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Intervention de Didier Mathus

Réunion du 26 octobre 2011 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Mathus, rapporteur pour avis :

Je vous présente mon cinquième avis budgétaire sur l'Audiovisuel extérieur. Je ne peux pas dire que la situation se soit vraiment améliorée. Au regard des observations que j'ai pu faire au cours des dernières années, les avancées ne sont guère réconfortantes.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle a été créée au sein de notre assemblée une mission d'information commune à la commission des affaires culturelles et à la nôtre qui n'a pas achevé ses travaux. Ceux-ci, après avoir été suspendus en juillet en raison de discussions au sein de la majorité, ont repris et le rapport devrait être présenté fin novembre. Parallèlement, le Premier ministre a confié à l'Inspection des finances un audit puisque plusieurs questions financières et budgétaires sont posées et n'ont pas obtenu de réponses à ce jour. L'Etat manque manifestement de visibilité sur les finances de l'Audiovisuel extérieur de la France.

Je rappelle l'histoire de la holding Audiovisuel extérieur de la France (AEF) créée en 2008. AEF comprend deux filiales, la chaîne d'information internationale France 24 et la radio internationale RFI, ainsi qu'une chaîne multilatérale francophone dont il est actionnaire à 49 %, TV5 Monde. Sont aussi parties prenantes de TV5 des partenaires francophones (Suisse, Canada, Belgique). AEF est dirigé par M. de Pouzilhac qui est aussi le PDG de France 24 et de RFI ainsi que le président du conseil d'administration de TV5.

L'AEF reçoit une dotation globale –327,7 millions d'euros en 2011 et 315,2 en 2012– qu'elle répartit entre ses différentes entités ce qui ne va pas sans poser problème. Cela explique le procès fait au PDG de la holding, qui est aussi PDG de France 24 et de RFI mais pas de TV5, sur la transparence et la loyauté de cette distribution financière. Le budget de l'AEF pour 2011 représente environ 382 millions d'euros. A titre de comparaison, même si celle-ci est difficile en raison de périmètres différents, Deustche Welle dispose de 305 millions d'euros et BBC de 480 millions d'euros. Je rappelle que pour 2012 les crédits proviennent à hauteur de 170 millions d'euros de la redevance.

France 24, au grand dam du Président Poniatowski, émet depuis octobre 2010, 24h24 en trois langues : français, anglais et arabe. Le succès de France 24 est un sujet d'interrogation. Vous savez que le PDG, M. de Pouzilhac, est d'abord un publicitaire, il a donc les qualités de son histoire et sait vendre France 24. En regardant les choses de près, on peut émettre des doutes sur la réussite réelle de la chaîne mais celle-ci a aujourd'hui le mérite d'exister et doit donc être confortée désormais.

RFI a fait l'objet d'une profonde restructuration avec un plan de sauvegarde de l'emploi qui a donné lieu au plus long conflit social de l'histoire de l'audiovisuel public. Emaillé de nombreuses procédures judiciaires, ce conflit s'est soldé par le départ de 206 personnes pour un coût élevé de 41,2 millions d'euros. La politique des langues de la radio a également été revue avec la suppression de six langues de diffusion et le lancement de deux nouvelles à destination de l'Afrique (haoussa et swahili) tandis qu'une réorganisation des rédactions en une rédaction unique multilingue et multi-supports, articulée autour de deux responsables éditoriaux, a été opérée.

Dans le même temps, la filiale de RFI en langue arabe, Monte Carlo Doualiya, a été presque ressuscitée. Après avoir envisagé de supprimer cette radio, l'AEF a pris conscience de son potentiel dans le monde arabe et l'a adossée au pôle arabophone de France 24. MCD connaît donc un vrai renouveau.

RFI est une radio qui marche bien, notamment en Afrique francophone avec une expertise journalistique reconnue de tous. Il est nécessaire de préserver cette richesse. Je rappelle que RFI est une radio généraliste et non d'information en continu. Il faut avoir présente à l'esprit cette différence importante lorsqu'on parle de fusion.

