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Intervention de Jean Picq

Réunion du 6 octobre 2011 à 11h00
Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

Tout d'abord, je voudrais rendre à l'Assemblée ce que nous lui devons. Si nous avons inscrit ce sujet à notre programme avant que vous ne vous en saisissiez, c'est parce que le rapporteur spécial de la commission des Finances pour les crédits de la mission enseignement scolaire, M. Yves Censi, avait souligné auprès de nous, il y a trois ans, l'intérêt que présenterait une étude de la Cour sur cette question. La connaissance que les parlementaires ont du terrain leur permet de fait de mesurer l'enjeu qui s'y attache. Il y a un an, lorsque nous avons rendu public le rapport sur l'éducation nationale, nous avions passé trois ans sur ce sujet et entendu tout ce que l'éducation compte d'acteurs : jamais il n'avait été question de la médecine scolaire – tout comme il n'en est pas question dans le dossier remis aux élèves, comme vient de le relever Mme Langlade.

Mettre ce sujet sur la place publique constitue donc un premier acquis considérable. L'enjeu est en effet très important, moins du point de vue financier – il ne s'agit que de 0,7 % du budget de l'éducation nationale – que social, et je ne vous cacherai pas que nous avons parfois été saisis par les témoignages que nous avons entendus au cours des auditions. Je pense au médecin scolaire de Seine-Saint-Denis examinant, un lundi matin, un élève qui s'était blessé pendant le week-end, mais qui ignorait que les urgences fonctionnaient même le dimanche, ou à ce médecin de Mayenne découvrant, à l'occasion d'une visite médicale, le très grave état de santé d'un enfant venant de Bosnie. Nous avons également été très frappés par le décalage entre la très forte conscience qu'avaient les médecins et infirmiers scolaires de l'importance de leur mission et leur sentiment, tout aussi fort, que cette mission n'était pas suffisamment reconnue.

Nous n'avons pas voulu nous lancer nous-mêmes dans la définition des indicateurs parce que cela ne relève pas de notre responsabilité mais, quand on prend l'ensemble des tâches, on voit très bien comment ils peuvent se décliner. Qu'il s'agisse des élèves handicapés, des élèves des lycées professionnels qui doivent travailler sur des machines dangereuses ou du nombre de séances d'éducation à la santé, trouver des indicateurs ne pose pas de problème, mais il faut ensuite s'interroger sur leur place et sur leur hiérarchisation. Faire ce travail d'analyse nécessite non pas des moyens, mais de l'inventivité. Les médecins scolaires souffrent de ce que personne ne lit leurs rapports d'activité. Que disent-ils de l'état des enfants ? C'est la seule question qui vaille. Mais comment faire remonter l'information ? Comment l'exploiter ? C'est à cela que servent les indicateurs. Ces médecins sont indignés à l'idée que l'on puisse réduire leur activité au seul taux de visites à six ans, car cela ne représente qu'une faible partie de ce qu'ils font. De surcroît, alors que la totalité d'une classe d'âge devrait être examinée à six ans, seulement deux tiers de ces enfants profitent de cette visite, et cette fraction diminue chaque année. Or, ces examens permettent d'identifier des problèmes d'audition et de vision, et éventuellement de vaccination, chez environ 50 % de ceux qui les subissent. Cela signifie que la moitié des 37 % d'enfants qui ne sont pas vus sont, à très court terme, en situation d'échec scolaire. C'est une responsabilité considérable.

S'agissant du pilotage national, il faut que la médecine scolaire soit visible, qu'elle ait un animateur, une figure médicale reconnue susceptible de parcourir le territoire, de réunir les médecins et les infirmiers scolaires dans les académies, de prendre à témoin l'opinion des enjeux de la médecine scolaire. Et au-delà de cette animation, qui est déjà en soi un exercice important dans une démocratie, il faut mettre en évidence les leviers d'action. Nous avons parlé des objectifs, mais la question considérable de l'allocation des moyens est posée. Nous sommes dans une situation d'autant plus difficile que les déserts médicaux scolaires correspondent aux déserts médicaux au sens général. Il est beaucoup plus difficile de combler les postes vacants au Nord que de recruter des médecins au Sud. M. Bernier s'est demandé si l'on ne pourrait pas faire appel aux médecins du secteur privé dans ces zones. La réponse est donnée quand on sait que 17 euros sont attribués pour de telles vacations aux médecins du secteur privé. A-t-on dès lors une chance d'attirer un médecin généraliste qui travaille par ailleurs douze heures par jour avec des consultations à 23 euros ?

