Lors de son audition hier par notre Commission, M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, nous a déclaré avec justesse que les aides à la presse étaient particulièrement importantes et en progression. Je ne le contredirai pas sur ce point, même si leur montant a légèrement diminué cette année. J'insisterai en revanche sur une question : à quoi servent des aides ciblées sur les mauvais bénéficiaires, privilégiant le « lecteur consommateur » au détriment du « lecteur citoyen » ? Si les aides étaient bien ciblées, pourquoi des crises telles celles de La Tribune, de France Soir, de L'Indépendant, du Midi Libre, de Centre Presse, ou encore de Paris Normandie ?
La raison en est simple : les aides sont tellement intégrées au modèle économique de certaines publications qu'elles les ont trop souvent incitées à différer les ajustements nécessaires, le remède ayant, dès lors, pour effet d'aggraver le mal. Si nous continuons en ce sens, la presse va « mourir guérie ». J'irai même jusqu'à dire qu'accroître le montant de certaines aides revient à aggraver la maladie.
Par ailleurs, au vu de la situation de Presstalis, les spécialistes du secteur ne peuvent jurer de la pérennité du système de distribution de la presse en France. En effet, Presstalis n'étant plus capable d'assurer la totalité de cette distribution, chacun « se débrouille ». Or si, demain, chaque titre devait disposer de son propre système de distribution, le principe de l'aide à la presse magazine récréative serait définitivement remis en cause. En effet, si cette presse a été aidée dans les mêmes proportions que la presse dite « citoyenne », c'est-à-dire les quotidiens ou les hebdomadaires politiques, c'est parce que la mise en oeuvre d'un système coopératif permettait que la presse quotidienne puisse être distribuée dans de bonnes conditions. Aujourd'hui, nous laissons mourir les quotidiens et nous continuons à aider ceux qui se portent le mieux et ont décidé de ne plus participer à ce système coopératif.
La situation des diffuseurs, dont l'amélioration était l'un des objectifs principaux des États généraux de la presse écrite, n'a jamais été aussi mauvaise. Le réseau des points de vente dont on annonçait le développement est en régression, sur un plan tant quantitatif que qualitatif. Notre collègue Christian Kert déclarait hier, en Commission, que cette situation alarmante était exclusivement imputable à la situation économique et au développement d'internet. Il n'a pas tout à fait tort, mais son raisonnement est un peu court. Les éditeurs ont eux aussi une part de responsabilité. L'offre n'est pas toujours adaptée à la demande. Les journaux ne se soucient pas toujours assez du lecteur : on écrit trop souvent pour ses confrères, le pouvoir politique, le pouvoir économique, voire pour les publicitaires, et l'on a tendance à s'adresser à un lecteur qui présente la particularité d'être un homme blanc de plus de cinquante ans, ce qui exclut l'essentiel de la société française du lectorat potentiel. En outre, la paupérisation et la précarisation croissantes du métier de journaliste ne sauraient être sans effet sur la qualité de l'offre.
Je suis pourtant convaincu que la situation serait meilleure si le 1,2 milliard d'euros d'aides publiques consacrées chaque année à la presse avait été mieux employé et ciblé. Ainsi, le total des aides à la presse en ligne ne s'élève qu'à 20 millions d'euros ! Cela n'empêche pas que l'on se gargarise d'en faire une priorité… Des députés, issus de tous les bancs de notre Assemblée, se sont battus pour abaisser le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pesant sur cette catégorie de presse, en vain : le taux restera fixé à 19,6 %. Heureusement, Voici n'est assujetti à la TVA qu'à un taux de 2,1 %... Vous pouvez constater, avec moi, que la situation est sur certains points totalement invraisemblable !
Le développement du portage était présenté comme « la priorité des priorités ». On lui a consacré des moyens importants l'année dernière, ce qui était peu judicieux car on n'avait pas encore eu le temps d'organiser cette activité, d'où des effets d'aubaine importants pour la presse régionale. Maintenant que ce secteur est en cours de structuration, on réduit ses aides. Le portage présente pourtant un réel intérêt, notamment en raison de la mutualisation des moyens qu'il permet. Alors qu'il était considéré comme un enjeu fondamental, la situation est aujourd'hui la suivante : 43 % de la distribution se fait au numéro, 38 % par voie postale, 19 % par portage. Je rappelle que la part du portage atteint 88 % aux Pays-Bas et 60 % en Allemagne. Nous savons tous que le développement de la presse passe par une augmentation de l'aide au portage. Il n'en sera rien. En revanche, nous allons continuer à aider, dans des proportions considérables, la distribution par voie postale. Cette situation est très inquiétante.
