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Intervention de Daniel Iracane

Réunion du 27 octobre 2011 à 14h30
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Daniel Iracane, directeur-adjoint des relations internationales au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives :

– Les sondages montrent une légitime montée des préoccupations environnementales dans l'ensemble des pays de la planète. Des interrogations se font jour, en Corée, en Europe de l'Est, sans parler du Japon, bien sûr, où la perte de confiance est manifeste, non seulement à l'égard des exploitants mais des institutions.

Pourtant, on constate que les programmes électronucléaires tels qu'ils avaient été dessinés se poursuivent, à l'exception notable de l'Allemagne, et du Japon. Six mois après la catastrophe, la continuité s'affirme presque partout dans le monde. Les pays primo-accédants, comme le Vietnam, le Maroc, l'Arabie saoudite, l'Egypte, la Jordanie, la Tunisie et le Chili ont compris que l'effort d'apprentissage sera long, et ne voient pas de raison de l'interrompre bien avant la décision irréversible d'équipement. Tout au plus certains tempèrent-ils leur effort de communication, encore qu'il reste très démonstratif en Arabie saoudite, qui a annoncé sa volonté de se doter d'un réacteur en 2020 et seize à l'horizon 2030. La volonté d'avancer, dans ces pays, reste entière. Les pays qui ont juste démarré un programme, comme la Turquie ou les Emirats arabes unis, ont, eux aussi, manifesté une ferme volonté de poursuivre, ces derniers y compris en rappelant, une semaine à peine après l'accident de Fukushima, leur pleine confiance dans leur programme. Ceux qui sont déjà dotés d'un réacteur en relancent. C'est ainsi que l'Afrique du Sud entend lancer un appel d'offre international au cours du semestre à venir pour la construction de nouvelles centrales, tandis que la Grande Bretagne poursuit son processus de licensing en vue de nouvelles réalisations.

La situation reste fragile. Qu'en est-il des pays qui servent de référence ? Parmi les pays disposant d'un parc significatif, la Chine, en dépit d'un moratoire essentiellement lié au souci d'attendre le retour d'expérience de Fukushima, maintient imperturbablement le cap de 70 gigawatts contre treize aujourd'hui, soit une multiplication par six en dix ans. A ceci près, cependant, qu'après avoir contesté à d'autres pays, dont la France, le droit de condamner son choix de s'équiper en réacteurs de deuxième génération, moins coûteux, elle est désormais convaincue qu'il faut viser le plus haut niveau de sûreté. Tant il est vrai qu'un accident quelque part est un accident partout qui, au-delà du drame humain, peut donc infléchir un projet industriel, un programme d'équipement.

La Corée du Sud, quant à elle, entend assurer 60 % de sa production électrique par l'énergie nucléaire en passant de vingt-et-un à quarante-deux réacteurs en 2030 et elle n'a pas fléchi dans sa volonté de poursuivre son programme, qu'elle voit comme la seule façon d'accompagner sa croissance et de développer une industrie performante à même de rayonner sur le marché chinois.

Même réaction en Russie, où le programme de construction de dix-neuf réacteurs, dont la moitié à l'export, se poursuit, tandis que l'on a vu sa diplomatie très présente, aux côtés de la France, lors des sommets du G8 et du G20 ou de la conférence générale de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), pour accompagner la gestion de crise.

Le ralentissement observé aux États-Unis avait précédé Fukushima ; il est lié à la mise en exploitation du gaz de schiste, appelé à déplacer l'optimum économique du système. Reste que M. Chu, le secrétaire à l'Energie, vient de confirmer que la production électrique américaine resterait assurée à 20 % par l'énergie nucléaire, déclaration dans la ligne de celle de l'administration Obama en septembre à l'ONU sur la place « pleine et entière » que l'énergie nucléaire devait continuer à tenir dans le pays.

L'Inde, prototype du pays engagé dans une forte croissance, a réaffirmé sa volonté de multiplier par quatre ses capacités de production d'ici à 2020, en passant de 5 à 20 gigawatts. Position qui peut cependant évoluer au gré des événements, dans la mesure où la contestation locale prend de l'ampleur et pourrait devenir systémique – toutes ces informations sont contingentes.

J'en viens au Japon, qui vit au coeur du drame, et où la perte de confiance est manifeste. Un certain pragmatisme s'y fait jour cependant, dans la conscience qu'il sera difficile au pays d'équilibrer la balance entre sa production et sa consommation sans redémarrage des centrales en arrêt de maintenance. Le Premier ministre a même évoqué celui du chantier de la centrale nouvelle, à 90 % achevée, et dont la construction avait été interrompue au lendemain du drame. Mais dans ce pays proche d'un point de bascule, les décisions passent aussi par les élus locaux, les gouverneurs. Il sera bon de les observer de près.

En Europe, les lignes ont peu bougé. L'Autriche, le Danemark, l'Irlande ont confirmé leur opposition. D'autres pays, en revanche, comme la Finlande ou l'Angleterre, entendent accroître la part de l'énergie nucléaire sur leur sol. C'est également le cas de la République tchèque, qui réévalue son programme à la hausse à la suite de la décision allemande de sortie du nucléaire, dans l'espoir de conquérir le marché allemand… La Pologne, enfin, a choisi de poursuivre son programme.

Les motivations qui président à ces choix, au sein de l'ensemble européen, sont diverses : pour les pays d'Europe de l'Est, la préoccupation première va à l'indépendance énergétique à l'égard de la Russie, quand un pays comme l'Angleterre est avant tout soucieux d'assurer sa sécurité à un coût raisonnable. Ailleurs, la réalité peut être complexe, j'en veux pour preuve le débat animé qui a saisi la Suisse, cet été, et s'est soldé par une décision de sortie du nucléaire à vingt-cinq ans, résultat sémantiquement subtil, cependant, puisqu'il est écrit dans la loi que les réacteurs seront arrêtés selon des critères de sûreté, en même temps qu'au niveau politique, on privilégie le pragmatisme en décidant de la poursuite des programmes de recherche. Autrement dit, l'on s'interdit d'interdire une technologie, avec l'idée d'observer les performances de l'Allemagne dans son effort de reconversion. Un long moratoire, en somme, pour s'adapter.

L'Espagne, en revanche, n'a guère été agitée par le débat. Il faut dire que les difficultés économiques y tiennent le devant de la scène. Alors qu'un moratoire avait été déclaré, la décision a été prise, en septembre, de prolonger pour dix ans l'autorisation d'exploitation de la centrale d'Asco.

L'accident de Fukushima a soulevé l'inquiétude des populations, sans cependant la porter jusqu'à un seuil qui aurait conduit les politiques à la relayer par des décisions de sortie. Dans la majorité des pays, les programmes ont été confirmés. L'accident a cependant fait prendre conscience que la sécurité exige de donner la primauté aux réacteurs de troisième génération. Le pragmatisme, au total, a prévalu, tant il semble difficile de se passer d'une source d'énergie qui assure indépendance, modération des prix, stabilité de la production, qui contribue à la réduction des émissions de CO2 et met en mesure d'assurer la défense de la capacité industrielle nationale. Pour convertir les populations à ce pragmatisme, il faudra travailler de concert à renforcer la sûreté, dans la plus grande transparence.

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