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Intervention de Fatih Birol

Réunion du 27 octobre 2011 à 14h30
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Fatih Birol, économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie :

– Le présent et l'avenir du nucléaire touchent aux questions essentielles de l'économie mondiale, de la sécurité énergétique, du changement climatique. Je m'efforcerai de vous fournir un aperçu des grands défis qui se posent au monde en matière énergétique et de vous livrer une analyse plus précise sur l'énergie nucléaire au regard des autres sources d'approvisionnement qui lui sont concurrentes, comme le gaz naturel ou les énergies renouvelables. J'essayerai de tracer un panorama du système énergétique mondial, puis des résultats de nos analyses, qui seront publiées le 9 novembre, sur les effets d'un moindre recours au nucléaire, dont je puis vous dire dès à présent que ce serait une mauvaise nouvelle pour l'économie, la sécurité d'approvisionnement et la lutte contre le changement climatique.

Premier élément de preuve, l'évolution des besoins en énergie dans les vingt-cinq prochaines années : si ceux des pays de l'OCDE sont appelés à rester stables, ils connaîtront ailleurs une forte croissance. Pour être bref, on pourrait dire qu'il y a cinq pays qui tirent la demande mondiale d'énergie : la Chine, la Chine, la Chine, l'Inde et les pays du Moyen-Orient. Leurs besoins à venir représentent 90 % de la croissance de la demande avec un poids prépondérant de la Chine, qui compte en quelque sorte pour trois. La pression sera donc forte sur l'approvisionnement, en particulier en pétrole. Cela concerne d'abord le secteur des transports. La Chine, ne possède aujourd'hui que 30 véhicules automobiles pour 1 000 habitants, contre 500 en Europe et 700 aux États-Unis. C'est dire combien la pression peut monter, à mesure de l'enrichissement des Chinois, qui se poursuit aujourd'hui tandis que nous luttons pied à pied contre la récession. Dans le même temps, la production de pétrole tend à se concentrer, pour l'essentiel dans cinq pays, l'Arabie saoudite, l'Iran, l'Irak, les Emirats arabes unis et le Koweït.

Cela m'amène à un premier message : l'époque du pétrole bon marché est révolue, et nous devons nous préparer à des prix beaucoup plus élevés : le baril à 45 ou 50 dollars, c'est bien fini ! Deuxième message, il faut s'attendre à des évolutions importantes en matière de production de gaz naturel, liées à l'émergence, en Chine et aux États-Unis, de l'exploitation de gaz non conventionnels. L'augmentation de la ressource, conduisant à la modération des prix, contribuera à la diffuser sur le marché, au détriment des énergies renouvelables, beaucoup plus coûteuses.

Notre rapport le souligne, 1,3 milliard de personnes restent en situation de précarité énergétique : 20 % de la population mondiale (Afrique subsaharienne, Pakistan, Bengladesh) vit sans électricité, avec les difficultés que cela entraîne non seulement en matière d'éclairage mais aussi de communication et de santé… Songeons que la quantité d'électricité consommée par 800 millions de personnes en Afrique subsaharienne est identique à celle de la seule ville de New-York. Ce déséquilibre est grotesque ! Si nous ne faisons rien, 1 milliard d'hommes et de femmes vivront encore, en 2035, sans électricité.

J'en viens à la question du changement climatique. L'augmentation attendue de la température de la planète dans les décennies à venir est de 6° Celsius. Afin d'éviter des conséquences catastrophiques, les chefs d'État se sont fixé au sommet de Cancun, l'objectif de contenir le réchauffement à 2°. Mais quel écart entre les déclarations et les réalités ! Nul instrument international contraignant n'a été signé par les États. Le sommet de Durban, en Afrique du Sud, y pourvoira-t-il ? Pour l'heure, le décalage reste immense et à mesure que se construisent, dans bien des pays, des usines de production énergétique fonctionnant aux énergies fossiles, on se rapproche des 6°. C'est ainsi que l'on ferme à clé la porte de notre avenir. Car pour atteindre l'objectif fixé, il faudrait plus de nucléaire, plus d'énergies renouvelables, une meilleure utilisation du charbon. Si tous les pays doivent contribuer à l'effort, reste que les États-Unis et la Chine sont à eux deux responsables de la moitié des émissions de CO2. S'ils ne s'engagent pas sur la voie tracée à Cancun, il y a peu de chances de voir s'inverser la vapeur. Au sein de l'Union européenne, les États membres disputent beaucoup du pourcentage de réduction des émissions, les uns tenant pour 20 %, les autres pour 30 %, mais cette différence, il faut bien en être conscient, ne représente pas plus de deux semaines des émissions de gaz de la Chine. Hors la valeur symbolique et morale de l'engagement de l'Europe, la tendance ne variera en rien si elle doit agir seule.

Quels seraient, dans le contexte que je viens de rappeler, les effets d'un moindre recours au nucléaire ? Ce choix est déjà celui de l'Allemagne, tandis que, dans bien d'autres pays, le débat est en cours, qui prend aussi en compte la question des coûts du nucléaire, sur lesquels Fukushima a jeté un nouvel éclairage. Reste que moins de nucléaire suppose son remplacement, selon les pays, par le charbon, le gaz naturel ou les énergies renouvelables.

Si je ne peux vous livrer maintenant tous les chiffres qui résultent de l'analyse que nous avons conduite, et qui seront dévoilés le 9 novembre, je suis en mesure de vous dire que le recul du nucléaire serait une mauvaise nouvelle pour l'économie mondiale, car bien des pays devront importer des énergies de substitution plus coûteuses. Mauvaise nouvelle aussi, pour la sécurité de l'approvisionnement, d'autant mieux assurée que les sources sont plus diversifiées. Mauvaise nouvelle, enfin, pour le changement climatique : la demande d'électricité ne fait que croître dans les pays émergents, et l'Europe n'atteindra jamais sans le nucléaire les ambitions qu'elle s'est fixées en matière de réduction de ses émissions ; sans parler de la situation des pays très engagés dans l'énergie nucléaire comme la France, le Japon ou la Corée.

Je l'ai dit, l'âge du pétrole bon marché est derrière nous, tandis que le marché du gaz naturel est engagé dans une recomposition majeure. Le manque de volontarisme sur le climat amenuise chaque jour nos chances d'atteindre l'objectif d'un réchauffement contenu à 2°. Dans ce contexte, les politiques nucléaires seront déterminantes, sachant que la Chine sera un acteur central dans la recomposition des marchés : une décision prise à Pékin a des implications à Paris, à Bruxelles, à Tokyo, à Washington. Il faudra observer de près ce qui s'y passe. L'interdépendance entre énergie et géopolitique ira croissant, d'où le caractère crucial, pour chaque pays, de sa production nationale.

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