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Intervention de Roland Blum

Réunion du 19 octobre 2011 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Blum, rapporteur pour avis :

Nous sommes appelés à nous prononcer, comme chaque année, sur le montant du prélèvement opéré sur les recettes du budget de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne. Le montant du prélèvement est évalué à 18,9 milliards d'euros en progression de 3,5 % par rapport à la prévision d'exécution du prélèvement pour le budget 2011. Cette évaluation repose sur trois estimations :

– celle des recettes communautaires, y compris le rabais britannique ;

– ensuite, le montant du prélèvement intègre une prévision de solde qui sera constaté en fin d'année 2011, et qui viendra en principe diminuer les contributions théoriques ;

– enfin, le prélèvement est calculé sur une hypothèse de dépenses globales. Le budget de l'Union pour 2012 est en effet encore en cours de discussion. La contribution française inscrite dans le projet de loi de finances pour 2012 s'aligne sur la position du Conseil, qui représente une hausse de 2,02 % des dépenses par rapport à 2011, bien inférieure à la proposition ambitieuse de la Commission.

L'avant-projet de budget de la Commission européenne présenté le 20 avril dernier prévoyait 147,4 milliards d'euros d'engagements et 132,7 milliards d'euros de paiements. Cela représente une augmentation de 3,7 % des engagements et 4,9 % des paiements par rapports à 2011. Le 1er juillet, le Conseil s'est prononcé pour 146,2 milliards d'euros d'engagements et 129,1 milliards d'euros de paiements, soit une progression limitée à 2,02 %, 3,65 milliards de moins que la proposition de la Commission. L'aide aux régions les plus pauvres et la recherche seraient les premières politiques touchées par ces réductions. Le budget de fonctionnement des institutions européennes serait également contenu. Six États membres (Royaume-Uni, Suède, Pays-Bas, Finlande, Danemark et Autriche) ont voté contre cette proposition, estimant qu'elle n'allait pas assez loin.

Le Parlement européen, comme il le fait habituellement, a proposé, via sa commission des budgets, de porter les paiements en 2011 à 133,1 milliards d'euros, un niveau quasi identique à l'avant-projet de la Commission, déplorant les coupes opérées par le Conseil et exprimant sa préoccupation quant au fait qu'elles touchent en particulier à des thèmes liés à la stratégie de croissance Europe 2020. La position finale du Parlement sera votée le 26 octobre. Ensuite, la procédure de conciliation entre le Parlement et le Conseil devrait aboutir à un compromis en novembre.

Les positions apparaissent difficiles à concilier. La Commission européenne et le Parlement estiment que l'Union européenne doit remplir ses engagements de paiement, se donner les moyens de mettre en oeuvre la stratégie Europe 2020 et, plus généralement, a un rôle à jouer pour soutenir la demande et stimuler la croissance en période crise. Le Conseil considère pour sa part qu'il n'est pas raisonnable, en période d'austérité budgétaire, d'envisager une forte progression des dépenses européennes.

L'équilibre est délicat alors que débutent les négociations pour le prochain cadre financier pluriannuel pour l'après-2013. La Commission européenne a fait connaître sa proposition le 29 juin 2011. Le montant global proposé pour la période 2014-2020 s'établit à 1 025 milliards d'euros en crédits d'engagement – soit 1,05 % du RNB de l'UE – et à 972,2 milliards d'euros – soit 1 % du RNB de l'UE – en crédits de paiement. L'intention de la Commission est de libérer des moyens pour le financement de nouvelles priorités, telles que les infrastructures transfrontalières en matière d'énergie et de transports, la recherche, l'éducation et la culture, la sécurisation des frontières extérieures et le renforcement des pays du voisinage Sud et Est.

Mais la stabilisation affichée des crédits d'engagement fait abstraction de deux biais : l'essentiel de la proposition de la Commission est réalisée en euros constants (prix 2011) et on constate l'explosion des enveloppes budgétaires complémentaires. L'enveloppe totale du nouveau cadre 2014-2020 serait ainsi supérieure de plus de 20 % au précédent cadre pluriannuel 2007-2013 et de plus de 30 % à la prévision d'exécution de ce même cadre. C'est évidemment inacceptable pour les Etats membres. On rappellera que dans une lettre en date du 18 décembre 2010, adressée au président de la Commission, les chefs d'Etat et de gouvernement français, britannique, allemand, néerlandais et finlandais avaient fait savoir que dans le prochain cadre pluriannuel, les engagements de dépenses « ne doivent pas excéder le niveau de 2013, avec une augmentation dans tous les cas inférieure à l'inflation ».

Cependant, la proposition de la Commission est globalement satisfaisante pour la France sur deux points durs : la correction britannique – puisque la Commission propose la suppression de tous les rabais et l'instauration d'une taxe sur les transactions financières – et la PAC, qui serait stabilisée en termes nominaux.

On le voit bien, on ne peut demander tout et son contraire au budget européen, exiger une réduction de sa contribution nationale et « maximiser les retours ». La France commence à se retrouver prise dans cet étau. Son « solde net », c'est-à-dire la différence entre sa contribution et les retours, est en dégradation tendancielle sous l'effet de l'élargissement de 2004 et de la modération des dépenses agricoles. Le total des ressources propres que la France devrait mettre à disposition du budget européen en 2012 est estimé à 20,6 milliards d'euros, soit 16,4 % du total du budget communautaire. Le montant de la contribution française a ainsi été multiplié en valeur par cinq entre 1982 et 2012. La France est le deuxième contributeur net, avec un solde net de l'ordre de – 5 milliards d'euros aujourd'hui. Or, à compter de 2012, le solde agricole de la France devrait devenir négatif.

Votre Rapporteur souhaite cependant que la France, tout en défendant ses intérêts, ne défende pas une logique comptable, mais assume le rôle moteur qu'elle a avec l'Allemagne, y compris en termes de contributions, pour peser sur les orientations et l'efficacité de la dépense.

Voilà qui m'amène au second volet de mon rapport. Nul ne s'étonnera que j'ai choisi cette année de traiter de la crise grecque et de ses effets sur l'Union économique et monétaire, tant les implications budgétaires mais aussi politiques sont considérables. La confiance qui semblait se rétablir est mise à mal par la dégradation des notes financières de l'Espagne et plusieurs grandes banques, la mise sous surveillance de la note française et les soubresauts variés comme on en observe depuis plusieurs mois.

Il y a près de deux ans, les Etats de l'Union européenne ont du faire face à l'augmentation brutale de leur dette publique, sous l'effet combiné de la récession, des plans de relance et, le cas échéant, du sauvetage des banques. Les taux de marché sur les emprunts publics ont alors commencé à diverger, rendant problématique la situation du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie, de la Grèce et de l'Espagne. Ce qui est devenu « la crise grecque » est un cas particulier dans cet ensemble. Elle débute le 16 octobre 2009 avec la réévaluation du déficit budgétaire pour 2009 par le nouveau Gouvernement grec : estimé à 2% en loi de finances, réévalué à 6 %, il passe ainsi à 12,5 %, révélant les mensonges du gouvernement précédent et le manque de fiabilité des statistiques grecques. La trajectoire d'endettement public n'apparaît plus soutenable. Ce qui est révélé, c'est la gestion budgétaire défaillante de la Grèce depuis 2001. L'économie grecque a accumulé des écarts d'inflation importants par rapport au reste de la zone, tirant sa croissance de l'envolée des salaires et d'une baisse massive du taux d'intérêt qu'a provoquée la monnaie unique, alors que son économie est spécialisée dans des services à faible valeur ajoutée.

Dès janvier 2010, le gouvernement grec annonce un programme de stabilité, qu'il complètera régulièrement. Le principe de la solidarité européenne est posé puis mis en oeuvre dans le cadre d'un plan de sauvetage de 110 milliards d'euros en mai 2010. Un mécanisme temporaire de stabilisation est mis sur pied, totalisant 750 milliards d'euros, pour les autres Etats fragiles. Il se compose d'une aide du FMI, du mécanisme européen de stabilité financière pris sur budget communautaire et du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Dans tous les cas, l'aide est conditionnée à l'adoption d'un programme d'assainissement budgétaire et d'adaptation de la structure productive, déterminé par la Commission, la BCE et le FMI (la « Troïka »).

Il est apparu rapidement en début d'année 2011 que le premier plan d'aide à la Grèce était sous-financé, notamment parce que le déficit 2009 a encore été réévalué à 15,4 %. Malgré plusieurs mesures, le retour sur le marché de la Grèce en 2013 était intenable. Le 21 juillet 2011, les Etats membres de la zone euro se sont donc accordés sur un second plan d'aide à la Grèce permettant de couvrir les tombées de dette prévues jusqu'en 2014 et les déficits cumulés sur la période, à savoir 187 milliards d'euros. La grande nouveauté réside dans la participation des investisseurs privés à hauteur de 50 milliards d'euros. Le Fonds européen de stabilité financière est à cette occasion réformé : les taux de prêt sont diminués et ses missions sont élargies à l'octroi de prêts à un État en simple difficulté, à la recapitalisation d'établissements de crédit et au rachat, sur le marché secondaire, d'obligations d'État.

La réussite du plan a été fortement mise en doute. Il y a d'abord les incertitudes sur la capacité du gouvernement grec à assainir ses finances publiques. La mise sous perfusion de la Grèce a pour seul objet de lui donner du temps pour conduire les indispensables réformes structurelles. Le gouvernement grec a fait voter des réformes législatives substantielles et sa détermination est forte, malgré l'absence de consensus dans la classe politique et un coût social terrible. Selon les études économiques de l'OCDE d'août 2011, les résultats déjà obtenus sont impressionnants : le déficit budgétaire a été réduit de près de 5 points de PIB en 2010, ce qu'aucun autre pays de l'OCDE n'était jamais parvenu à faire en une seule année au cours des trois dernières décennies.

Cependant, la mise en oeuvre est parfois délicate, en termes de capacités politiques, règlementaires et administratives. Les réformes structurelles demandées s'assimilent pour une large part à un rattrapage de l'acquis communautaire. Déréglementation, privatisations, recouvrement des impôts, contrôle sur les organismes hors de l'administration centrale ; sur le terrain de nombreux obstacles sont apparus. L'exemple le plus frappant est sans nul doute l'absence de cadastre. Le 2 septembre 2011, face à ces retards et un trou de 2 milliards d'euros, la troïka quitte Athènes, obligeant le gouvernement grec à annoncer la création d'une taxe immobilière d'urgence, puis un nouveau plan de rigueur. Mais il dévoile qu'il ne serait pas en mesure d'atteindre les objectifs de déficit fixés pour 2011 en raison d'une forte récession (-5,5 %).

Les craintes sur l'efficacité du plan affectent toute la zone euro avec des mouvements spéculatifs sur d'autres dettes souveraines, notamment italienne et espagnole, et une fragilisation des créanciers exposés à la dette grecque et surtout à la dette des autres Etats sous pression. Pour les Etats forts de la zone euro, le risque, quoique faible, est de voir leur propre note dégradée par les agences de notation et le coût de leur endettement augmenter, ce qui serait catastrophique pour l'assistance financière qu'ils garantissent.

Le ciel s'est un peu éclairci avec l'accord de la troïka au versement d'une nouvelle tranche de 8 milliards d'euros, mais en confirmant que les objectifs de déficit ne seraient pas tenus. Une autre bonne nouvelle est venue de la validation du plan du 21 juillet par tous les Etats de la zone euro avec le vote slovaque, plan crédibilisé par la large majorité qui a voté en sa faveur en Allemagne. Enfin, le taux de 90 % de créanciers privés prêts à participer au programme d'échange d'obligations grecques a été atteint. Votre Rapporteur estime que sous réserve de quelques ajustements, les mesures prises sont à la hauteur et qu'il faut tordre le cou aux alternatives qui continuent à circuler.

La première fausse-bonne idée est celle de la sortie de la Grèce de l'euro. Elle serait bien sûr dramatique pour la Grèce : elle ne résoudrait pas sa situation budgétaire, les agents y sont endettés en euros et la période transitoire avant réintroduction de la drachme serait chaotique. Mais ce serait aussi une catastrophe pour les autres Etats de la zone euro et au-delà. Outre son coût politique, cette sortie créerait un précédent et livrerait les autres Etats fragiles à une spéculation funeste, dont les effets seraient incontrôlables.

La deuxième fausse bonne idée est que l'efficacité du Fonds européen de stabilité financière nécessite un volume quintuplé. 750 milliards d'euros, ce sont déjà des montants colossaux ! Les garanties du fonds ont été renforcées et ses compétences élargies. Cette augmentation semble devenue inévitable pour ne pas laisser penser que le fonds est sous dimensionné, mais il faut espérer qu'elle se fera par l'activation d'effets de levier.

La troisième fausse bonne idée est d'appeler à une intervention plus active de la BCE. Le traité lui interdit d'intervenir sur le marché primaire. Mais au-delà de l'argument juridique, il ne paraît pas opportun d'entamer la crédibilité de l'euro, alors que la monnaie sera demain l'actif sûr, ce que ne seront plus les dettes souveraines, et alors que des moyens ont été mis en place pour aboutir à des effets équivalents. D'abord la BCE est intervenue sur les marchés secondaires, ce qui a causé les départs fracassants d'Axel Weber et Jurgen Starck. Ensuite, les Etats membres ont doté le FESF de la capacité de racheter de la dette.

La dernière fausse bonne idée concerne les euro-obligations. Il s'agit d'un outil à terme très intéressant, mais il n'a aucune vertu curative et suppose d'avoir préalablement assaini les finances publiques. Son intervention se ferait d'ailleurs à des taux supérieur à ce que permet la garantie des Etats notés AAA, ce qui fragiliserait l'assistance européenne. Le Président de la Commission européenne qui y est favorable ne dit pas autre chose lorsqu'il pose la condition que ce soit des « obligations de stabilité ».