Certains d'entre vous ont évoqué le pilotage local. C'est un sujet délicat car il n'y a pas d'accord général sur le territoire pertinent. Nous citons longuement, dans le rapport, une réponse du ministère de l'éducation nationale qui rappelle les débats ouverts sur le sujet lors de la décentralisation et qui penche plutôt pour un traitement au niveau régional. En même temps, selon les médecins scolaires et les infirmiers que nous avons entendus, il faudrait plutôt traiter la question au niveau des bassins infra-départementaux. Puisque les agences régionales de santé ont vocation à organiser la coordination des soins, ainsi que la séquence entre médecine de PMI, médecine générale et médecine scolaire, elles ont là un chantier à ouvrir – et certains directeurs d'ARS en ont le désir.

L'informatique a un peu changé la donne. Un médecin nous a ainsi dit que, grâce à elle, il était désormais en mesure d'envoyer des mails aux principaux responsables des CHU, de leur adresser une urgence. Les nouveaux moyens de communication facilitent effectivement la circulation de l'information. La question de l'accès au dossier médical individuel va d'ailleurs se poser et les médecins scolaires que nous avons auditionnés ne relèvent pas de difficultés dans leurs relations avec les médecins généralistes. L'information circule donc, mais les inégalités sont telles que le temps dont disposent les médecins scolaires pour assurer le suivi des visites est bien plus réduit dans certains territoires que dans d'autres. Ǎ cela s'ajoute évidemment la responsabilité des familles, auxquelles les médecins ne peuvent pas se substituer.

S'agissant des examens à six, neuf, douze ou quinze ans, le Premier président vous a répondu. Il nous a paru étrange, pour ne pas dire plus, que sur un sujet d'une telle importance il n'y ait pas d'accord entre les deux ministères concernés. Il y a un accord général sur le fait que la visite à six ans est capitale pour détecter différents troubles, par exemple les troubles de la vision, mais nous ne sommes pas compétents pour apprécier s'il faut supprimer une autre visite. Avec la sémantique propre à la vie administrative dans notre pays, on peut se demander si une visite médicale est plutôt un bilan de santé, un dépistage, ou autre chose. Pour notre part, nous signalons que la compréhension varie en fonction des situations locales et qu'il faudrait réfléchir à la répartition des rôles entre l'équipe éducative, qui peut détecter des cas, le médecin, qui peut s'occuper des cas plus graves, et l'infirmier qui peut faire un premier bilan. Comme vous le savez, les infirmiers scolaires viennent souvent de l'hôpital. On pourrait envisager que, grâce à une formation plus longue, ils puissent faire de la médecine scolaire. Il faut donc engager une réflexion, non pas sur les moyens, mais sur l'articulation des compétences.

Vous avez posé la question de l'attractivité. Comme l'a souligné le Premier président, il y a des disparités considérables entre les médecins de PMI, les médecins de santé scolaire et les médecins du travail. Ainsi, un médecin scolaire commence à 1 754 euros, soit un traitement inférieur à celui d'un interne, et un médecin scolaire de première classe en fin de carrière a un traitement inférieur de 174 euros à celui d'un médecin du travail qui débute. Nous n'avons pas à porter de jugement sur ce que doit être le bon niveau de rémunération, mais il y a là une piste évidente pour la revalorisation de cette activité.

Nous avons aussi été frappés par l'absence de valorisation des acquis de compétence. Dans le secteur de la médecine scolaire, beaucoup d'infirmiers viennent de l'hôpital et beaucoup de médecins étaient généralistes – ce sont souvent des femmes, qui réduisent leur activité par exemple pour s'occuper de leurs enfants. Après le concours, ils passent entre huit et seize semaines, en fonction des compétences et de l'expérience professionnelle de chacun, à l'École nationale de santé publique de Rennes, mais il n'y a pas de valorisation de cette formation. Un médecin scolaire qui est arrivé au niveau maximal n'a pas de perspective de carrière, sauf à devenir médecin conseiller technique, auquel cas il gagnera autour de 4 900 euros. Et s'il veut recommencer à exercer la médecine générale, la compétence santé publique qu'il a acquise dans sa formation et dans l'exercice de son activité n'est pas reconnue. Il y a là aussi une piste d'autant plus intéressante à suivre que l'on nous a dit, lors de l'audition des deux médecins responsables de la formation des médecins de santé scolaire à l'École nationale de Rennes, que l'expérience française, cette exception scolaire, intéressait beaucoup les pays étrangers et même la Finlande, que l'on présente pourtant souvent comme le laboratoire des progrès en matière d'éducation.

Quel équilibre ménager entre les activités de suivi médical et celles d'éducation à la santé ? Nous ne sommes pas compétents pour le définir, mais des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) ont été installés partout et nous avons été frappés par la forte implication des équipes pédagogiques et des chefs d'établissement. Selon ces derniers, « la santé est entrée dans l'école ». L'acuité croissante des questions de mal-être, de souffrance, de violence fait de la santé un sujet d'éducation. Nous pensons qu'il ne faut pas se contenter, en matière d'éducation à la santé, d'organiser des journées sans tabac, des conférences sur la violence ou la sexualité, et qu'il faut s'interroger sur l'impact qu'ont de telles journées sur les jeunes. Cela n'est pas fait.

