Je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui le rapport que la Cour a établi sur la médecine scolaire, afin de contribuer à son évaluation. Je le suis d'autant plus qu'il s'agit du premier rapport de la juridiction répondant à une commande passée par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale sur le fondement de l'article L. 132-5 du code des juridictions financières, issu de la proposition de loi du président Accoyer.
Nous avons souhaité adapter au mieux notre travail et nos méthodes en vue de remplir la mission définie par l'article 47-2 de la Constitution, aux termes duquel la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans l'évaluation des politiques publiques. La Cour a donc mené son enquête auprès des ministères chargés de l'éducation nationale et de la santé, de trois académies et des onze inspections académiques correspondantes, afin d'apprécier le pilotage et la gestion de la médecine scolaire. Surtout, nous avons choisi de mener des investigations de terrain auprès d'un échantillon d'écoles maternelles et primaires, de collèges et de lycées sélectionnés en raison de leurs contextes géographiques et sociaux très diversifiés. Ainsi, nous avons pu recueillir les perceptions d'une cinquantaine de médecins et d'infirmiers de l'éducation nationale sur les enjeux de leur action au service des élèves et de leur réussite scolaire.
Pour compléter cette approche, nous avons également sollicité les ambassades de France en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni, qui nous ont fourni des éléments de comparaison sur la place et l'organisation de la médecine scolaire dans ces différents pays.
Enfin, nous avons organisé, au-delà des procédures traditionnelles de contradiction auxquelles la Cour est particulièrement attachée, douze auditions de près de 25 heures au total. Ces auditions de responsables ministériels, d'experts, de médecins et d'infirmiers, ainsi que de représentants de syndicats de personnels de santé scolaire et de fédérations de parents d'élèves, nous ont permis d'enrichir la matière de cette enquête.
Dans ce rapport, la Cour vise à contribuer à une évaluation de la médecine scolaire en examinant les objectifs, les moyens, l'organisation ainsi que les résultats de cette politique publique. Au terme de notre long travail, nous pouvons mettre en lumière quatre grands diagnostics.
Tout d'abord, les missions de la médecine scolaire se sont multipliées ces dernières années sans hiérarchisation claire entre elles.
Ensuite, la médecine scolaire se heurte à des problèmes d'attractivité de ses métiers et de répartition des moyens insatisfaisante.
De plus, elle est mal gouvernée à tous les niveaux, du manque de pilotage national à l'absence de coordination des acteurs de terrain.
Enfin, le suivi et l'évaluation des effets de la médecine scolaire sont quasi nuls, ce qui empêche à la fois d'en mesurer l'impact sur la santé des enfants et d'identifier les pratiques les plus efficaces.
Premier constat, les objectifs de la médecine scolaire n'ont cessé de se multiplier et de s'élargir au fil des décennies, passant du suivi sanitaire des élèves à une démarche de prévention, puis à l'affirmation d'une mission de promotion de la santé, qui s'efforce de prendre en compte les jeunes individus sous tous leurs aspects. Dès lors, les textes qui définissent les activités des médecins et des infirmiers de l'éducation nationale énoncent de multiples tâches sans établir de priorités entre elles : il leur faut simultanément assurer les visites médicales obligatoires, promouvoir les projets d'éducation à la santé, faciliter la scolarité des élèves confrontés à des problèmes de santé ou à des situations de handicap. Faute de hiérarchisation, les acteurs de terrain ont le sentiment d'une accumulation d'actions parmi lesquelles ils sont contraints d'effectuer eux-mêmes des choix en fonction d'impératifs dictés par l'urgence et de manière un peu improvisée.
Deuxièmement, le recrutement des personnels de médecine scolaire est confronté à d'importantes difficultés. Les raisons en sont que ces métiers sont faiblement attractifs et que les lauréats, qui pour nombre d'entre eux ont décidé de rejoindre l'éducation nationale après avoir exercé une activité de médecin généraliste, ont une mobilité limitée. Cette situation explique des déficits importants dans certaines académies et induit de fortes inégalités territoriales en matière de couverture médicale des publics scolaires. Ce problème de recrutement et de répartition des agents est en outre aggravé par le fait que 32 % des infirmiers et 42 % des médecins de l'éducation nationale devraient partir à la retraite d'ici à 2019.
Les conditions matérielles d'exercice ne sont pas non plus optimales. Ainsi, certains médecins et infirmiers de l'éducation nationale doivent assurer à leurs propres frais l'acquisition de matériels médicaux ou doivent utiliser, sans être remboursés, leur téléphone personnel afin d'organiser les rendez-vous avec les élèves et leurs familles.