Enfin, les États généraux de la presse écrite devaient déboucher sur une profonde réforme des aides à la presse, appelée de ses voeux par le Président de la République. Le ministre chargé de la culture et de la communication a mis en place à cet effet une « instance de concertation » – vous remarquerez, mes chers collègues, que notre présence dans cette structure était sans doute inconvenante puisque nous n'y avons pas été conviés. Après les constats alarmants établis par les missions confiées à l'Inspection générale des finances et à M. Aldo Cardoso sur l'efficacité des aides à la presse, qui appelaient une action de grande ampleur, nous voilà donc sauvés : sur 1,2 milliard d'euros, 30 millions d'euros seront concernés par la réforme des aides à la presse. Ladite réforme consiste à fusionner deux fonds, qui n'étaient distincts que pour des raisons d'affichage, en un seul fonds, qui comportera autant de sous-sections qu'en avaient les deux anciens fonds fusionnés… Vive la révolution !
Sont également annoncées des mesures d'amélioration de la gouvernance des aides, qui constituent le seul point positif de ce budget. Nous avons en effet obtenu quelque chose d'extraordinaire : les montants des aides attribuées à chaque bénéficiaire seront rendus publics – c'est du moins ce que l'on nous annonce ; nous verrons dans un an si cette mesure est appliquée. Jusqu'à présent, il nous était soutenu qu'une telle publicité était impossible au regard du secret des affaires. Le rapporteur pour avis que je suis n'a pas pu, l'année dernière, avoir communication de ces montants ! Je vous livre néanmoins quelques chiffres : l'aide attribuée à France Soir s'élève à 0,50 euro par numéro, soit 50 % du chiffre d'affaires de ce titre ; celle octroyée à Libération est de 0,09 euro par numéro. Voilà des aides attribuées avec bien du discernement…
J'en viens maintenant à l'Agence France-Presse (AFP). La présente législature aura été jalonnée par une succession d'annonces et de propositions discutées et discutables, présentées systématiquement comme des priorités incontournables sur la base d'arguments plus ou moins clairs et convaincants. Il en résulte aujourd'hui une situation de malaise et de blocage d'autant plus regrettable que certaines questions devraient pouvoir être abordées de manière consensuelle. Il en résulte également une réelle incompréhension, non seulement entre la direction et les salariés, mais aussi, parfois, entre l'Agence et ses clients.
Pour sortir de l'impasse, j'estime qu'il convient de bien distinguer les vrais enjeux des fausses priorités. Oui, une réflexion sur la gouvernance est nécessaire, de même que sur le statut et les relations financières entre l'État et l'Agence. Oui, c'est tout de suite qu'il faut assurer la stabilité du président-directeur général. Celui-ci ne peut être nommé pour trois ans et changer au même rythme que les ministres chargés des sports – vous voyez bien que cela n'est pas très sérieux. Si nous ne nous engageons pas dans cette voie, la situation de l'Agence ne pourra que s'aggraver. L'AFP n'est pas une officine chargée de diffuser des communiqués successifs, comme l'a cru M. Frédéric Lefebvre lorsqu'il était encore député. Elle n'est pas non plus la voix officielle de la France. En revanche, elle doit être une voix par laquelle la France peut faire entendre ses valeurs au-delà de nos frontières.
Comme toutes les agences, l'AFP doit faire face au bouleversement du numérique. Elle ne pourra survivre ni à l'inertie, ni à l'immobilisme. Mais elle doit conserver un regard alternatif par rapport aux autres agences et refuser l'uniformisation.
En conclusion, je soulignerai qu'il faut veiller à ne pas céder à la tentation de diaboliser internet. Internet appartient à tous, comme la culture. Méfions-nous donc des tentatives d'en restreindre l'accès. La frustration face aux « chambardements » en cours ne sert à rien, surtout si l'on continue de proposer des contenus et des produits du XIXème siècle. Pour offrir la meilleure expérience dans une société de l'interaction, les médias devront réconcilier la dynamique sociale offerte par internet et des contenus de qualité. Ils devront préserver ce qui fait leur force : leur capacité reconnue pour enquêter sur des terrains difficiles et vérifier l'information. Ils restent récipiendaires d'une certaine confiance. Pour combien de temps ? Nous n'en sommes qu'au tout début de cette révolution de l'information et personne ne sait – du moins, pas moi – où elle nous mènera.