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Intervention de Laurent Collet-Billon

Réunion du 5 octobre 2011 à 12h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Je vous remercie de m'avoir invité à intervenir dans le cadre de l'examen par votre commission du projet de budget pour 2012. Je vous remercie également, monsieur le président, pour vos propos aimables au sujet des universités d'été de la défense.

Je vous ferai tout d'abord un point de situation succinct de l'exécution du budget de l'année 2011. J'évoquerai ensuite le projet de loi de finances pour 2012 avant de dégager quelques perspectives pour les années ultérieures.

Dans la continuité de 2009 et de 2010, la DGA s'est attachée en 2011 à livrer les matériels demandés pour la modernisation de nos armées.

Les mesures décidées l'an dernier en programmation budgétaire triennale pour la réduction des déficits publics ont été mises en oeuvre. Elles portent sur le décalage du lancement de quelques programmes futurs, sur des réductions de cible et sur des étalements de production.

Je commencerai par évoquer les livraisons, fondamentales dans un contexte d'engagement de nos forces. Pour la dissuasion, le calendrier est strictement respecté avec la poursuite des livraisons de missiles M51 et la livraison des derniers missiles ASMP-A.

Dans le domaine conventionnel, nous prévoyons la livraison, d'ici à la fin de l'année, de quatre hélicoptères NH90, dont le premier dans sa version terrestre (TTH), de cinq hélicoptères de combat Tigre, de plus de 4 000 équipements de fantassin FÉLIN, de 100 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des missiles ASTER, Exocet MM40 et MICA rénovés ainsi que 11 avions Rafale. Je précise d'ailleurs que nous avons réceptionné cet été le centième Rafale.

La capacité de renseignement est renforcée par la rénovation d'un Transall Gabriel et l'arrivée de quatre nouvelles nacelles de reconnaissance RECO-NG.

Enfin, la livraison des téléphones cryptés TEOREM au Gouvernement et à différentes institutions et administrations a commencé, avec un peu de retard j'en conviens.

Globalement, l'exécution des marchés de production est satisfaisante et notre industrie donne une image positive, à l'exemple de Nexter qui livre ses VBCI de façon tout à fait convenable en termes de qualité et de délais.

Pour nos matériels, l'emploi en opérations extérieures (OPEX) reste l'épreuve de vérité. En Afghanistan, nous avons été amenés à engager en « urgence opérations » quelques améliorations pour la protection des combattants et l'interopérabilité avec nos alliés. L'opération Harmattan, en Libye, a montré l'efficacité de notre dispositif militaire ; l'effort que nous fournissons depuis de longues années porte maintenant ses fruits. Nous sommes capables d'entrer en premier sur un théâtre complexe, d'assurer le commandement de cette phase et de fonctionner au sein de l'OTAN. En l'espèce nous avons parfaitement collaboré avec nos partenaires britanniques et avons démontré l'efficacité globale de notre outil militaire et de nos systèmes d'armes. Le Rafale a par exemple tiré des missiles de croisière SCALP-EG avec une précision remarquable et a largué, avec le même succès, des armements air-sol modulaires (AASM) à guidage infrarouge. L'efficacité du Tigre a également été à la hauteur des espérances, en particulier pour les opérations nocturnes.

Cette opération fait aussi apparaître quelques insuffisances. Elles étaient prévisibles, dans la mesure où elles correspondent à des opérations différées en raison d'arbitrages budgétaires. Le problème le plus évident est celui des drones MALE. Le ministre de la défense a pris une décision durant l'été en vue de maintenir une capacité MALE à compter de 2014 et nous menons une action à plus long terme avec les Britanniques à l'horizon 2020. Des décisions concernant le ravitaillement en vol et le transport logistique avec l'avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT) sont également imminentes.

Pour ce qui est des commandes, l'année 2011 est en phase avec les prévisions, je ne m'y étendrai pas.

J'en viens à l'exécution budgétaire. Les engagements sur le programme 146, que je codirige avec l'amiral Édouard Guillaud, devraient s'établir à un peu plus de 8 milliards d'euros en fin d'année et le besoin de paiements à plus de 10 milliards. C'est une très bonne exécution. Le report de charges à la fin de 2011 est estimé à 1,7 milliard d'euros, soit environ deux mois de paiement. Nous prenons dès maintenant les précautions qui nous permettront de payer les entreprises les plus fragiles pendant la période de recouvrement allant de la fin de l'année au début de l'exécution budgétaire de 2012. C'est une dégradation par rapport au report de charges de la fin de 2010 qui était de 800 millions d'euros. Ce report pourrait toutefois être réduit à 1 milliard si nous disposons des ressources extrabudgétaires tirées de la vente des fréquences. Je note que les appels d'offres viennent d'être lancés et que les recettes escomptées sont supérieures à celles qui étaient inscrites dans les projets. L'important est que ces crédits soient mis à notre disposition à une date où ils seront encore employables, faute de quoi la gestion de la fin de l'année sera quelque peu délicate. Plus généralement, les recettes extrabudgétaires seront importantes pour l'exécution budgétaire de 2012.

En ce qui concerne les crédits de la DGA au sein du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », le niveau d'engagement pour les études amont commandées à l'industrie est estimé à 700 millions d'euros à la fin de l'année. Un effort de plus de 50 millions d'euros est consenti en faveur des PME via notamment le dispositif de subvention RAPID (régime d'appui pour l'innovation duale). Il consiste à partager les frais avec l'industriel, notre participation servant d'effet de levier. Le délai entre le dépôt de projet et le versement des fonds est réduit à moins de six mois. Je compte développer encore ce dispositif dans les années qui viennent.

S'agissant des difficultés rencontrées dans l'exécution 2011, je me suis déjà exprimé sur le progiciel Chorus et chacun sait ce qu'il en est.

En matière de maîtrise des coûts et des délais dans la conduite des opérations d'armement, la tendance est à l'amélioration. Les objectifs devraient être tenus avec un taux de retard de 1,5 % sur les devis et de 2,25 mois sur les délais de réalisation. Je pense que finalement nous arriverons à passer en deçà du seuil des deux mois.

En ce qui concerne la réforme du ministère, nous avons quasiment tenu le calendrier de restructuration des activités de la DGA. Notre effectif à la fin de 2011 sera de moins de 11 000 personnels. Nous sommes en ligne avec les objectifs de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et fournissons le même effort que les armées sur ce plan.

Les redéploiements sont près d'être achevés sans rupture notable d'activité et en préservant l'essentiel de notre capital de compétences techniques. Nous apportons une vigilance particulière au reclassement des personnels qui ne souhaitent ou ne peuvent pas suivre ces redéploiements, avec une attention spécifique pour les sites d'Angers et de Vernon. Le format de 2014 que la RGPP a fixé à la DGA sera atteint. Nous arriverons alors à la limite d'optimisation : nous nous serons délestés de toutes les tâches de soutien, autant en matière d'administration du personnel qu'en matière de matériel, d'informatique ou d'infrastructures. Aller plus loin reviendrait à supprimer des capacités. En d'autres termes, il n'y aura plus aucune marge de manoeuvre.

Pour ce qui concerne l'industrie, nous sommes enfin parvenus, au terme de dix ans d'efforts, à concrétiser la rationalisation de la filière de la propulsion solide avec le projet Héraklès. SNPE Matériaux énergétiques a rejoint Safran pour donner naissance au numéro deux mondial de la propulsion à poudre. Cela ouvre de nouvelles perspectives.

En revanche, les rationalisations entre Thales et Safran, abondamment commentées dans la presse, restent à faire. Cela étant, l'état actuel de nos finances et les perspectives de la compétition mondiale ne nous permettent pas de continuer à soutenir les filières industrielles indépendantes de deux sociétés. Il est impératif de constituer en France une filière optronique unique allant des composants de base aux équipements. Il en va de même pour la navigation ou pour les centrales inertielles.

Sur le plan européen, le traité de Lancaster House signé à la fin de 2010 définit une ambition très forte pour l'axe franco-britannique. Nous avons travaillé en 2011 à la construction des différents projets de coopération qui le sous-tendent, notamment dans le domaine aéronautique où cette coopération est structurante. Cette orientation n'est toutefois pas exclusive. Nous abordons ces sujets avec nos partenaires de façon très pragmatique.

Pour terminer le panorama de 2011, j'évoquerai brièvement les exportations. Nous assistons depuis l'été à une légère embellie avec la concrétisation de la vente de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie. Elle s'accompagnera de transferts de technologie. Je me félicite également du contrat de rénovation des Mirage 2000 en Inde. Grâce à ces opérations, la prise de commande devrait atteindre de l'ordre de 7,5 milliards d'euros en fin d'année.

Ce montant ne prend pas en compte l'éventualité de contrats portant sur le Rafale. Les discussions avec certains pays sont actives : les Suisses ont relancé une procédure énergique à l'initiative du Parlement ; en Inde, nous sommes en compétition directe avec l'Eurofighter.

J'en viens au projet de loi de finances pour 2012 qui s'inscrit dans la ligne définie par la loi de programmation financière : tout en réalisant les mesures d'économie définies en 2010 par la programmation budgétaire triennale 2011-2013, il assure le maintien de l'effort en faveur de l'équipement des forces.

La prévision d'engagement pour le programme 146 est de l'ordre de 11,3 milliards d'euros. Les ressources budgétaires pour les paiements s'élèveront à 9,2 milliards d'euros, en hausse de 3,6 % par rapport à 2011, complétées par 800 millions de recettes extrabudgétaires tirées de la vente des fréquences. Si ces recettes venaient à manquer, le report de charges s'aggraverait d'autant et nous sortirions du domaine du soutenable.