Troisièmement, nous avons constaté que le pilotage de la médecine scolaire était très limité, sinon inexistant. Alors qu'elle doit être à la fois une médecine pour l'école et une médecine dans l'école, le rapport de la Cour montre qu'il n'existe pas d'accord entre les ministères de l'éducation nationale et de la santé – notamment sur la pertinence de certaines visites médicales obligatoires, un sujet central.
Au sein du ministère de l'éducation nationale, un seul bureau est consacré à la médecine scolaire, et encore de manière non exclusive. À l'échelon territorial, les fonctions de régulation et d'animation reposent sur les médecins et les infirmiers, conseillers techniques placés auprès des recteurs et des inspecteurs d'académie, mais ce réseau ne bénéficie pas toujours de moyens adaptés de communication et d'échange. Enfin, l'enquête conduit à s'interroger sur le positionnement de la médecine scolaire par rapport à la médecine générale et sur l'homogénéité de ce positionnement. Il est frappant de constater que selon les départements, les caisses primaires d'assurance maladie prennent ou non en charge le remboursement des actes prescrits par les médecins de l'éducation nationale, par exemple en ce qui concerne les bilans orthophoniques.
Quatrièmement, enfin, les données statistiques disponibles pour juger des résultats de la médecine scolaire sont lacunaires et peu fiables. Elles ne permettent pas en l'état de mesurer l'impact de ces activités sur la santé des jeunes ni d'en apprécier l'efficacité, ce qui est un obstacle majeur à toute enquête.
Outre le fait – que les acteurs de terrain soulignent avec vigueur – que le dispositif statistique ne restitue pas une image fidèle de leur travail, les résultats disponibles font apparaître d'importantes inégalités territoriales dans les possibilités d'accès à la médecine scolaire, et même une dégradation des taux de réalisation des visites obligatoires des élèves. Seuls 65 % d'entre eux en bénéficient à l'âge de six ans, alors que la valeur cible de cet indicateur est de 100 %.
Par ailleurs, les acteurs de terrain doivent faire face à de nouveaux enjeux de société qu'ils ont du mal à traiter, notamment avec l'accroissement des situations de souffrance psychique des jeunes.
Enfin, l'impact des actions d'éducation à la santé sur le comportement des jeunes n'est pas mesuré, ce qui empêche de cibler les démarches les plus pertinentes et les plus efficaces.
Vous l'aurez compris, ces multiples difficultés obèrent les performances de la médecine scolaire. L'écart est profond entre les objectifs ambitieux assignés à cette dernière et la réalité de ses résultats. Nous avons donc cherché à identifier les orientations qui pourraient contribuer à le réduire.
Au-delà des constats techniques, l'enquête a tout d'abord montré que la médecine scolaire, qui s'adresse à 12 millions d'élèves et repose sur environ 1 500 médecins et 7 500 infirmiers de l'éducation nationale, constitue un enjeu central à la confluence de trois questions fondamentales pour l'avenir de notre société : la jeunesse, l'école et la santé.
Comme l'observait avec justesse un universitaire auditionné par la Cour, les médecins scolaires sont les seuls à pouvoir observer sur une longue période – entre cinq et quinze ans – une population aussi nombreuse et importante pour l'avenir de la nation. Or nombre de pays comparables au nôtre ne disposent pas de fonctionnaires dédiés à cette fonction, qu'ils recourent à des médecins du secteur privé pour intervenir dans les établissements scolaires ou qu'ils laissent aux familles le soin du suivi médical des élèves. C'est pour cela que la première de nos questions a porté sur le bien-fondé du choix national d'organiser une médecine scolaire.
Ensuite, nous avons examiné la place et le rôle de la médecine scolaire dans le cadre plus large des politiques de santé publique, dans la mesure où elle est chargée non seulement de contribuer à la réussite scolaire des élèves, mais également de veiller à leur état de santé à des âges cruciaux pour le développement de l'individu.
Sur ces deux points, la Cour considère que la médecine scolaire française présente, dans sa forme actuelle, un grand intérêt. Elle assure un suivi médical obligatoire au sein de l'institution scolaire tout en prenant en compte les objectifs éducatifs qu'elle connaît de façon très précise. Cependant, il faut absolument trouver une meilleure façon de l'articuler avec le reste du système français de santé publique. Autrement dit, à notre avis, aucun autre mode d'organisation ne paraît aujourd'hui en mesure d'offrir une alternative assurant cette mission dans les mêmes conditions.
