'Union soviétique, d'un côté, culture de consensus du Japon, de l'autre, qui a conduit à laisser trop de marge à une compagnie électrique peu incline à la transparence et peu sensible aux accidents majeurs, jugés improbables, aux dépens des autorités de sûreté. Cela a conduit à une sous-estimation évidente des risques naturels – tremblement de terre et tsunami. C'est moins la technologie que les hypothèses retenues qui sont en cause dans l'accident de Fukushima.

Il se peut aussi, cependant, que le changement d'attitude de Mme Merkel soit influencé par des considérations politiques et électorales.

On ne peut éviter tous les risques. Il faut donc les minimiser, afin de parvenir à un ratio risquebénéfice satisfaisant. Ainsi que l'indiquait le chef de la sûreté finlandaise, M. Jukka Laaksonen, si l'on finit par maîtriser complètement la situation à Fukushima et si, dans un deuxième temps, on décontamine l'essentiel des terres, permettant ainsi aux personnes déplacées de revenir, alors l'accident de Fukushima, aussi grave soit-il, n'aura pas le caractère apocalyptique que beaucoup lui prêtent aujourd'hui.

Les accidents majeurs, Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima, ont tous conduit à une amélioration de la sûreté. Fukushima a donné lieu à une estimation plus rigoureuse des agressions externes, à une meilleure préparation aux accidents graves au-delà du maximum prévu et à une plus grande transparence internationale sur les questions de la sûreté du nucléaire, qui favorise l'application effective de règles sûres dans chaque pays. Cependant, le climat n'est pas propice à l'établissement d'une autorité internationale.

L'abandon du nucléaire a un coût. L'électricité sans l'énergie nucléaire sera plus chère, surtout si on maintient l'effort de réduction des émissions de CO2 – je vous renvoie aux scénarios à l'horizon 2050 élaborés par la Commission européenne. Les centrales solaires à concentration, situées en Afrique, et qui pourraient remplacer les centrales nucléaires, produiraient, d'après M. Cédric Philibert de l'AIE, l'électricité à un coût de 150 euros par mégawattheure, auquel il faut ajouter le coût du transport vers l'Europe, estimé entre 15 et 45 euros par mégawattheure, soit un coût trois fois supérieur à celui de l'électricité des nouvelles centrales nucléaires – pour autant que les surcoûts enregistrés en Finlande et à Flamanville soient effectivement dus au caractère de prototype de ces EPR. Il sera intéressant de comparer le coût de ces deux têtes de série et des quatre AP1000 prototypes ou têtes de série construits en Chine. Les estimations des coûts au stade de l'avant-projet sont souvent trop optimistes et cela peut être également le cas pour la centrale solaire.

Il sera difficile de dégager, dans le contexte économique que nous traversons, les sommes nécessaires à une reconversion vers les énergies renouvelables - voyez le cas de l'Espagne et de la France, pour laquelle Bernard Bigot, haut-commissaire à l'énergie atomique, a avancé une estimation de 750 milliards d'euros. L'Europe peut-elle se permettre d'aggraver ainsi ses handicaps économiques face aux pays émergents ?

Les systèmes de surveillance de la sûreté des centrales nucléaires aux Etats-Unis et en Europe, ainsi que le relèvent certains observateurs, sont relativement transparents et rigoureux. Ainsi de l'autorité de sûreté allemande. Et la coopération entre pays se développe. Si l'on peut avoir des craintes, c'est plutôt au regard de grands pays comme la Russie, la Chine ou l'Inde, qui suivront leur propre agenda de développement et ne se laisseront pas influencer.

Notons enfin que la plupart des sites européens où fonctionnent des centrales nucléaires sont bien moins vulnérables aux tremblements de terre ou tsunamis que le Japon.

Naturellement, tous ces arguments n'ont de valeur dans les pays démocratiques que s'ils sont acceptés par l'opinion publique, toujours plus sensible aux angoisses et aux craintes suscitées par l'énergie nucléaire qu'aux arguments rationnels.

Il est donc difficile de prévoir l'évolution de l'attitude des pays européens vis-à-vis du nucléaire. On peut penser qu'en l'absence de nouveaux accidents, beaucoup dépendra des difficultés éventuelles et des coûts de réalisation des solutions « sans nucléaire », notamment en Allemagne. Ailleurs cependant, en Asie, en Chine, en Corée, en Inde, en Amérique latine et en Afrique, l'énergie nucléaire poursuivra son développement. Au Japon, le développement a été stoppé, mais le débat sur l'arrêt complet et sur les nouvelles sources de production énergétique nécessaires n'est pas terminé ; le gouvernement maintient son soutien actif à son industrie nucléaire en dehors du Japon. Aux Etats-Unis, le plan de construction de nouvelles centrales se poursuit, mais à un rythme très lent. Le ralentissement est lié à la situation économique générale et au gaz de schiste. On peut donc craindre que les décisions prises en Europe et le dynamisme de l'Asie ne rendent la tâche de l'industrie nucléaire européenne très difficile.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion