Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Martine Martinel

Réunion du 26 octobre 2011 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Martinel, rapporteure pour avis :

Je voudrais m'associer tout d'abord aux compliments adressés à notre collègue Jean Roatta que j'ai toujours beaucoup apprécié.

J'en viens maintenant au rapport que j'ai consacré aux réformes en cours de l'audiovisuel public, concernant plus particulièrement France Télévisions et l'audiovisuel extérieur de la France (AEF). Vous comprendrez que je ne partage pas tout à fait ce que nous a dit hier le ministre de la culture et de la communication. S'agissant de France Télévisions, le bilan très négatif de la suppression de la publicité se confirme. Son impact sur l'audience et sur les programmes est nul, voire négatif. Le seul effet incontestable était normalement l'avancement des horaires des programmes. Or, il semblerait, d'après nos minutages et les informations qui nous ont été transmises par divers observateurs, que ces derniers commencent de plus en plus tard et je regrette que France Télévisions ne m'ait pas apporté les précisions demandées sur ce point.

Le nouveau financement n'est absolument pas garanti à l'euro près, contrairement à ce qu'avait affirmé notre collègue Jean-François Copé, la main sur le coeur, au moment de l'adoption de la loi. Ce financement se traduit au contraire par un recul inquiétant de l'indépendance financière du groupe, comme en témoignent les initiatives très préoccupantes annoncées par nos collègues Patrice Martin-Lalande et Gilles Carrez.

Rappelons que l'objectif affiché de la loi de 2009 était de renforcer le service public audiovisuel. Si nos collègues de la Commission des finances cherchent désespérément à dégager des ressources pour l'État, je leur suggérerais bien volontiers de revenir sur la suppression de la publicité pour laquelle ils ont voté, eu égard à son bilan très négatif, plutôt que de mettre le service public dans l'incapacité d'accomplir sa mission. Je soutiendrais d'ailleurs une telle initiative. Je rappellerai également aux orthodoxes budgétaires que la « taxe télécoms » qu'ils ont mise en place est une véritable bombe à retardement pour les finances publiques.

S'agissant des évolutions intervenues en 2011, avec le changement de direction, au mieux elles déçoivent, et au pire inquiètent. Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) est bâti sur une prévision insincère de ressources publicitaires et, comble d'hypocrisie, la Direction du budget et la régie publicitaire de France Télévisions m'ont confirmé que cette trajectoire avait été établie comme si la publicité en journée était maintenue, solution à laquelle le Gouvernement s'est opposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011 !

La nouvelle organisation interne a certes eu le mérite de mettre fin au guichet unique, mais certains constatent une trop grande décentralisation des responsabilités, qui aurait quelque peu, je cite, « cassé la logique de l'entreprise commune » et mis les chaînes en concurrence.

Outre le financement, la principale préoccupation porte évidemment sur la nouvelle stratégie éditoriale. On ne peut pas dire, à sa décharge, que le service public soit sanctionné pour son audace et pour une programmation qui pourrait être qualifiée de particulièrement ambitieuse et exigeante. Dans un article récent et sur la base d'un décryptage minutieux des nouvelles grilles de programme, le quotidien Le Monde parlait même de « racolage public ». On ne peut d'ailleurs pas exclure que la baisse récente de l'audience vienne au contraire sanctionner une volonté trop forte d'augmenter cette dernière.

En ce qui concerne le numérique, l'effort financier, qui n'est que de 55 millions en 2011, est évidemment très décevant au regard des enjeux, de la priorité affichée et des quelque 300 millions qu'y consacre la BBC.

Je reviens également sur la grave anomalie que représente l'absence de chaîne consacrée à la jeunesse, d'autant que le groupe en a pris conscience et reconnaît le bilan très mitigé de sa programmation jeunesse. J'avais proposé l'an dernier de faire de France 4 la chaîne jeunesse. Cette proposition me semblait à même de remplir l'objectif de rajeunissement de l'audience et de renforcement de l'identité de la chaîne. Lors de son audition, M. Jean-Louis Missika a estimé que la mission de France 4 était perdue d'avance. La cible visée – les 15-40 ans – est en effet la plus disputée par les chaînes privées, celle dont le lien avec le service public est le plus ténu et dont la consommation de médias se fait avant tout sur internet. Je rejoins Mme Véronique Cayla, présidente d'ARTE France, qui a déclaré devant nous : « il ne sert à rien de tenter de toucher les jeunes adultes sur la télévision classique : ils sont déjà partis ailleurs ».

Le groupe envisagerait plutôt le rachat des parts de Lagardère dans Gulli. Cette solution apparaît peu réaliste dans la mesure où le groupe Lagardère, que j'ai auditionné, a clairement déclaré qu'il serait bien volontiers acheteur des parts de France Télévisions, mais absolument pas vendeur des siennes.

Je propose également que le groupe s'investisse davantage dans une autre mission de service public qu'est la mise en valeur du patrimoine audiovisuel, dont la numérisation a fait l'objet d'un financement de grande ampleur, notamment dans la perspective de la télévision connectée.

S'agissant de l'audiovisuel extérieur de la France, au-delà des scandales à répétition que nous avons évoqués hier, nous ne pouvons plus tolérer, en tant que députés représentants de la Nation, l'absence illégale de COM et le tissu de mensonges que constitue la communication de la direction sur la situation financière et les résultats de l'entreprise. Voici une liste non exhaustive des justifications mensongères avancées successivement par la direction devant les parlementaires pour expliquer l'absence de COM. Ce fut d'abord l'intégration difficile des sociétés qui composent l'AEF, puis la nécessité d'un retour préalable à l'équilibre de RFI. Le problème est ensuite devenu le statut particulier de TV5 Monde au sein de l'AEF, puis la demande de rallonge budgétaire pour financer TV5 Monde et, élément nouveau, la suppression d'une émission de prêche évangéliste sur Monte Carlo Doualiya. De là à penser qu'on se moque de nous, le chemin n'est pas long.