S'agissant de l'idée de décentraliser la médecine scolaire, celle-ci a fait l'objet d'un débat, mais a été abandonnée en 2003. L'Allemagne, l'Angleterre ont fait le choix d'une décentralisation locale, mais nous confirmons que cela ne correspond pas au souhait des organisations syndicales de médecins et d'infirmiers scolaires et nous constatons surtout l'absence d'un accord sur le bon niveau. Dans certaines villes qui ont des services de médecine scolaire pour les écoles primaires – c'est le cas notamment de Paris, Nantes et Lyon –, les taux d'encadrement sont supérieurs, mais le coût de ces services est également plus élevé. Le débat a donc eu lieu ; il a été tranché et s'il doit être repris, il s'agira de répondre à une seule question : quel est le bon système pour réduire les inégalités territoriales ?

Monsieur le président Méhaignerie, des moyens de communication plus adaptés permettraient de mettre en évidence, d'un territoire à l'autre, des pratiques utiles ou efficientes. Faudrait-il que des équipes mobiles se déplacent sur certaines zones ? Nous n'avons pas obtenu de réponse unanime à cette question. Certains médecins pensent qu'il faudrait avoir un tel système dans certaines zones alors que d'autres estiment capital l'attachement à un établissement.

En conclusion, on ne peut réduire le sujet à la question des moyens, même si nous sommes confrontés à un problème de revalorisation. L'état de santé préoccupant de nos élèves nous impose de réfléchir à une organisation permettant de traiter avec efficacité et détermination ce qui est un enjeu important pour la réussite de tous les jeunes.

M. le Président Bernard Accoyer. Je remercie MM. Didier Migaud et Jean Picq pour cette collaboration inaugurale, qui est la démonstration éclatante de l'intérêt qu'il y a à faire vivre cette synergie entre la Cour et l'Assemblée nationale. Le sujet lui-même a d'ailleurs déjà été choisi de manière concertée avec la Cour, et, de son côté, le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques se prêtait particulièrement bien à l'exercice puisque le Comité traite de sujets transversaux. Je veux également saluer le travail de MM. Pascal Duchadeuil et Joël Montarnal. La Cour a ainsi montré toute l'étendue de ses compétences techniques, toute la puissance de son travail collégial et sa capacité à se mobiliser de façon exemplaire.

Comme toujours lorsque l'on se penche sur un sujet transversal, il faut prendre du recul, de la hauteur face à cette spécificité française, dont nous devrions nous féliciter. Cette audition nous a en effet appris que ce type de service n'existait pas dans d'autres pays : c'est déjà un point positif. Par ailleurs, nous avons tellement l'habitude d'additionner les structures, les services, de ne pas remettre en cause ce qui existe pour éviter de faire de la peine à tel ou tel, que nous perdons en efficience. J'ai bien noté que, dans le contexte financier contraint que la Cour des comptes met régulièrement en évidence, il fallait savoir faire mieux avec au maximum les mêmes moyens. Et il faut bien reconnaître que, depuis plusieurs décennies, les gouvernements qui se sont succédé n'ont pas mené de politique absolument convaincante en matière de santé publique. La politique d'assurance maladie figurait au premier rang de nos soucis à tous et, du coup, la prévention, l'éducation sanitaire se sont construites au fil de l'eau, induisant des problèmes de toutes sortes : absence de pilotage, absence d'évaluation et d'objectifs, solitude des professionnels qui se demandent si tout ce qu'ils font est pris en charge, conditions de rétribution qui posent question, absence de délégation des tâches clairement définie alors que les infirmières scolaires sont des professionnelles ayant de l'expérience et qu'elles peuvent traiter les problèmes psychosociaux, sanitaires, d'addiction… Autant de sujets dont les élus politiques feraient bien de se saisir au moment de s'adresser à nouveau à leurs électeurs. La France a tout à gagner à réfléchir, non seulement à l'accès de tous aux soins, mais aussi à la prévention, qui ne s'arrête pas aux portes de l'école et mérite d'être érigée en objectif national partout dans le pays. Mais cette même exigence d'égalité impose aussi que la prévention soit déclinée de façon adaptée aux territoires, voire aux micro-territoires, aux établissements scolaires. Les ARS paraissent être le niveau approprié pour traiter ce problème.

Les pistes proposées par la Cour seront, je n'en doute pas, explorées par les pouvoirs publics. Il faut en effet d'abord définir un grand cadre politique, de grands choix qui s'articulent autour de valeurs partagées par tous, et faire ensuite avec les moyens nécessairement contraints dont nous disposons. Mais des marges de progression existent, notamment grâce à l'engagement des personnels au service de cette mission difficile, qui mérite une beaucoup plus grande attention des pouvoirs publics. Je remercie donc à nouveau la Cour et tous ceux qui ont participé à cette première prometteuse pour la coopération entre nos deux institutions.

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