Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Michel Boucheron

Réunion du 18 octobre 2011 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Boucheron, rapporteur :

Je vais poursuivre l'analyse de mon collègue en évoquant d'autres vecteurs d'influence, notamment les forums internationaux, qui sont des lieux de contacts directs. C'est là que se situe leur intérêt puisqu'ils mettent en présence des responsables politiques, des chefs d'entreprises et des intellectuels. Il en existe plusieurs dizaines, certains abrités par des fondations. Les principaux nous semblent être Davos, Munich et la Trilatérale.

Davos est le lieu du Forum économique mondial, avec désormais une autre réunion en Asie. La France y est peu présente, le plus souvent par des chefs d'entreprises. Personnellement, je ne suis pas sûr que ce soit dommageable, tant les idées prônées à Davos, par exemple les bienfaits de la déréglementation financière, ont été contredites par la réalité.

A Munich, se déroule chaque année en février la Conférence sur la politique de sécurité. Elle réunit les personnalités les plus importantes en matière de diplomatie et de défense, ainsi que celles des industries d'armement. La conférence a un statut mixte, public et privé. Rien ne se décide formellement à Munich, mais les discours des chefs d'Etat et des ministres s'accompagnent de tractations de toutes sortes en coulisse et de prises de contact. La France y est souvent présente par des représentants d'EADS et de DCNS ainsi que par des fonctionnaires du Quai d'Orsay, mais plus rarement par des personnalités politiques, alors que la conférence est ouverte aux parlementaires comme aux membres des partis.

La Trilatérale siège à Washington. Créée en 1973 par David Rockfeller, elle affiche avec franchise une vision libérale du monde et sa vocation à influencer les décideurs politiques. Actuellement, 19 de ses membres exercent de hautes fonctions gouvernementales aux Etats-Unis et en Europe et parmi ses 400 membres, 20% ont exercé dans le passé de telles responsabilités.

Il nous faut aussi évoquer les sources de financement des laboratoires d'idées. Les industries du pétrole, de l'armement, de la communication et de la finance constituent leurs principaux bailleurs, ce qui explique la conduite de certaines politiques, comme celle du Président George W. Bush. De même, l'absence de réglementation financière sur les campagnes électorales explique la puissance de l'American Israël public affairs committee (AIPAC) et la prudence des Présidents des Etats-Unis lors de leurs premiers mandats.

Notre rapport s'est efforcé d'analyser les domaines dans lesquels les vecteurs privés étaient influents. A notre sens, six tendances se dégagent :

Etats et grandes entreprises stratégiques jouent un rôle d'influence mutuelle, que l'on peut décrypter par les passages de hauts fonctionnaires dans certaines entreprises et par les orientations de politique étrangère conforme aux intérêts d'entreprises, comme les diplomaties pétrolières en Afrique et au Moyen-Orient, ou encore le travail des entreprises américaines de défense pour mettre en place une doctrine de défense anti missile étendue aux pays de l'OTAN.

Deuxième tendance : face à un monde des affaires qui se globalise, les syndicats ne restent pas sans réagir. Ils ont parfaitement intégré la nécessité d'une réponse collective, par le droit social notamment. Ils ont accompli un travail considérable à l'échelle européenne, mais peinent à obtenir les mêmes résultats au niveau mondial, en raison de divergences de conceptions sur leur rôle et sur leur action sur les différents continents.

Troisième tendance : la dépendance des Etats occidentaux envers les marchés financiers est une réalité dont 2011 constitue le point d'orgue. Elle a pour conséquence une sensibilité extrême à la notation des agences spécialisées au point que les efforts de réduction des dettes procèdent moins d'une réflexion sur l'action publique que de l'impératif de ne pas être dégradé.

Quatrième tendance : l'élaboration du droit financier, à savoir les normes bancaires et les règles applicables aux entreprises d'assurances et de marchés financiers sont élaborés en commun par les banquiers centraux, par les organes de surveillance de ces secteurs et par les représentants des principales entreprises de ces secteurs. L'ensemble du processus est coordonné par quelques organes que l'on appelle Comité de Bâle. Il y a donc auto régulation de la sphère financière. Parallèlement, une association de banquiers, l'International Institute of Finance, dont le siège est à Washington, joue un rôle discret auprès des gouvernements. L'IIF a ainsi donné son aval aux plans de sauvetage de la Grèce, ce qui est logique puisque les banques sont impliquées dans le rééchelonnement de la dette de ce pays.

Cinquième tendance : la normalisation technique comme la normalisation comptable jouent un rôle considérable dans nos sociétés. La normalisation technique est un gage de conquête des marchés. Quant à la normalisation comptable, elle constitue le tragique exemple de la faillite du pouvoir politique et de l'administration, puisque les Etats européens et l'Union européenne ont été incapables d'harmoniser leurs systèmes. C'est donc un organe privé, l'IASC IASB, qui est devenu en près de 40 ans le régulateur de la comptabilité. Or cette discipline n'est pas neutre et la conception de l'IASB est fortement influencée par les grands cabinets d'audit, qui préfèrent donner des entreprises une valeur de marché plutôt qu'une valeur sociale, sur la base objective de leurs actifs, cette vision prévalant en Europe continentale. Or la valeur de marché est à l'origine de dérives du système financier. L'IASB est si solidement installée qu'elle rejette toute intervention des Etats dans les systèmes comptables.

Sixième tendance : les vecteurs privés sont nombreux et parfois puissants dans les domaines de l'environnement, des droits de l'homme et de l'aide au développement, mais il s'agit de domaines dans lesquels, aux côtés d'entités sincères et militantes se trouvent des « ONG paravents », qui poursuivent d'autres buts, souvent au profit d'entreprises privées. Nous n'expliquons pas autrement l'attitude de Greenpeace, qui après avoir accepté le principe de nous rencontrer, a annulé l'entretien que nous avions prévu, sur le prétexte des positions politiques prises par mon collègue Jacques Myard. Greenpeace a proposé de me voir sans mon collègue, ce que j'ai refusé, considérant que nous avions la même part de souveraineté nationale. Vous trouverez en annexe 1 du rapport la lettre que j'ai adressée à Greenpeace. Je souligne ici qu'une fois de plus, il y a impossibilité de connaître les sources de financement de Greenpeace, alors que comme beaucoup d'ONG, cette organisation se targue de transparence.

Je terminerai par deux points : en premier lieu, l'apparition de détenteurs de très grandes fortunes dans le secteur de l'aide au développement, sans doute bénéfique mais qui n'obéit pas toujours à une logique politique. En second lieu, la gestion d'internet mérite toute notre attention. Historiquement, elle est dévolue à une compagnie privée, l'ICANN. Cette situation comporte plusieurs aspects positifs, mais avantage considérablement les Etats-Unis en cas de conflit cybernétique, en raison du contrôle que le département du commerce et sans doute le département de la défense peuvent exercer sur les ordinateurs centraux qui gèrent les flux de trafic.

En conclusion, je soulignerai que la France a toujours un retard en matière d'intelligence économique et que nos entreprises investissent encore trop peu dans des fondations qui pourraient être incubatrices d'idées nouvelles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion