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Intervention de Didier Tabuteau

Réunion du 20 octobre 2011 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Didier Tabuteau, conseiller d'état, responsable de la chaire Santé de Sciences Po et du Centre d'analyse des politiques publiques de santé de l'école des hautes études en santé publique :

Je vais vous présenter les réflexions élaborées à partir des travaux que nous menons sur les politiques publiques de santé, plutôt qu'un exposé sur la prévention proprement dite, pour laquelle d'autres personnes sont plus qualifiées que moi.

D'abord, il est important de garder à l'esprit que la santé publique est un tout : la prévention ne doit pas être opposée aux soins dans l'élaboration des politiques publiques.

Il faut distinguer trois domaines essentiels. En premier lieu, la prévention non médicalisée, qui se fait hors du système de santé au sens strict du terme – retenu dans les comptes nationaux de la santé. Elle recouvre deux principaux types d'actions : celles portant sur les comportements, par le biais de l'éducation ou de la promotion de la santé ; celles tendant à réduire d'une manière générale les facteurs de risques liés au travail, aux transports ou au logement, qui sont des déterminants fondamentaux de la santé.

En deuxième lieu, la prévention médicalisée, qui passe par les acteurs du système de santé, qu'il s'agisse des professionnels ou des établissements de santé. Elle comporte également deux types d'actions : les unes sont non techniques – l'éducation et la promotion de la santé, l'intervention des professionnels auprès des patients – ; les autres, techniques, tels le dépistage ou les analyses biologiques notamment, qui tendent à se développer.

Troisièmement, les soins, qui ont aussi, en sus de leur fonction curative, une vocation préventive. C'est notamment le cas dans le traitement des maladies chroniques.

Ces trois piliers ne peuvent être dissociés si l'on veut réfléchir à la façon dont la santé publique doit se développer.

Deuxième constat liminaire : notre pays souffre d'un manque de culture de santé publique. Cela tient à des facteurs historiques : au XIXesiècle, la France a joué un rôle majeur en matière de théorie de la santé publique, mais a peu mis en pratique celle-ci par comparaison avec la Prusse ou la Grande-Bretagne. Elle a ainsi été un des derniers pays développés à prévoir une vaccination obligatoire, en 1902. De même, elle a mis beaucoup de temps à adopter le raccordement à l'égout ou à mettre en place une organisation publique de la santé.

Au XXesiècle, l'assurance maladie a été ciblée sur la prise en charge des soins et il a fallu attendre 1988 pour qu'un fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires soit constitué en son sein. Cela ne veut pas dire qu'elle ne remboursait pas les actions de prévention, mais elle le faisait implicitement, dans le cadre notamment des consultations médicales.

De plus, les législations sur la prévention étaient très spécialisées : au-delà des grandes lois Veil et Évin de 1976 et de 1991 sur la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, il s'agissait de mesures spécifiques sur les fléaux sociaux, qui ne se sont jamais diffusées dans l'ensemble du système de santé.

Une nouvelle étape a été franchie dans les années 1990 avec le développement de la prévention liée aux questions de sécurité sanitaire, touchant aux produits de santé, à l'environnement, au travail ou au nucléaire.

Juridiquement, la prévention n'apparaît en tant que politique générale dans le code de la santé publique qu'avec la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui en définit le contenu, en fait une composante de la politique de santé et prévoit un certain nombre d'outils à cet effet. Cette définition sera abrogée en 2004 : la politique de prévention est alors présentée simplement comme une composante de la politique de santé publique.

Ce manque de culture se traduit par des résultats contrastés, lesquels sont bons ou très bons dans la prise en charge des soins mais relativement mauvais, par rapport à d'autres pays, dans les principaux domaines où la prévention a vocation à agir. Le taux de mortalité prématurée est un des plus élevés, 1,5 million d'enfants sont en surpoids et on compte un tiers de fumeurs dans la population.

