Je vous remercie de votre invitation. Nous nous efforcerons d'éclairer votre Commission sur cette période particulière qu'a traversée notre collectivité territoriale, avant la crise de 2008, avec l'espoir que les parlementaires que vous êtes pourront à l'avenir faire en sorte que soient mieux encadrées les relations entre les collectivités territoriales et les organismes bancaires, qui sont leurs principaux prêteurs.
Toutes les collectivités ne se ressemblant pas, je vais en quelques mots vous présenter la ville de Saint-Étienne et vous expliquer les raisons pour lesquelles nous avons eu recours à des emprunts structurés.
Saint-Étienne a connu un désastre industriel sans précédent. Après la guerre, notre ville a perdu toute son industrie – Manufrance, la manufacture GIAT Industries, le textile, les mines, notamment – et a subi de plein fouet toutes les reconversions industrielles qu'a connues notre pays.
Cela s'est traduit par la perte de dizaines de milliers d'emplois et par un exode de la population puisque nous sommes passés de 220 000 à 170 000 habitants en cinquante ans – notre ville a perdu 50 000 habitants en quelques décennies ! Comme le relève la chambre des comptes de la région Rhône-Alpes, une ville qui perd sa population dans de telles proportions dispose de moyens de fonctionnement qui n'ont rien à voir avec ceux d'une ville qui connaît une extension croissante de sa démographie. D'autant que la population qui est partie était globalement la plus solvable et que celle qui est restée est parmi les plus fragiles – notre PIB par habitant était très inférieur à la moyenne nationale. La pauvreté relative de sa population, une perte démographique considérable ainsi qu'une tragédie industrielle que peu d'autres villes ont connue ont fait de Saint-Étienne un exemple pour les experts internationaux, qui sont venus étudier son cas au même titre que ceux de Bilbao, Sheffield ou le bassin de la Ruhr, sans pour autant nous apporter de solutions.
Il fallait relancer la ville. C'est la raison pour laquelle, en 1994 et 1995, nous avons décidé de lancer un projet urbain qui visait à résorber les friches industrielles. La présence de friches entraîne nécessairement une perte de recettes pour une ville car, non seulement elle perd de la fiscalité et des emplois, mais en plus elle doit acheter les friches. Il fallait donc trouver des soutiens. Je les ai trouvés en créant en 1995 la communauté d'agglomération. Les 43 communes qui la composent ont épaulé la ville de Saint-Étienne, tout comme la population stéphanoise, qui a compris les enjeux de cette évolution, mais aussi l'État, qui, décidé à aider une ville en déclin, a accepté de créer deux établissements publics : l'un destiné à résorber les friches industrielles, l'autre à créer de l'aménagement et à restructurer la ville. C'est un avantage rare que nous partageons avec la ville de Marseille.
Saint-Étienne était alors une ville très endettée par habitant et elle l'est toujours, ayant perdu une part de sa population. Nous avons donc fait le maximum pour redresser la ville tout en la désendettant, afin qu'elle retrouve des capacités d'investissement. Et nous avons réussi puisqu'en quinze ans nous avons réduit la dette de la ville de près de 100 millions d'euros.
Jusqu'en 2008, nous avons centré notre action principalement sur la baisse de la dette et le maintien des taux de fiscalité, même si, sur ce point, nous n'avons pas fait autant que nous le souhaitions. La population la plus solvable, qui habitait à la périphérie de la ville, avait la chance de payer de deux à trois fois moins d'impôts locaux que les Stéphanois. Dans un souci d'équité, nous avons souhaité rétablir l'équilibre, sachant que les charges de centralité étaient portées par la seule ville de Saint-Étienne que les impôts payés par les Stéphanois devaient être revus à la baisse.
Nous avons dans le même temps souhaité investir pour restructurer la ville, et pour cela nous avons eu besoin d'emprunter. Comme toutes les collectivités, nous avons ouvert le jeu en direction des banques et choisi les produits les moins chers sur le marché de l'époque.