Concernant TV5 Monde, vous vous souvenez sans doute de la grave crise qu'a connue la chaîne en 2008 à la suite du rapport Benamou. La tentative d'intégrer TV5 à l'AEF et d'imposer Mme Ockrent comme PDG s'était soldée par un échec retentissant et un refus tonitruant des partenaires francophones. Un modus vivendi a finalement pu être trouvé et la nomination de Mme Saragosse à la direction de la chaîne s'est faite avec l'accord des partenaires. Depuis cet épisode, TV5 vit sa vie tout en étant sous la tutelle de l'AEF puisque la holding lui reverse une part de la dotation de l'Etat. Cela ne va pas sans poser problème et créer des malentendus.

Actuellement, nous attendons toujours le contrat d'objectifs et de moyens d'AEF, pourtant annoncé depuis trois ans. Sa conclusion bute sur la trajectoire financière de la holding. L'Etat s'interroge sur la réalité des ressources propres et constate l'inadéquation entre les prévisions et l'exécution budgétaire. L'Etat estime ne pas être en situation de signer un contrat puisque la trajectoire financière reste opaque et incertaine. C'est la raison d'être de la mission confiée à l'Inspection des finances.

Par ailleurs, la vie de l'AEF a été assez mouvementée. Vous avez suivi la guerre des chefs et ses épisodes retentissants faits d'espionnage, etc. Cette guerre a trouvé une issue avec le départ de Mme Christine Ockrent sur les conditions duquel il y aurait beaucoup à dire – je rappelle que celle-ci réclame 650 000 euros d'indemnités, somme qui, d'après les dirigeants de l'AEF, a été provisionnée ce que ne confirme pas la direction compétente du ministère de la culture. Ce départ n'a cependant pas apaisé la situation à l'AEF puisque la nomination comme directeur général de M. Hanotaux, ancien directeur de cabinet du ministre de la culture au demeurant très estimable mais qui n'est pas un homme de médias, a provoqué un malaise au sein des rédactions de RFI et de France 24. L'absence d'une personne capable de donner un cap éditorial et de dire enfin ce qu'est ce fameux « regard français sur le monde », à l'origine de la création de la chaîne constitue un vrai handicap pour l'AEF. A coté de M. de Pouzilhac, ancien publicitaire et de M. Hanotaux, au profil administratif, il manque quelqu'un pour travailler sur les contenus et sur les lignes éditoriales.

Je voudrais insister sur la question du pilotage de l'AEF qui reste confus. Il relève théoriquement du cabinet du Premier ministre qui comme chacun sait, faute de temps, délègue au ministère de la culture. Le Quai d'Orsay s'était retiré de la tutelle pour des raisons conjoncturelles, avait-on compris, puisque la compagne du ministre des affaires étrangères dirigeait l'ensemble. En réponse à ma question, je me félicite que le ministère des affaires étrangères ait réaffirmé lors de sa dernière audition son intention de voir son ministère reprendre sa place dans la tutelle de l'AEF. Il n'y a pas de raison objective à cette situation puisque deux outils du rayonnement culturel français dépendent du ministère des affaires étrangères (l'Institut français et l'AEFE). J'avais déjà souligné ce problème lors de la discussion du projet de loi sur l'action extérieure de l'Etat. Il me semble que nous souhaitons tous une présence plus forte du Quai d'Orsay dans l'accompagnement de l'AEF notamment parce que, en matière de politique des langues, il apporte un éclairage indispensable.

Plusieurs questions se posent encore : celle du décollage de France 24 en premier lieu. La direction de l'AEF s'enorgueillit de son succès, au Maghreb notamment, mais si vous êtes allés en Tunisie vous aurez constaté comme moi que pas un seul café – et ils sont nombreux – ne diffuse France 24. Il semble en outre que pendant la révolution du Jasmin on ait plus regardé France 2. Il est très difficile de connaître la réalité de l'audience de France 24 puisqu'il n'existe pas dans le Maghreb ou en Afrique de système de mesure passive de l'audience comparable à Médiamétrie. Après avoir entendu les responsables des instituts de mesure d'audience, il apparaît que l'audience n'est pas mesurable car trop faible. Seule la notoriété peut vraiment être mesurée. Cela n'a rien de désobligeant pour France 24 car toutes les chaînes d'information internationales en continu sont logées à cette enseigne, même CNN. On peut donc s'interroger sur le succès de France 24 claironné par M. de Pouzilhac sans mettre en cause le travail des journalistes. Ils sont parvenus à proposer une bonne télévision avec des moyens limités mais pas négligeables. Avec un budget de 115 millions d'euros, la chaîne est certes moins favorisée que d'autres chaînes internationales mais elle dispose de moyens bien supérieurs à ceux des chaînes d'information en continu françaises.