Malgré cet enjeu central pour l'avenir de notre société, l'enquête de la Cour a montré que les personnels de la médecine scolaire estiment, non sans raison, que leur activité n'est ni vraiment reconnue, ni suffisamment valorisée. Cette aspiration à plus de visibilité et de reconnaissance paraît d'autant plus légitime que, tout au long de ses investigations, la Cour a rencontré des médecins et des infirmiers fortement motivés, aimant leur métier, soucieux de répondre aux besoins multiples des élèves. Ils savent être à l'écoute, percevoir un mal-être physique ou psychique, repérer les cas de détresse ; ils sont en mesure de sensibiliser les familles et de les orienter vers les structures et les interlocuteurs extérieurs qui pourront apporter des réponses adaptées.
Ces professionnels font également observer que, dans certains quartiers urbains ou territoires ruraux, ils sont parfois le seul contact qu'aient les élèves et leurs familles avec le monde de la santé. Ainsi, le réseau des médecins et infirmiers de l'éducation nationale nous est apparu comme un capital de tout premier plan qu'il faudrait sûrement mieux valoriser. Le meilleur parti doit être tiré de leur connaissance de l'état sanitaire et psychique des jeunes, et plus encore de leur capacité à identifier à temps difficultés et troubles d'apprentissage.
Au-delà de leur besoin de reconnaissance, les médecins et les infirmiers de l'éducation nationale aspirent surtout à voir leurs multiples activités redéfinies et inscrites dans un cadre plus clair et plus construit. Au fil des ans, leurs missions ont perdu en lisibilité et les grandes priorités se sont estompées sous l'effet de l'accumulation des tâches. Sur le terrain, les professionnels de santé doivent faire face à l'évolution des besoins des élèves, notamment avec un accroissement des situations de mal-être, la fragilisation des liens familiaux et sociaux, un accès inégal aux soins ou la précarité sociale et économique.
Pour faire face à cette demande multiforme des publics scolaires, la question se pose alors du dispositif qui permettrait, du fait de ses objectifs, de son organisation, de son animation et de sa capacité d'évaluation, de mieux situer l'action des médecins et infirmiers de l'éducation nationale par rapport aux grands enjeux de la santé en milieu éducatif. Il faut aussi trouver une manière de valoriser et d'animer le réseau de la médecine scolaire, de le faire fonctionner de manière plus efficiente et plus efficace. Nous avons formulé des orientations en ce sens.
Il nous paraît évident que, pour répondre aux enjeux de la médecine scolaire, des choix clairs doivent être effectués dans plusieurs domaines. Il faudrait à la fois fixer l'enjeu politique et social, apprécier les besoins réels, déterminer les objectifs, allouer les moyens, animer le réseau et son fonctionnement dans la diversité des territoires, reconnaître la valeur ajoutée et rendre les métiers plus attractifs.
C'est donc une vaste entreprise : il s'agit de créer les conditions pour que la santé scolaire devienne une politique publique à part entière, cohérente et pilotée. Dans ce but, la Cour identifie à la fin de son rapport sept axes d'action.
Une réflexion au niveau national devra déterminer des objectifs assortis d'indicateurs précis : dépistages obligatoires, suivi des élèves handicapés, accompagnement des élèves souffrant de pathologies, adaptation à l'enseignement professionnel, éducation à la santé, etc. Le choix de ces indicateurs et la fixation du niveau de leurs cibles exprimeront de facto la hiérarchie des objectifs.
Par ailleurs, la répartition des moyens humains et matériels devrait se fonder avant tout sur une appréciation locale des besoins des élèves, afin d'équilibrer l'allocation des moyens disponibles conformément aux objectifs de la politique mise en oeuvre. Au-delà, un choix de nature politique devra être effectué sur la question des moyens : soit on décide que la politique de promotion de la santé scolaire doit être menée à budget constant, ce qui implique un redéploiement des moyens vers les territoires et les publics dont les besoins sont moins bien couverts ; soit les pouvoirs publics ont l'ambition de refonder cette politique en l'appuyant sur des moyens accrus, auquel cas le surcroît de ressources devra être affecté aux besoins jugés les plus importants, les moyens pouvant être trouvés par des redéploiements au sein de l'éducation nationale dans son ensemble.
En effet, comme l'a rappelé la Cour dans son rapport public thématique de mai 2010 sur « l'école face à l'objectif de réussite de tous les élèves », la France se situe, par rapport à la moyenne de l'OCDE, à un niveau de dépenses annuelles par élève inférieur de 5 % pour l'école maternelle et de 15 % pour l'école primaire, mais supérieur de 10 % pour le collège et surtout de 26 % pour le lycée. Des possibilités de redéploiement existent donc.