La chambre régionale des comptes indique dans son rapport que, si nous avions souscrit à des taux fixes de 3,60 %, cela aurait représenté une charge supplémentaire de 14 millions d'euros pour la ville de Saint-Étienne. Or je suis obligé de vous dire que nous avions besoin de ces 14 millions d'euros. Nous avons bénéficié de taux d'intérêt très bas. Comme beaucoup d'autres collectivités, nous avons géré notre budget de façon active afin d'économiser les moyens financiers de la ville. Peu de grandes collectivités ont échappé aux produits structurés, comme l'indiquait un rapport publié en juin dernier par le journal Le Monde.
Ainsi que le souligne la chambre régionale des comptes, j'avais dès 2006 demandé à nos services de veiller à réduire le nombre des emprunts structurés, mais il n'est pas raisonnable, pour une collectivité, de changer de cap à 180 degrés du jour au lendemain. Il fallait se désengager peu à peu, sécuriser davantage la dette et faire en sorte de retrouver des moyens – ce que j'appelle la « matière fiscalisable » –, grâce au retour des entreprises et des ménages dans la ville.
Nous avons souscrit des emprunts pour épargner le plus possible le budget de la ville et retrouver des marges de financement disponibles pour les investissements. Le fait pour une ville de passer de 220 000 à 170 000 habitants ne supprime pas du jour en lendemain l'entretien des écoles et des kilomètres de voirie : il faut continuer à entretenir la ville et à l'aménager comme si elle avait conservé 220 000 habitants. Quand une ville perd un quart de ses habitants, l'équipe municipale doit se battre chaque matin pour réaliser des économies, y compris sur les moyens de fonctionnement. La ville de Saint-Étienne compte 3 500 fonctionnaires municipaux. Nous avons peu à peu réduit la masse salariale, qui représente 53 % du budget de la ville, de manière à épargner les contribuables et aider la ville à redémarrer.
J'avais souhaité remettre à chacun d'entre vous un document incontesté et incontestable puisqu'il émane de la London School of Economics (LCE), qui a étudié sept villes européennes en danger de désindustrialisation. Dans un rapport approfondi de 40 pages relatif à la situation de Saint-Étienne, la LSE concluait que nous étions sur la bonne voie. Je ne dirai pas que nous avons tout parfaitement réussi mais, si nous avons emprunté – pas plus d'ailleurs que de nombreuses autres collectivités – c'est que nous avions besoin de trouver les moyens de relancer l'économie.
Les ménages stéphanois solvables, soit à peu près un sur deux, n'en pouvaient plus de payer tant d'impôts. Sans faire de miracle, nous avons essayé de maintenir le taux de fiscalité. Nous avons comparé le cas de Saint-Étienne avec celui de Montpellier, mais cette dernière est passée en quarante ans de 170 000 à 240 000 habitants. Je ne dis pas que tout est facile pour Montpellier, mais la ville retrouve de la ressource et cet afflux de population nécessite de nombreuses constructions. À Saint-Étienne, en revanche, il nous fallait gérer d'innombrables friches industrielles et urbaines. L'État doit soutenir les villes en difficulté. C'est ce qu'il a fait, comme vous le dira tout à l'heure le préfet de l'époque, Michel Morin, qui avait expliqué à l'administration centrale la situation de Saint-Étienne et la nécessité de faire appel à la solidarité nationale. Il fallait que nous trouvions les moyens de rebondir. Nous les avons trouvés en créant deux établissements publics : l'EPORA, pour gérer les friches industrielles, et l'EPA, créé pour accélérer l'aménagement de la ville, qui fut doté en 2007 de 120 millions d'euros. Tous ces éléments ont été longs à mettre en place.
Une ville est comme un gros paquebot : elle ne se manie pas facilement. Il faudra sans doute de nombreuses années pour rétablir l'équilibre.