Le climat social demeure dégradé non plus seulement à RFI mais aussi à France 24. Vous aurez noté la démission la semaine dernière du directeur de la rédaction, M. Jean Lesieur portant ainsi à cinq le nombre des directeurs ayant quitté leurs fonctions depuis trois ans. Il y a un problème de gestion à l'AEF.

La trajectoire financière suscite de nombreuses interrogations. J'ai reçu la semaine dernière les inspecteurs des finances ayant travaillé sur l'AEF qui doivent rendre leur rapport dans les prochains jours. Ils dressent un constat sévère de la situation. Selon eux, la réforme de l'AEF a coûté 100 millions d'euros supplémentaires par rapport aux prévisions initiales. En outre, 10 millions d'euros ont été dépensés pour financer le départ de nombreux cadres en dehors du plan de sauvegarde de l'emploi de RFI. L'Inspection générale des finances a en outre mis en lumière ce qu'elle appelle pudiquement des zones d'incertitude budgétaires pour la période 2011-2013 évaluées à 55 millions d'euros : celles-ci découlent d'une part d'un excès d'optimisme sur le niveau futur des ressources propres et d'autre part des charges induites par les risques sérieux de décalage de la fusion dans toutes ses composantes. Quand on sait que la régie publicitaire de France 24 a été confiée à la régie de France Télévisions qui connaît elle-même des difficultés, on peine à croire que les recettes publicitaires seront au rendez-vous.

Sur le projet cher à M. de Pouzilhac de fusion de RFI et France 24, l'Inspection des finances semble dubitative quant aux économies qu'on peut en attendre. Pour ma part, je suis réservé car radio généraliste et télévision en continu ne sont pas les mêmes métiers. Il n'y a d'ailleurs pas d'exemple à l'exception du Canada de rédaction commune, y compris à la BBC où les rédactions sont séparées mais sous l'autorité d'un directeur de l'information commun. On peut évidemment approuver la fusion des fonctions support mais celle des rédactions n'est pas nécessairement une bonne idée. On en attend plus que cela ne pourra produire.

Le calendrier de la fusion a pris beaucoup de retard compte tenu du climat social. Initialement prévue pour être achevée au printemps 2011, elle ne devrait pas être réalisée selon les prévisions les plus optimistes avant le printemps 2012. Le déménagement doit encore être organisé.

Nous pouvons nous interroger sur les déconvenues rencontrées par l'AEF au cours de ces dernières années. A partir d'une idée de bon sens consistant à regrouper dans un même ensemble tous les acteurs de l'audiovisuel extérieur, le choix de l'architecture issue du rapport Benamou n'était pas la bonne solution. La mission d'information commune fera des propositions afin d'y remédier. On constate que l'AEF est un attelage bancal : TV5 est isolée, vit sa vie petitement confrontée à des difficultés budgétaires ; les synergies avec l'AEF sont faibles alors qu'elles sont fortes avec France Télévisions qui fournit à TV5 plus de 30 % de ses programmes. Pourtant, France Télévisions est quasiment absent de l'architecture de l'AEF. En outre, RFI et France 24 sont présidées par le PDG de l'AEF. Il y a donc des choses à revoir dans la construction de l'AEF. Je pense qu'il est nécessaire de réintroduire France Télévisions dans le dispositif. Dans le cas contraire, nous risquons de voir réapparaître des doublons puisque France Télévisions développe un département international avec 200 personnes. Par ailleurs, France Ô se transforme en chaîne francophone puisqu'elle cherche depuis son arrivée sur la TNT à élargir son public au-delà des territoires d'outre-mer.

Il y a de nombreuses choses à réfléchir en tenant compte du pôle public national. Ce sera l'objet des préconisations de la mission d'information.

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