En cette période préélectorale, on ne pouvait pas attendre du Gouvernement des mesures courageuses pour rétablir l'équilibre de notre sécurité sociale. Le déficit pour 2012 – 19,4 milliards d'euros en comptant le déficit du Fonds de solidarité vieillesse – est donc à la hauteur de votre inaction pour le combler. Et encore, ce budget est-il basé sur des prévisions de croissance totalement irréalistes, auxquelles même M. Baroin ne croit plus. La question se pose alors de l'utilité de poursuivre la discussion d'un texte obsolète avant même d'avoir été examiné.
Pourtant, le trop fameux « trou de la sécurité sociale » est très largement un mythe, tant les moyens existent pour que notre sécurité sociale soit à l'équilibre. Mais décider de mobiliser ces moyens nécessite un courage que, visiblement, vous n'avez pas. Rien que la remise en cause des niches sociales jugées peu efficientes, voire inefficaces, par l'inspection des finances rapporterait 12,8 milliards à l'État. Par ailleurs, depuis des années, nous faisons des propositions de nouvelles recettes : par exemple, aligner les prélèvements sur les revenus du capital à la hauteur de ceux sur le travail, taxer les revenus financiers des entreprises ou moduler leurs cotisations sociales en fonction de leur politique de l'emploi. Aucune de ces solutions n'a été retenue, ni même esquissée, dans ce PLFSS. C'est la preuve que ce gouvernement se satisfait de ce déficit qui lui est finalement très utile pour faire passer comme inévitables des mesures profondément injustes. Il en a été ainsi de la réforme des retraites de 2010, à propos de laquelle nous sommes loin de partager l'euphorie du Gouvernement, qui table toujours sur un retour à l'équilibre à l'horizon 2018 : un objectif que vous ne risquez pas d'atteindre au regard des chiffres du chômage, sans parler du taux d'emploi des seniors qui, avec moins de 41 %, reste très en dessous de la moyenne européenne.
Concernant la branche accidents du travail maladies professionnelles, ce PLFSS s'en tient au strict minimum. Il se garde notamment d'aborder la question du réexamen de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail largement pénalisées par l'instauration des franchises en 2008 et par la fiscalisation des indemnités journalières en 2010. Le régime de réparation des AT-MP reste donc profondément inéquitable.
Concernant la branche famille, si je salue l'augmentation du plafond de ressources du complément de libre choix du mode de garde et la majoration de son montant en faveur des parents isolés, je regrette que le complément de libre choix d'activité, qui n'a de libre que le nom et qui est bien souvent imposé par l'absence d'offre de garde, soit assujetti à la CSG. Ainsi, tout se passe comme si vous repreniez d'une main ce que vous avez concédé de l'autre.
Le déficit sert également à faire passer l'augmentation du coût de la santé pour les patients, entravant d'autant l'accès aux soins. La situation est pourtant déjà grave.
En 2010, 29 % de nos concitoyens déclaraient avoir renoncé à se soigner pour des raisons financières. D'autres contractent des microcrédits. Des maladies d'un autre âge resurgissent, que l'on croyait disparues, comme la tuberculose ou la gale.
Ce sont là des conséquences des nombreuses participations forfaitaires, franchises médicales, forfaits hospitaliers, forfaits de 18 euros et autres déremboursements de médicaments, qui visent, selon vous, à responsabiliser les patients, comme s'ils étaient responsables de leur maladie et du coût des traitements qui leur sont prescrits.
C'est également l'effet des dépassements d'honoraires, contre lesquels l'inaction du Gouvernement est patente et qui ont encore augmenté de 6 % par rapport à 2009. Sur dix ans, leur augmentation est de 50 %.
Si cette situation traduit l'abus d'un certain nombre de médecins, elle traduit surtout la déconnexion entre les tarifs opposables remboursés par l'assurance-maladie, qui sont insuffisamment revalorisés, et les tarifs pratiqués par les médecins. Le secteur optionnel que vous appelez de vos voeux n'est pas une solution : il va juste siphonner ce qui reste du secteur 1 et inciter les médecins à considérer le plafond de dépassement comme le nouveau tarif de référence.
L'augmentation conjointe des franchises et des dépassements d'honoraires conduit mécaniquement à une augmentation du reste à charge pour les patients. Je sais que M. Bertrand récuse cette affirmation, allant même jusqu'à indiquer que ce reste à charge baisse, passant de 9,7 % en 2008 à 9,4 % aujourd'hui.
Ce chiffre ne rend pas compte de la réalité, car c'est une moyenne qui inclut les patients en ALD, lesquels concentrent 60 % des dépenses de remboursement : la vérité, c'est que, hors ALD, le reste à charge avoisine les 45 %, et ce chiffre n'intègre pas les complémentaires santé, rendues obligatoires par le désengagement de la sécurité sociale, dont le coût est en augmentation constante.
Cette augmentation, conséquence directe des déremboursements et dépassements d'honoraires que les complémentaires santé doivent prendre en charge, est encore accentuée par la hausse continue des taxes auxquelles elles sont soumises. Ainsi, entre 2005 et 2012, la fiscalité sur les contrats d'assurance santé aura été multipliée par plus de sept. Et il est illusoire de penser, mais vous le savez, bien sûr, que les complémentaires santé ne répercuteront pas la nouvelle hausse de leur taxe. La Mutualité française parle d'ailleurs de 4,7 % d'augmentation.
En même temps que l'accès aux soins est de plus en plus restreint, les hôpitaux publics, gage d'une médecine de qualité accessible à tous, se débattent dans les pires difficultés. À travers la convergence tarifaire, dont ce projet de loi de financement poursuit le processus, le Gouvernement cherche à leur substituer les cliniques commerciales, qu'il n'a de cesse de favoriser. Jugez-en vous-mêmes.
Comme l'année dernière, et comme l'année précédente, l'ONDAM hospitalier, fixé à 2,8 %, sera inférieur à l'évolution naturelle des dépenses des hôpitaux, évaluée à 3,03 %.
Comme l'année dernière, une partie des enveloppes MIGAC, qui financent les missions de service public des hôpitaux, sera gelée, et probablement jamais versée.
Comme l'année dernière, l'augmentation faciale de l'ONDAM sera bien inférieure pour les hôpitaux publics qui, en plus du gel du financement de leurs missions de service public, devront réaliser 442 millions d'économies, contre seulement 15 millions pour les cliniques privées.
Pour faire face à cette baisse programmée de leurs moyens, les hôpitaux ne peuvent même pas compter sur une augmentation de leur activité, que le Gouvernement s'empressera de compenser par une baisse des tarifs, comme celle pratiquée en février dernier de 0,7 % pour les hôpitaux publics, contre 0,05 % pour les cliniques privées.
Si cela ne suffit pas à briser le dynamisme des hôpitaux, il est prévu de leur imposer un quota d'activité, comme le dévoilait au début de l'année un projet de directive de la direction générale de l'offre de soins.
Même la Cour des comptes, dans son dernier rapport sur les comptes de la sécurité sociale, s'est étonnée de ce déséquilibre en faveur des cliniques privées. À propos des coopérations public-privé, instaurées par la loi HPST, elle écrit ainsi que, « dans nombre de coopérations qui lient un hôpital public à un acteur de santé privé, la part du risque économique ou financier assumée par le centre hospitalier est la plus importante » et que « les retombées économiques sont inéquitablement partagées ».
Voilà la réalité de votre politique. Quant à la méthode pour l'appliquer, elle est toujours la même. On vote un ONDAM hospitalier que tout le monde sait insuffisant. On provoque ainsi sciemment un déséquilibre des budgets hospitaliers, qui sera ensuite utilisé par l'ARS pour justifier, dans un premier temps, les diminutions d'effectifs, avant de passer à l'étape suivante, la suppression des services, en expliquant qu'il s'agit d'une fusion.
C'est exactement ce qui se passe actuellement pour les hôpitaux Max-Fourestier de Nanterre et Louis-Mourier de Colombes. Peu importe que, dans la boucle Nord des Hauts-de-Seine, les besoins de santé soient criants, de l'aveu même de l'ARS. Peu importe que les urgences de Colombes soient saturées. Selon l'ARS, celles de Nanterre doivent être fermées. Peu importe qu'un bloc opératoire tout neuf ayant coûté 14 millions d'euros ait été inauguré il y a à peine deux ans à Nanterre, il faut, selon l'ARS, arrêter l'activité de chirurgie conventionnelle, ce qui accentuera encore, bien sûr, les difficultés financières de l'hôpital, en attendant sans doute l'annonce de sa fermeture.
Et, après, on vient nous parler d'efficience ? C'est plutôt de gâchis humain et financier qu'il s'agit. De ce point de vue, la situation de l'hôpital Sud francilien illustre parfaitement votre incurie. Cet hôpital a été construit à Corbeil par Eiffage dans le cadre d'un partenariat public-privé signé en 2006 par M. Bertrand, ce qui appelle quelques questions au regard de l'utilisation des deniers publics, et je regrette que M. Bertrand ne soit pas là pour nous répondre.
Pourquoi avoir décidé, contre l'avis des représentants du personnel et des usagers, de remplacer deux hôpitaux récents construits dans les années 80 ?
Pourquoi avoir choisi, pour ce faire, un partenariat public-privé, une procédure « contraignante et financièrement aléatoire », comme le souligne la chambre régionale des comptes, qui occasionne un surcoût évalué à 500 millions d'euros par rapport à une maîtrise d'ouvrage publique ?
Comment avez-vous pu accepter, particulièrement dans cette période difficile pour les finances publiques, les exigences d'Eiffage et l'augmentation du loyer de 30 millions à 43 millions par an, alors que la chambre régionale des comptes a recensé plus de 8 000 malfaçons, malfaçons tellement graves que l'ouverture de l'hôpital, initialement prévue pour mai dernier, est repoussée au mieux à janvier 2012 ?
Comment l'ARS ose-t-elle demander à la direction de l'hôpital de payer un loyer pour un bâtiment inutilisable en l'état ?
Par ma voix, ce sont les salariés des deux hôpitaux concernés, auxquels on demande des sacrifices pour payer cette incurie, qui posent ces questions au ministre, et j'espère obtenir des réponses.
À travers ces deux exemples, c'est, sur le fond, la question de la place des hôpitaux publics et de leur financement qui est posée.
Actuellement, le personnel hospitalier sert de variable d'ajustement pour pallier le manque de financement. En trois ans, ce sont près de 35 000 postes qui ont été supprimés, essentiellement des postes non médicaux, faisant reposer la pression sur ceux qui restent, qu'ils soient médecins où pas.
Ainsi, d'après l'Académie de médecine, les praticiens hospitaliers consacrent en moyenne 70 % de leurs temps à des tâches administratives. Encore un bel exemple de gestion, qui consiste à supprimer des postes non médicaux pour confier ensuite les tâches administratives à des médecins qui, pendant ce temps, ne font pas de médecine !
La même académie juge par ailleurs la T2A inflationniste et va jusqu'à s'interroger sur l'opportunité d'un retour au prix de journée. Effectivement, la question se pose. Si la T2A peut être pertinente pour des actes techniques relevant d'une procédure standardisée, en revanche, la prise en charge de certaines pathologies graves et complexes, caractérisées par une extrême variabilité d'un patient à l'autre, justifie un retour au prix de journée ou au forfait, sans effet sur le volume des prescriptions et ne poussant ni à leur réduction, ni à leur inflation.
Quant aux missions de service public, il serait cohérent de les financer dans le cadre d'un budget global et non de manière aléatoire, comme c'est le cas actuellement.
En l'absence de toute proposition innovante, qu'il s'agisse du financement de la sécurité sociale, de l'accès aux soins ou du maintien d'une offre hospitalière publique, nous ne saurions soutenir en l'état un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui s'éloigne encore un peu plus des principes d'égalité et de solidarité qui font toute sa valeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)