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Intervention de Serge Lepeltier

Réunion du 2 novembre 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations internationales sur le changement climatique :

L'Europe prise globalement tient également ses engagements.

S'agissant de l'Allemagne, je tiens à vous préciser que le jour même où celle-ci a décidé de « sortir du nucléaire », elle a pris l'engagement de réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020. Or l'Allemagne n'a pas l'habitude de ne pas respecter ses engagements.

Si l'Allemagne, qui est pratiquement le premier pays industriel du monde, s'est fixé un tel objectif, c'est parce qu'elle sait que la réduction des émissions favorisera son industrie et son économie dans la mesure où elle permettra de faire baisser la consommation d'énergie, de réduire les coûts de production et de diminuer les importations. Il est très important que nous fassions valoir cet argument dans nos discussions avec les entreprises françaises, qui craignent en effet qu'une réduction trop rapide des émissions des gaz à effet de serre ne les pénalise et n'affecte notre système économique. Je ne sais si les Allemands vont atteindre leur objectif. En tout cas, ils s'engagent très fortement dans cette voie, notamment en développant les énergies renouvelables.

S'agissant de la fiscalité verte aux frontières, c'est-à-dire le mécanisme d'inclusion carbone, de nombreux pays européens – en particulier le Royaume-Uni – sont assez réservés sur le sujet. La réflexion est engagée, mais elle a du mal à progresser.

À Jean-Marie Sermier, qui s'est demandé si l'Europe n'aurait pas intérêt se montrer moins naïve, je répondrai qu'il ne faut pas oublier que le phénomène que nous devons combattre, c'est le changement climatique. En la matière, l'Europe est en pointe et il faut qu'elle le soit – elle compte en effet 500 millions de consommateurs. En mettant en place de vraies mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle accroît non seulement son autonomie énergétique, mais elle oblige de surcroît les entreprises désireuses de s'implanter sur son marché à respecter un certain nombre de règles. Par ce biais, les nouvelles technologies « propres » irrigueront le monde entier.

Juste avant l'été, les experts du GIEC se sont réunis à Brest – où je me suis moi-même rendu – pour travailler à leur cinquième rapport sur le changement climatique, et ils ont rencontré la ministre à Paris. Bien que l'information ne soit pas encore officielle – puisque ce rapport ne sortira qu'en 2013 ou 2014 –, il semblerait que les évolutions soient encore plus rapides et plus importantes qu'on ne l'imaginait. Le GIEC se demande d'ores et déjà si le réchauffement climatique n'atteindra pas, à terme, 5 à 6 degrés Celsius. Dans ce cas, nous risquons de nous trouver dans une situation économique désastreuse.

Pour ce qui est du nucléaire, je considère – y compris en tant qu'ancien ministre de l'écologie – que la France doit conserver la position très courageuse adoptée après la catastrophe de Fukushima. Il faudra procéder aux audits qui seront nécessaires et faire en sorte que cette catastrophe ouvre la voie à nouvelles solutions. Toutefois, un point me semble certain : si nous savons résoudre techniquement les problèmes du nucléaire, nous ne savons en revanche pas résoudre les conséquences du changement climatique.

Monsieur Plisson a estimé que l'écologie était passée au deuxième rang des préoccupations, après celles liées à la crise économique et financière. Certes, c'est compréhensible sur le plan médiatique. Mais n'oublions pas qu'aujourd'hui, économie et climat sont intimement liés : si nous ne résolvons pas les problèmes liés au climat, la crise économique s'accentuera très fortement.

Monsieur Saddier a évoqué la ratification par les 27 pays de l'Union européenne d'un accord prolongeant le Protocole de Kyoto. Le processus risque d'être extrêmement long et dépendra de la volonté des uns et des autres. C'est vraiment une question politique majeure.

Madame Gaillard, on ne peut pas dire que l'aide au développement diminue. En tout cas, nous ne pourrons atteindre nos objectifs qu'en mobilisant des financements innovants ; chacun connaît la situation budgétaire des États.

Vous vous demandez également si la France a envie d'avancer. Je le crois et je le constate. Même si le Grenelle de l'environnement semble parfois « se détricoter », notre pays reste globalement à la pointe du combat. Par ailleurs, en ce qui concerne le gaz de schiste, ma position est la même que celle de la ministre chargée de l'environnement.

Qu'adviendra-t-il si la conférence de Durban se solde par un échec et ne débouche pas sur une deuxième phase du Protocole de Kyoto ? J'observe que, de toute façon, l'Europe est engagée dans le paquet « énergie-climat », adopté sous la présidence française et dont l'objectif est, entre autres, de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020. Cet engagement sera tenu. La feuille de route européenne mise aujourd'hui en avant fait même passer cet effort à 25 % d'ici à 2020. Il n'en reste pas moins que nous devons absolument travailler à la réussite de la conférence de Durban.