Troisième constat liminaire : l'économie de la prévention est assez paradoxale. Les actions de prévention identifiées dans les législations ont toujours été par le passé financées par des crédits limitatifs alors que les soins l'étaient dans le cadre du risque maladie, dans un contexte pourtant de contrainte budgétaire moindre. Puis la loi du 4 mars 2002 précitée a prévu des programmes prioritaires de prévention qui devaient, comme les soins, être financés dans le cadre de ce risque. Ses effets mériteraient d'ailleurs d'être évalués.

Pour le reste, on s'en tient toujours à l'étude de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé de 2002, qui avait apprécié le coût de la prévention implicite à 6 % ou 7 % des dépenses de santé, et non à 4 %, comme le faisaient les comptes nationaux de la santé. Cette proportion reste néanmoins très faible.

Le débat sur l'économie de la prévention est complexe : si l'on retient une approche médico-économique, les bilans sont très disparates. Certaines stratégies de prévention réduisent les dépenses en diminuant les risques, tandis que d'autres ne se révèlent pas efficaces sur le plan économique, tout en étant aussi légitimes. La prévention doit être considérée comme un investissement et non comme un élément de régulation du système de santé, même si dans certains cas, elle peut contribuer à la maîtrise des dépenses.

Dès lors, la prévention doit nécessairement être plurielle et coordonnée, sachant que les acteurs sont très nombreux dans ce domaine, en raison de compétences partagées entre l'État et les collectivités locales – au XIXe siècle, l'autorité de santé était déjà la commune – et d'un partage très complexe entre les différentes autorités ministérielles selon qu'il s'agit de la médecine du travail, de la médecine scolaire, de la protection maternelle et infantile, de la sécurité routière, des conditions de logement ou de la sécurité des consommateurs.

La coordination de ces acteurs est donc difficile : les agences régionales de santé constituent, au niveau régional, un bon moyen à cet effet, conformément à ce qu'a prévu la loi. Une instance nationale comme le comité technique national de prévention, créé par la loi mais finalement abandonné, serait aussi un outil intéressant.

Une action multiforme de l'action de prévention est également nécessaire, car son efficacité passe aussi par des acteurs extérieurs au système de santé – associations locales ou clubs sportifs pouvant avoir, notamment auprès de jeunes, un discours autonome de celui prévalant au sein du système.

Il est par ailleurs essentiel que la politique de prévention ne soit pas dissociée de la politique de soins. Plusieurs propositions peuvent être faites à cet égard.

D'abord, les médecins généralistes pourraient avoir un mandat de santé publique intégrant, à travers notamment un mode de rémunération particulier, des actions de prévention, de participation à des programmes de dépistage ou de veille épidémiologique. Il est important que ce qui est pratiqué de façon implicite devienne explicite et que ce mandat permette de reconnaître ce travail normal des médecins.

Deuxièmement, les fonctions de prévention, d'éducation à la santé et d'éducation thérapeutique doivent être prises en compte également dans l'activité hospitalière. Or les modes de tarification et les évolutions de la tarification à l'activité rendent problématiques le financement de cette approche, notamment s'agissant de l'éducation thérapeutique. Le développement de consultations spécialisées dans ce domaine serait utile.

Troisièmement, il faut s'interroger sur un éventuel rapprochement, avec toutes les difficultés que cela comporte, entre des secteurs aujourd'hui très séparés mais qui doivent être coordonnés. Je pense notamment aux médecins traitants par rapport à la médecine du travail, à la médecine scolaire ou à la médecine universitaire. Ils doivent, dans le respect des règles déontologiques, être destinataires des informations de ces services, qui sont aussi importantes pour l'évolution de la santé de leurs patients.

Quatrièmement, la prévention doit donner naissance à ce qu'on pourrait appeler une organisation collective. Au-delà de la coordination des politiques nationales, doit prévaloir une coordination entre les structures publiques, qu'il s'agisse des structures départementales pour la protection maternelle et infantile ou des services de l'État pour les grands programmes prévus par le code de la santé publique.

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