En 2011, il est apparu au grand jour que la direction avait également menti sur les perspectives financières de l'AEF, obligeant l'État, qui lui avait accordé une confiance aveugle, à demander à l'Inspection générale des finances de l'éclairer.

Aujourd'hui, M. de Pouzilhac, que j'ai auditionné, estime que les crédits qui lui sont attribués ne sont pas à la hauteur des besoins. Il conteste très fortement les conclusions du rapport de l'Inspection générale des finances et a indiqué que si ce rapport devait servir de base à la négociation d'un COM, on pouvait – pour être un peu familier – toujours attendre.

S'agissant de l'impact de la réforme et donc des résultats d'audience, depuis l'arrivée de M. de Pouzilhac, les chiffres avancés font largement polémique. Lors de son audition, M. de Pouzilhac s'est d'ailleurs ému que l'Inspection générale des finances puisse l'accuser de « truquer » – je reprends son expression – ses chiffres d'audience, information qui m'a évidemment fortement troublée. Il me semble qu'on peut exiger par conséquent du Gouvernement qu'il infirme ou qu'il confirme au plus vite cette information – puisque nous n'avons pas connaissance du rapport de l'Inspection générale des finances – et, si elle est confirmée, qu'il en tire les conséquences qui s'imposent en révoquant sans plus tarder M. de Pouzilhac.

Sur le fond, je souhaite faire part de mes interrogations sur deux points qui me paraissent d'une urgence et d'une gravité particulières : le projet de fusion entre France 24 et RFI et l'avenir de TV5 Monde au sein de l'AEF. Je suis plus que réservée, comme beaucoup d'entre vous, me semble-t-il, sur l'opportunité de ce projet de fusion qui est mené à marche forcée, sur la base d'arguments fallacieux.

Pour justifier son projet, M. de Pouzilhac renvoie systématiquement à l'exemple de BBC World où, après vérification, on constate qu'il n'y a pas de fusion entre les rédactions radio et télévision. Le président fonde également son argumentaire sur les prétendus succès du pôle arabophone qui a rapproché Monte Carlo Doualiya et France 24 arabophone. L'argument se retourne contre lui-même puisqu'il montre bien que les synergies peuvent être réalisées sans fusion. Je pense surtout que les métiers sont différents, s'agissant en particulier d'une ancienne chaîne de radio généraliste et d'une jeune chaîne de télévision d'information en continu. Je rappelle que, même au sein de groupes comme France Télévisions et Radio France, dont les antennes font toutes le même métier, il n'y a pas de fusion des rédactions.

J'en viens maintenant à l'avenir de TV5 Monde. Non seulement TV5 Monde est particulièrement marginalisée dans les préoccupations de l'AEF, mais la direction présente systématiquement TV5 Monde comme un problème. À son tour, TV5 Monde ne se satisfait pas de son intégration au sein de l'AEF et on peut le comprendre : la chaîne n'est pas représentée au conseil d'administration de l'AEF et n'est pas associée aux négociations du COM qui doit prévoir l'essentiel de son financement. Quant à nos partenaires francophones, un peu froissés depuis le rapport Benamou, ils ne comprennent toujours pas la présence de TV5 Monde au sein de l'AEF et souhaitent que la question soit de nouveau ouverte.

Compte tenu de ces éléments, j'estime, comme de nombreux spécialistes, que la question de la place de TV5 Monde au sein de l'audiovisuel extérieur de la France mérite d'être sérieusement posée et repensée.

La question se pose aussi sérieusement d'un rapprochement avec France Télévisions. Je suis persuadée, en tant que rapporteure pour avis, que l'un des défauts majeurs de France 24 est d'avoir été créée ex nihilo, en dehors de l'audiovisuel public. Les synergies entre France 24 et le groupe audiovisuel public pourraient pourtant être substantielles. En effet, le COM de France Télévisions, sur lequel nous avons formulé un avis il y a peu de temps, réaffirme la priorité que constitue le renforcement du rôle de France Télévisions à l'international. Environ 200 personnes travaillent à l'international au sein de France Télévisions. Le groupe France Télévisions dispose de onze bureaux à l'étranger dans toutes les grandes capitales du monde et de l'Agence internationale de télévision (AITV), rédaction dotée d'un réseau très dense de correspondants en Afrique et qui a joué un rôle majeur pour couvrir la crise en Côte-d'Ivoire. Dans les pays francophones du Maghreb, le rôle de France Télévisions est aussi, voire plus important, que celui de l'AEF.

Rappelons également que France Télévisions est quasiment la base de données de France 24. Un adossement de l'AEF à France Télévisions aurait une logique qui, pour le coup, serait véritablement celle de la BBC, où BBC World Service fait bien partie de la grande maison BBC.

L'argument selon lequel France Télévisions a suffisamment de travail avec sa propre réforme et la nécessité prétendue de disposer d'un pôle dédié autonome ne paraît pas recevable, eu égard à l'exemple de la BBC et dans la mesure où le groupe France Télévisions inscrit le développement à l'international parmi ses priorités, alors que ce n'est pas foncièrement son rôle.

En ma qualité de rapporteure pour avis, j'aurais d'ailleurs jugé une rationalisation de l'audiovisuel extérieur en fonction des métiers - France 24 étant rattachée à France Télévisions et RFI à Radio France - plus pertinente que l'organisation retenue. Cette répartition n'aurait évidemment pas fait obstacle à la mise en place de synergies entre les uns et les autres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion