Il est légitime que la Délégation aux droits des femmes se saisisse d'un sujet qui, dans le quotidien, concerne avant tout les femmes.
Celles-ci sont en effet en première ligne pour deux raisons : d'une part, leur espérance de vie, supérieure à celle des hommes, fait que ce sont en majorité des femmes qui sont en situation de dépendance ; d'autre part, ce sont aussi des femmes qui, en établissement ou à domicile – et souvent sous forme d'emplois précaires ou d'emplois partiels – travaillent dans le secteur de l'aide à la personne.
En préalable à l'éventuelle reconnaissance d'un cinquième risque dans le champ de la protection sociale – qui est un engagement du programme présidentiel de 2007 – des groupes de travail ont été constitués à la demande de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale sur la question de la dépendance. Pour tous les intervenants, il est clair qu'il faut favoriser le maintien à domicile des personnes dépendantes, les enquêtes montrant que 90 % des Français souhaitent rester dans leur logement pendant les dernières années de leur vie.
Mais la question du maintien à domicile est un sujet complexe et de nombreux organismes intervenant dans le secteur des soins à domicile connaissent des difficultés financières aboutissant parfois à des dépôts de bilan.
Cette situation a motivé la mission qui m'a été confiée à la fin du mois de juillet.
Conformément aux termes de ma lettre de mission, j'ai d'abord dressé un état des lieux en procédant, au mois de septembre, à des auditions des différents acteurs – organismes privés, intervenants publics, associations, conseils généraux et représentants de l'État – et j'ai travaillé sur des propositions susceptibles d'être adoptées à l'occasion de la prochaine discussion du projet de loi de finances (PLF) et du PLFSS pour 2012.
Dans le cadre de cette mission, il m'a également été demandé d'aborder un problème qui met en jeu l'ensemble du dispositif, celui de la tarification des services. J'ai donc prévu de procéder à des déplacements auprès d'une dizaine de conseils généraux afin de me rendre compte de la situation sur le terrain. Des propositions ont déjà été formulées sur ce sujet par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale des finances (IGF) dans un rapport récent. L'Assemblée des départements de France (ADF), après avoir signé une convention avec 14 associations, expérimente, quant à elle, de nouvelles modalités de tarification. Je proposerai, pour ma part, des pistes alternatives.
Concernant la première partie de mon rapport, trois amendements seront présentés au cours des discussions du PLF et du PLFSS.
Le premier amendement, présenté au nom du Gouvernement dans le PLF, consiste à proposer la création d'un fonds d'aide de 50 millions d'euros pour les services à domicile connaissant des difficultés financières. Ce fonds sera délégué à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), plus précisément à la section IV de son budget, laquelle porte sur les crédits attribués aux services de soins à domicile. La CNSA attribuera ces sommes aux agences régionales de santé (ARS) selon les mêmes règles de répartition que celles des fonds de compensation de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Les dossiers des associations candidates seront d'abord instruits pour avis par la direction régionale des finances publiques. Celle-ci vérifiera la solidité de leur budget – il est en effet exclu de distribuer des aides qui se révéleraient vaines si les structures concernées étaient trop en difficulté – et appréciera les efforts de gestion et d'organisation qu'elles auront accomplis dans les mois précédant leur demande. Les associations seront alors renvoyées vers les ARS où une commission composée de représentants des services de l'État et des conseils généraux sera habilitée à distribuer les crédits. Il conviendra en un premier temps de répondre aux demandes d'aide les plus urgentes puis d'assurer un accompagnement financier dans la durée.
