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Intervention de Serge Lepeltier

Réunion du 2 novembre 2011 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations internationales sur le changement climatique :

Je vous remercie beaucoup de m'accueillir aujourd'hui.

La fonction d'ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique, qui n'existait pas lorsque j'étais ministre en charge de l'écologie, est à mes yeux très importante.

L'ambassadeur a d'abord un rôle de coordination des experts qui travaillent, pour ces négociations, dans des secteurs très différents selon les ministères. Lors de la conférence de Durban, les experts français seront au nombre de cinquante, une trentaine travaillant en permanence sur la seule question du réchauffement climatique.

Le deuxième rôle de l'ambassadeur consiste à faire le lien entre les experts et le politique. La ministre chargée de l'écologie ne peut en effet suivre, au jour le jour, l'état des négociations sur le réchauffement climatique, d'abord parce que ces dernières font l'objet de nombreux processus, ensuite parce qu'elle est fréquemment sollicitée sur des questions essentielles, comme les gaz de schiste et le nucléaire. L'ambassadeur, lui, peut suivre toutes ces questions dans le détail et faire le relais avec le politique : ainsi, dès qu'une question doit être arbitrée, je n'hésite pas à contacter immédiatement la ministre.

La conférence de Copenhague, en débouchant sur un accord, non pas global, mais de principe entre la plupart des États, a été considérée comme un échec. Néanmoins, elle a permis des avancées dans un certain nombre de domaines, que la conférence de Cancun, elle, a concrétisées par un accord global.

D'abord, les accords de Cancun ont consolidé le système onusien, qui prévoit une acceptation par l'ensemble des pays. Grâce à un consensus, ils ont remis en marche la négociation dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC, en anglais United nations framework convention on climate change, UNFCCC).

Ces accords visent à maintenir l'augmentation moyenne des températures mondiales en dessous de deux degrés Celsius par rapport à la période préindustrielle, avec des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays développés, d'une part, et de limitation de ces émissions pour les pays en développement, d'autre part. Ce point d'accord traduit un niveau d'ambition et une vision partagés par l'ensemble des pays. Ils permettent la mise en place d'un système de mesure et de vérification du respect par les pays de leurs engagements de réduction des émissions, dit « MRV » (mesure, reporting et vérification). À cet égard, le renforcement de la transparence est un élément très important.

Une autre avancée prévue par les accords de Cancun est la création d'un « Fonds vert » avec, dans un premier temps, des financements précoces, dits fast start, de 30 milliards de dollars sur trois ans (2010, 2011 et 2012), la France étant engagée à hauteur de 420 millions d'euros par an. À partir de 2020, ce fonds devrait mobiliser 100 milliards de dollars par année pour toutes les actions menées par l'ensemble des organismes concernés, les pays développés s'étant engagés à mener des actions à hauteur de cette somme contre le changement climatique. Ce qu'il adviendra entre 2012 et 2020 est une question politique actuellement posée dans les négociations.

Les accords prévoient également la création d'un comité pour l'adaptation aux changements climatiques pour guider les actions des pays en développement.

Ils prévoient en outre la mise en place d'un centre de technologie pour le climat pour développer le savoir-faire sur les nouvelles technologies vertes dans les pays en développement. Cela permettra des transferts de technologies du Nord vers les pays en développement afin d'aider ces derniers à mener des actions d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.

Enfin, les accords adoptés à Cancun permettront la mise en place du mécanisme REDD + pour la protection des forêts.

Les enjeux de la réunion de Durban sont de deux ordres.

Le premier est la mise en application opérationnelle des accords de Cancun. Aujourd'hui, des groupes de travail s'emploient en permanence et lors des réunions intermédiaires à mettre en place les systèmes dont j'ai parlé, en particulier celui du MRV, dont les principes, actuellement en discussion, peuvent faire l'objet d'arbitrages politiques. Dans la mesure où les choses se déroulent bien, il me semble que des décisions intéressantes pourraient être prises à Durban sur cette mise en application.

Le deuxième enjeu est de décider de la suite à donner aux points qui n'ont pas fait l'objet d'un accord à Cancun. Avant tout, il s'agit de savoir si les pays de l'Annexe 1 – les pays développés pour lesquels le Protocole de Kyoto prévoit une première période d'engagement pour la réduction de leurs émissions de gaz à effet et dont l'échéance est fixée au 31 décembre 2012 – décideront de s'engager dans une deuxième période d'engagement.