En revanche, la résolution de la crise passe par la mise en oeuvre appliquée des décisions prises. La capacité à long terme de la Grèce à rembourser sa dette repose sur sa capacité à limiter son besoin d'endettement structurel et à améliorer sa compétitivité. Une assistance technique européenne est mobilisée. Il faut aussi examiner les propositions formulées pour faciliter les privatisations.

Les autres pays de la zone euro ont aussi une responsabilité à tenir dans la gestion rigoureuse de leurs finances publiques, à commencer par l'Italie. Ils ont également une immense responsabilité en matière d'efficacité. Cela suppose d'abord de ne pas systématiquement dimensionner au plus juste les plans d'aide, car tout nouvel ajustement produit des secousses qui aggravent les difficultés à sortir de la crise. Cela implique aussi une discipline dans la communication qui fait cruellement défaut. Des prises de position sur le dimensionnement du FESF, sur l'organisation d'une sortie de la Grèce de la zone euro, ou encore sur un plus important défaut sélectif notamment ont eu des effets dévastateurs.

Pour être rapidement efficaces, les programmes d'ajustement doivent s'accompagner d'une stimulation de la croissance, à l'opposé d'une logique punitive. La baisse des taux de prêt à la Grèce est en ce sens bienvenue, de même que la mission confiée à la « task force » européenne de faciliter l'absorption des fonds structurels avec un cofinancement relevé jusqu'à 95 %. D'autres pays devraient bénéficier de cette aide. La création de « project bonds », c'est-à-dire un financement des investissements via un emprunt européen, est aussi une piste d'avenir.

Enfin, afin de limiter les effets de contagion de la crise, un soutien au secteur bancaire est devenu nécessaire, même si la recapitalisation systématique n'a pas de sens, de même qu'une estimation du besoin de financement fondée sur des décotes importantes de pays comme l'Espagne et l'Italie.

Si la priorité est la résolution de la crise, la réflexion sur les dysfonctionnements de l'UEM a aussi débuté pour traiter le mal à la racine. La gouvernance économique européenne était caractérisée par une régulation budgétaire assez faible exercée par les pairs, une coordination molle des politiques nationales au travers d'objectifs non contraignants et des politiques redistributives assurées par un maigre budget européen. Cette gouvernance a perdu sa crédibilité. Le renforcement de l'intégration économique européenne est en marche avec trois volets :

– la pérennisation du Fonds européen en mécanisme européen de stabilité, créé par un traité signé le 11 juillet 2011 ;

– la réforme en cours de la surveillance budgétaire pour l'élargir aux fondamentaux économiques et renforcer la discipline ;

– la création d'un « Pacte pour l'euro plus » qui consiste à décliner des mesures concrètes pour renforcer la convergence économique et sociale en faveur d'une plus grande compétitivité. On peut discuter du contenu des mesures mais il s'agit d'un changement de méthode majeur.

La France et l'Allemagne semblent décidées à aller plus loin. La question posée est celle du Gouvernement économique de la zone euro. Il s'agit bien sûr d'une question institutionnelle : incarnation dans un Conseil européen réduit aux Etat membres de la zone euro ? nouvel équilibre à construire entre la méthode intergouvernementale qui a montré ses limites et la méthode communautaire ? intégration renforcée à 17 ou étendue à 27 ? Mais il s'agit surtout d'une question de contenu : souhaite-t-on organiser une union économique de transferts budgétaires ?

Il existe une spécialisation productive des différentes économies composant la zone euro qui explique en partie les déséquilibres. Les pays périphériques sont en situation de déficit commercial structurel et s'endettent pour financer leur activité. Ces déficits qui profitent aux Etats forts pourraient être financés par ces derniers, leur permettant de préserver leurs débouchés commerciaux, la stabilité de leurs établissements financiers ainsi que, à terme, la pérennité de la construction européenne. Naturellement, le renforcement des transferts suppose une exigence forte en matière de finances publiques et de meilleure compétitivité structurelle dans des Etats périphériques. Ira-t-on si loin ?

Il y a un lien direct entre la crise que traverse l'Union économique et monétaire et la question du budget européen. Cette union économique sera-t-elle une union budgétaire, ou assurera-t-on une gestion des déséquilibres internes sans passer par la fédéralisation ? C'est en laissant ouverte cette question que votre Rapporteur vous propose d'approuver le prélèvement européen pour 2012, qui alimentera un budget que l'on peut qualifier d'attente, tant le rôle du budget européen est aujourd'hui en débat.

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