Le résultat de la conférence de Durban est-il conditionné par celui des négociations menées dans le cadre du G20 à Cannes ? C'est l'évidence même. Les jours qui viennent seront excessivement importants pour l'avenir des financements innovants. Nous savons que ce ne sera pas facile, surtout après ce qui s'est passé hier. Mais, même si des décisions ne sont pas prises sur ces financements innovants, une dynamique peut s'instaurer sous la présidence du Mexique pour que les études se poursuivent. C'est même absolument nécessaire.

Monsieur Tourtelier, vous avez fait remarquer à juste titre que l'agriculture avait été mise de côté à Cancun – du fait, me semble-t-il, de l'attitude de l'Arabie Saoudite. Nous nous battons, avec quelques pays, pour que l'agriculture soit réintroduite dans le dispositif et nous sommes quasiment parvenus à un accord, qui devrait être officialisé à Durban.

En matière de transferts de technologie, les discussions avancent bien. Une avancée devrait être officialisée à Durban.

Le programme REDD + progresse également de manière satisfaisante.

Que fera-t-on des instruments du Protocole de Kyoto, si la conférence de Durban ne débouche pas sur une deuxième période d'application du Protocole ? C'est un vrai sujet politique. J'observe que le Japon, qui n'est pas favorable à cette deuxième période, désire pourtant continuer à en utiliser les instruments.

Quoi qu'il en soit, le MDP, le MOC et, plus généralement, tous les systèmes qui nous permettent – dans le cadre du paquet « énergie-climat » – de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, seront maintenus d'une façon ou d'une autre, même en cas d'échec à Durban. Nous y travaillons actuellement.

Pourquoi les contraintes seraient-elles aujourd'hui plus acceptables qu'hier ? Tout simplement parce que, sous la pression d'autres pays, les États-Unis et la Chine notamment commencent à comprendre la situation. La Chine, en outre, risque d'être gravement touchée par le changement climatique.

J'aborderai maintenant certaines questions très importantes soulevées par Claude Darciaux.

Le rapport Stern (2006) a évalué le coût des catastrophes climatiques, qui s'accélèrent et s'accumulent. Assez rapidement, ce coût pourrait atteindre 1 % du PIB mondial. Et si la température augmente de 4 à 5 degrés Celsius par rapport à l'ère préindustrielle, le PIB mondial – et donc la consommation mondiale – baissera de 5 % par an, voire, à terme, de 20 % ! Ce que l'on connaît aujourd'hui n'est donc encore rien par rapport à ce que nous risquons de connaître. Imaginez, alors que le monde est en croissance démographique, les crises que peuvent provoquer une telle baisse de la consommation et du PIB au niveau mondial.

Vous vous êtes également interrogée sur l'opportunité de conserver la règle de l'unanimité. En effet, aujourd'hui, un seul pays sur 192 peut bloquer une décision. Je remarque d'ailleurs que le consensus qui s'est dégagé à Cancun n'était pas une unanimité. Quoi qu'il en soit, une réflexion s'est engagée et le Mexique et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ont fait des propositions pour instaurer la règle de la majorité qualifiée. Même si cette question ne semble pas encore parvenue au plus haut niveau politique, l'ONU devra bien se la poser à un moment ou à un autre. Peut-on accepter, en effet, qu'un seul pays producteur de pétrole bloque tout le dispositif ?

Monsieur Kossowski m'a demandé qui contrôlait les accords et quelles étaient les sanctions prévues à l'encontre des pays qui ne respecteraient pas leurs engagements – c'est notamment le cas du Canada, qui est particulièrement en retard pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Des sanctions ont bien été prévues, mais dans le cadre de la mise en oeuvre d'une deuxième période d'application du Protocole de Kyoto, moment où l'on pourra apprécier les efforts réalisés – ou non – au cours de la première période. Le sujet est encore peu évoqué, car on attend de voir ce qui va se passer et s'il y aura, ou non, une deuxième période. Il n'empêche que cela conduit à s'interroger sur la définition d'un accord juridiquement contraignant : que signifie « juridiquement contraignant » si les pays qui ne respectent pas leurs engagements n'en subissent pas les conséquences ? Peut-on imaginer d'appliquer, fin 2012, les sanctions prévues ? C'est une question d'ordre politique.

Enfin, que peut-on faire contre la baisse de la pluviométrie et pour maintenir le niveau des nappes phréatiques ? Il n'y a pas de solution technologique pour lutter contre la baisse de la pluviométrie. Cela dit, aujourd'hui, on construit des puits pour fournir de l'eau aux pays les plus en difficulté, tels que les pays africains, où les nappes phréatiques qui ont été constituées depuis des dizaines de milliers d'années ne se reconstituent plus : il s'agit bien là d'une question d'adaptation au changement climatique.

La ville dont je suis maire est entourée par une zone agricole. Je sais donc que nous sommes parfois confrontés, en France, à des périodes de sécheresse. Mais parce qu'il est en zone tempérée, notre pays n'a pas et n'aura pas de réel problème de quantité d'eau, malgré le changement climatique. Cela ne nous dispense pas de nous interroger sur les usages et l'équilibre des usages de l'eau – par exemple, certaines productions en consomment beaucoup plus qu'il ne le faudrait. Nous ne sommes pas menacés de rupture, mais il faut y réfléchir sur le long terme.

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