Ainsi, deux grandes questions politiques se posent à nous aujourd'hui, la première étant de décider, ou non, de nous engager dans une deuxième période d'engagement. Quant à la seconde, elle consiste à savoir si nous engageons une véritable négociation en vue d'un accord global qui comprendrait, au-delà des pays de l'Annexe 1, l'ensemble des pays du monde. À cet égard, on distingue trois groupes de pays.

Le premier est constitué des pays de l'Annexe 1 qui souhaitent s'engager dans une deuxième période d'engagement, dont les États membres de l'Union européenne et, éventuellement l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Suisse. Les premiers représentent entre 11 % et 15 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde ; au total, les pays de l'Annexe 1 représentent environ 27 % de ces émissions.

Le deuxième groupe est celui des pays en développement, y compris émergents – appelés « G77 plus la Chine » –, qui, sans être engagés dans l'Annexe 1, sont favorables à une deuxième période d'engagement.

Le troisième groupe est formé par les pays développés qui, engagés dans la première période, refusent clairement de s'engager dans une deuxième. Il s'agit du Japon, du Canada et de la Russie, les positions de cette dernière étant d'ailleurs parfois ambiguës.

Je rappelle que le Protocole de Kyoto, ratifié par 191 États, ne l'a pas été par les États-Unis.

Au sein de l'Europe, la France a été en pointe pour faire avancer la négociation, notamment vers la décision d'une deuxième période d'engagement. En effet, sa crédibilité à l'international est bonne sur ces questions – ce qui n'était pas le cas il y a dix ans, certains ayant pointé son retard dans l'application des directives européennes –, en particulier grâce aux engagements pris dans le cadre du Grenelle de l'environnement.

En liaison notamment avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Suède, nous avons défendu l'idée qu'une deuxième période d'engagement pouvait être envisagée, mais à une condition : que les pays émergents – dont les émissions de CO2 par tête d'habitant se développent désormais fortement – évoluent dans leur position en vue d'aboutir, à terme, à un accord global comprenant l'ensemble des pays du monde.

Ainsi, le conseil européen des ministres de l'environnement du 10 octobre dernier a pris position sur l'ouverture d'une deuxième période d'engagement, assortie, d'une part, de l'engagement d'un mandat de négociation en vue d'un accord global juridiquement contraignant – sachant que ces dernières notions devront être définies – et, d'autre part, d'un accord sur un agenda précis.

Au sein du « G77 plus la Chine », un grand nombre de pays ont commencé à intégrer nos arguments sur la Chine, le Brésil et l'Inde, à savoir que ces pays devront, à terme, accepter l'idée d'objectifs et d'engagements propres. J'en veux pour preuve la déclaration officielle, la semaine dernière à Bruxelles, de l'ambassadrice du Bangladesh – pays très vulnérable au changement climatique – selon laquelle la Chine a le devoir de s'engager sur ces questions.

Au fond, c'est la conférence de Copenhague qui a donné une image différente des négociations. Depuis Kyoto, les négociations sont annuelles – c'est le seul processus international permanent –, mais le processus doit être mené par étapes. À cet égard, je pense que Durban peut, sans être le lieu où toutes les décisions seront prises, constituer une étape importante en décidant, comme je vous l'ai expliqué, de l'application des accords de Cancun, de l'entrée dans une deuxième période d'engagement dans le cadre du Protocole de Kyoto, et du lancement d'une véritable négociation en vue d'un accord global.

Compte tenu de la date butoir de décembre 2012, retenue pour trouver un prolongement au traité de Kyoto, un accord ne pourra pas être ratifié avant cette date par les Vingt-sept, compte tenu notamment des processus de ratification des différents pays. Pour sortir de cette difficulté, la France propose – et elle a été assez écoutée dans les négociations – de prendre une décision politique à Durban pour une deuxième période d'engagement, mais aussi de conditionner le lancement du processus de ratification par l'Europe à l'engagement parallèle d'une négociation vers un accord global comprenant l'ensemble des pays. Au final, cette position permettrait de mettre l'Europe au coeur de la négociation et de faire avancer le processus.

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