Le deuxième amendement portera sur le soutien aux familles en difficulté. Celles-ci peuvent être aidées par des techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF), par exemple lorsqu'une mère de famille nombreuse, pour des raisons de santé, n'est plus en mesure provisoirement de s'occuper de ses enfants. Ces interventions ne bénéficient malheureusement plus du dispositif d'exonération de charges, celui-ci n'ayant été maintenu que pour l'aide aux personnes fragiles – personnes âgées dépendantes ou handicapées. Il en résulte d'importants problèmes de financement pour les associations d'aide à domicile. Cependant la disposition législative nécessaire pour étendre le champ des exonérations aux interventions des TISF coûterait 25 millions d'euros et l'amendement pour l'introduire dans le PLFSS n'est pas à ce jour gagé. Il n'y a donc pas de certitude sur l'adoption de cette mesure pourtant nécessaire.
Enfin la troisième mesure sera présentée en même temps que l'amendement relatif au fonds d'aide de 50 millions d'euros. Elle vise à donner davantage de sécurité juridique aux expérimentations faites par les départements pour introduire des modalités de tarifications différentes de celles que prévoit la loi.
La seconde partie du travail entrepris dans le cadre de ma mission porte sur la tarification.
Le problème est complexe car il s'inscrit dans la politique de décentralisation. On sait que la baisse des recettes, provoquée par la crise de 2009-2010, de la CSG et de la journée de solidarité a eu pour conséquence que les dépenses consenties par les départements pour assurer le paiement de l'APA n'ont plus été compensées au même niveau par l'Etat, même si un fonds exceptionnel de 150 millions d'euros a été débloqué.
De fait, si la décentralisation a pour avantage de permettre la mise en place de mesures adaptées à la réalité du terrain, elle a aussi pour conséquence des visions très différentes de l'organisation tarifaire des aides à domicile.
Certains conseils généraux ont instauré des procédures d'autorisation des services d'aide à domicile et fixé les tarifications. Ceux-ci sont d'un montant généralement suffisant pour assurer la totalité des soins. En l'absence d'autorisation, le service peut sur-tarifer sa prestation ; la personne est alors contrainte d'acquitter un reste à charge. Dans ce système, les services non autorisés peuvent difficilement se développer.
Dans d'autres départements, les services d'aide à domicile font l'objet d'une certification « qualité » et ne sont pas soumis à un régime d'autorisation. Ce dispositif encourage le développement de services commerciaux d'aide à domicile, conformément à la loi relative au développement des services à la personne, élaborée par Jean-Louis Borloo, qui avait pour objectif de susciter la création d'emplois de proximité. Les services d'aide certifiés assurent aujourd'hui 5 % du volume horaire global.
Pour certains, la concurrence qui résulte de cette diversité de dispositifs entre la filière associative et le secteur privé serait la source des difficultés que connaît l'ensemble du secteur car elle aurait eu pour effet de faire diminuer le volume horaire disponible.
La réalité du problème semble cependant être différente.
La première cause des difficultés tient au fait que la tarification dans les départements se révèle souvent inférieure au prix de revient des services effectués.
Par ailleurs, les associations ont souvent mené, légitimement, des politiques ambitieuses de formation professionnelle et ont encouragé la valorisation des parcours professionnels, ce qui, dans le cadre de conventions collectives, a eu des conséquences sur les niveaux de rémunération. Or une intervention auprès d'une personne dépendante peut consister en des tâches très diverses n'exigeant pas les mêmes qualifications ; par exemple, faire la vaisselle ou ouvrir les volets, et prodiguer des soins corporels à la personne. De plus, lorsque le professionnel est qualifié, l'association doit le payer en prenant en compte ses temps de déplacement alors que le conseil général ne rembourse que la prestation effectuée auprès de la personne dépendante. Les associations travaillant en milieu rural, où les distances à parcourir sont importantes, sont particulièrement affectées par ce type de contrainte.
Ces problèmes sont encore aggravés par le fait que les conseils généraux ne disposant plus des mêmes moyens en raison des mauvaises compensations de l'APA par l'État, n'accordent plus aussi facilement qu'avant des subventions aux associations connaissant des problèmes de trésorerie. Celles-ci sont donc contraintes de puiser sur leurs fonds de roulement dont elles ont pourtant un besoin croissant en raison des retards de paiement de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et des départements. Ainsi, elles se retrouvent de plus en plus dépendantes des banques.
Des aides ponctuelles sont donc nécessaires. Elles seront accordées par les commissions précitées qui devraient bientôt voir le jour ; ces aides ne sauraient toutefois intervenir que dans l'attente d'une réforme des modalités de tarification qui devrait conduire les services d'aide à se réorganiser, se restructurer et parfois se regrouper.
Certes il y a des cas de mauvaise gestion : embauche d'un nombre excessif de cadres administratifs, niveau excessif des frais de structures, supérieurs aux 15 % préconisés. Mais ce ne sont pas les seules causes des problèmes rencontrés par ces services : ceux-ci devront se réorganiser s'ils veulent survivre jusqu'à la mise en place des réformes envisagées et assurer des prestations de qualité.
L'ADF lance dans le Doubs une expérimentation consistant en des tarifications définies sur le modèle de celles des EHPAD, à savoir sur la base de conventions tripartites et d'un paiement mensuel. Les auditions que j'ai menées avec les intervenants concernés, m'ont cependant amenée à constater l'existence de positions divergentes sur les modalités de délivrance des dotations.
L'IGAS a proposé un autre système consistant à porter l'effort sur les personnes les plus fragiles, relevant des GIR 1 et 2 (groupes iso-ressources établissant des degrés de dépendance allant du GIR 1 - personnes confinées au lit ou au fauteuil, dont les fonctions mentales sont gravement altérées et qui nécessitent une présence continue d'intervenants – au GIR 6 - personnes âgées n'ayant pas perdu leur autonomie pour les actes essentiels de la vie courante) et à maintenir un régime d'autorisation pour avoir la garantie que les interventions auprès de ces personnes sont réalisées par des professionnels bien formés.
Cette seconde partie de mon rapport m'amènera à effectuer, en novembre et décembre, des déplacements dans plusieurs départements qui expérimentent de nouveaux systèmes de tarification. Si la Délégation le souhaite, je pourrai lui présenter les constats que j'y aurai effectués.
On m'a par ailleurs souvent cité l'exemple du Maine-et-Loire qui applique les dispositifs existants et, où, semble-t-il, les choses se passent bien : c'est avec intérêt que j'irai visiter les services de ce département.
Je souligne que les succès ou les échecs en ce domaine paraissent partagés entre des exécutifs de gauche et de droite.
La plus ou moins grande richesse des territoires concernés ne semble pas non plus être un facteur explicatif. Ainsi, dans les Yvelines, les personnes payent un reste à charge ; le système adopté est celui de la certification et le niveau des remboursements est fixé au niveau de la CNAV ; un turn over important d'organismes privés est à constater. Moins de moyens sont ainsi consacrés à ce secteur que, par exemple, dans le département des Ardennes où le niveau de richesse économique est pourtant inférieur.
La mise en place de parcours professionnels renvoie au problème de la condition de travail des femmes. Pourtant, la nature même du travail d'aide à domicile n'exclut en rien l'intervention d'hommes, même si j'ai pu voir, dans ma carrière de sage-femme combien l'arrivée de professionnels masculins dans une profession féminine est, pour des raisons culturelles, difficilement acceptée ; les hommes ont pourtant toutes les qualités pour effectuer des tâches de soins.
Les tâches proposées correspondent le plus souvent, à un temps partiel, organisé en pointillés dans la journée et donc a priori dévolu aux femmes souhaitant apporter à leur foyer un salaire d'appoint. Avec raison, les services d'aide s'efforcent de faire varier le contenu des tâches confiées aux professionnelles en ne leur attribuant pas seulement des personnes fragiles mais aussi des travaux de ménage ou des soins d'enfants ; un temps complet peut ainsi être atteint.
Je ferai enfin remarquer que les aidants bénévoles sont eux aussi des femmes : les épouses, les soeurs, les filles, les belles filles etc.