La continuité prévaut également pour les études amont du programme 144. L'objectif d'engagement vers l'industrie est de 730 millions d'euros avec des crédits de paiement de 680 millions, toujours en comptant sur les ressources issues du CAS Fréquence.

Aujourd'hui une partie importante du budget des études amont contribue au soutien des bureaux d'étude, en particulier dans le domaine aéronautique compte tenu de l'absence d'exportation du Rafale. Si, comme nous le souhaitons, un grand contrat d'exportation se concrétise, nous serons amenés à revoir de façon radicale l'emploi de ces sommes, un tel contrat comprenant des développements qui viendront nourrir les bureaux d'études. Il y a de nombreux autres secteurs auxquels il faut venir en aide et nous devons continuer d'augmenter notre effort en faveur de l'innovation dans les PME, où notre intervention est particulièrement efficace. Ces entreprises doivent être d'autant plus accompagnées qu'elles manient le crédit d'impôt recherche avec moins d'aisance que les grands groupes.

En 2012 les commandes porteront très majoritairement sur la poursuite des programmes en cours : drones MALE intérimaires, bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), missiles de moyenne portée (MMP) devant remplacer les Milan et missiles anti-navire légers (ANL) dans le cadre d'une coopération franco-britannique.

Les livraisons se poursuivront avec onze Rafale, six Tigre, une frégate multimission (FREMM), cent VBCI, trois Caracal et des missiles pour les équiper. Seront également livrés, en matière de défense antiaérienne, deux systèmes SAMPT (sol air moyenne portéeterre) et 61 missiles Aster. Nous continuons aussi notre effort pour la maîtrise de l'information avec un nouveau Transall Gabriel rénové, des pods de reconnaissance RECO-NG supplémentaires ainsi que divers systèmes d'information et de communication. Nos capacités de projection seront renforcées par un nouveau bâtiment de projection et de commandement (BPC), huit hélicoptères NH90 et cinq des avions CASA 235 qui assureront la transition avant les premières livraisons d'A400M.

Bien que le budget 2012 soit serré, il permet de maintenir l'effort d'équipement des armées ainsi qu'un effort significatif pour les études amont. Lorsque l'exécution d'un budget s'avère difficile à conduire, le chef d'état-major des armées et moi-même avons deux priorités : le respect scrupuleux des crédits de la dissuasion et des études amont. Les actions de réduction envisagées ne doivent en aucun cas pénaliser la préparation de l'avenir.

Du fait des échéances électorales, l'année 2012 aura un caractère particulier. Cela étant, un chantier est déjà ouvert pour préparer la révision du Livre blanc. La mise à jour du contexte est en cours, sous l'égide de M. Francis Delon. Cette révision sera suivie de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire pour les années 2013-2018.

Aujourd'hui il y a peu de marges de manoeuvre sur le programme 146 « Équipement des forces ». Les contrats passés sont globaux et nous engagent sur une longue durée. Leur renégociation est très risquée au plan financier : nous avons en effet demandé à nos industriels des efforts de productivité et, si nous revenons sur ces accords, nous devrons ensuite négocier le dos au mur, c'est-à-dire dans des conditions très défavorables.

Les commandes passées ne sont pas irréfléchies : elles correspondent aux besoins des forces. C'est le cas des onze frégates multimission, ou encore des six Barracuda, dont la production est prévue jusqu'à 2027. Il n'y a pas de marges calendaires dans ce domaine.

Par ailleurs, nous devons continuer à soutenir l'innovation et à préparer l'avenir. Si nous sacrifions les études amont, nous risquons d'en subir les conséquences dans cinq ou dix ans en nous trouvant contraints d'acheter à l'étranger. De tels achats peuvent être utiles dans des situations d'urgence. Nous n'avons pas hésité, par exemple, à nous procurer des véhicules Buffalo pour les opérations d'Afghanistan. Cette pratique ne doit cependant pas devenir la règle, d'autant que ce choix a des implications fortes sur l'emploi.

Il faudra faire des choix en fonction des critères de souveraineté communément admis aujourd'hui, de l'accès aux technologies, de la capacité industrielle à les réaliser et de notre volonté de les financer.

J'ajoute que certaines de nos exportations s'accompagnent de transferts de technologie. C'est le cas des BPC qui seront livrés à la Russie, ce sera peut-être celui des Rafale si nous concluons un marché avec le Brésil. Cela signifie que nous créons nos propres concurrents à une échéance de dix, quinze ou vingt ans, avec des taux horaires en vigueur dans ces pays beaucoup moins élevés. Si nous voulons conserver des capacités commerciales à l'échelle mondiale, il est impératif de maintenir un différentiel technologique, donc d'investir dans les études amont. C'est la seule manière de créer des emplois dans l'industrie d'armement en France.

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