Venons-en aux sept axes d'actions que nous avons identifiés. Tout d'abord, sur le plan institutionnel, le rattachement actuel de la médecine scolaire au ministère de l'éducation nationale n'est contesté ni par les personnels, dans leur grande majorité, ni par les responsables du ministère de la santé. Cette politique est avant tout considérée comme une politique d'appui aux politiques scolaires, et non seulement comme la variante d'une politique de santé publique. Toutefois, au sein du ministère de l'éducation nationale, la faiblesse du pilotage – pour ne pas dire son absence – constitue un frein sérieux à l'efficacité du système de médecine scolaire. C'est pourquoi la médecine scolaire doit selon nous faire l'objet, au niveau national, d'une gestion suffisamment visible et individualisable, au lieu d'être diluée dans des politiques et des dispositifs disparates. Confier la responsabilité de cette politique à une autorité médicale éminente, par exemple, pourrait certainement permettre de lui insuffler une dynamique.
Ensuite, si les grandes lignes de l'organisation locale actuelle peuvent être maintenues afin de préserver sa souplesse et sa réactivité, le constat du relatif isolement des agents de la médecine scolaire – dont certains vont jusqu'à s'estimer oubliés de l'éducation nationale – amène à rechercher une meilleure intégration au niveau local. À ce titre, l'enquête de la Cour a permis de constater que les personnels étaient loin de disposer systématiquement des moyens informatiques et de communication permettant des échanges nécessaires et utiles. Cette condition préalable à une meilleure efficacité doit être remplie en priorité.
Au niveau national – c'est le troisième axe –, il convient de mettre fin aux divergences entre les ministères de l'éducation nationale et de la santé concernant l'approche générale de la santé scolaire, et de concilier, grâce à une véritable coordination, deux conceptions différentes : une médecine scolaire au service de la réussite des élèves et une médecine scolaire en tant qu'élément d'une politique de santé publique.
Quatrième et cinquième axes, à l'échelon régional, la répartition des missions des professionnels de santé, telle qu'elle sera organisée par les agences régionales de santé – ARS – devra tenir compte de la spécificité de la promotion de la santé scolaire tout en assurant une complémentarité effective entre les différents acteurs. Les médecins et infirmiers de l'éducation nationale sont en effet en première ligne pour constater et pour prévenir des difficultés ou des pathologies non encore décelées. Leur action doit donc être mise en réseau avec celle des autres intervenants de santé. À cet égard, la question du remboursement des actes découlant de prescriptions de médecins scolaires, actuellement accepté ou non selon les caisses primaires d'assurance maladie, devra être tranchée par les autorités compétentes.
Sixième axe : la question des moyens est inséparable du constat de la dégradation de l'attractivité des métiers de la médecine scolaire. Les difficultés actuelles de recrutement des médecins et infirmières de l'éducation nationale et les perspectives d'aggravation de cette situation, compte tenu de l'évolution démographique des corps concernés, rendent inévitable une adaptation statutaire si les pouvoirs publics veulent assurer la continuité des prestations données à la population scolaire. Cette adaptation devrait être fondée sur le principe d'une comparabilité minimale avec les corps équivalents de l'ensemble des fonctions publiques, tant sur le plan des rémunérations qu'en ce qui concerne les conditions de déroulement de carrière. Et je le répète, elle pourrait être financée à budget constant, par un redéploiement des moyens au sein de l'ensemble du ministère de l'éducation nationale.
Par ailleurs, le sentiment des personnels, exprimé très fréquemment, d'être insuffisamment reconnus dans leur activité soulève la question de la revalorisation de l'image des médecins et des infirmières scolaires, laquelle passe par la reconnaissance de la qualification professionnelle, tant en formation initiale que continue.
Enfin, la Cour observe qu'à ce jour, les conditions statistiques préalables à une évaluation précise de l'efficacité de la médecine scolaire ne sont pas réunies, qu'il s'agisse du suivi médical ou de l'éducation à la santé. À l'avenir, il sera donc impératif de développer fortement les moyens de mesurer l'impact de la médecine scolaire et d'améliorer la connaissance statistique que nous en avons. Une telle démarche évaluative ne saurait bien évidemment se confondre avec un simple état des lieux de la santé des jeunes en âge scolaire.
Pour l'immédiat, l'objectif essentiel de la Cour aura été de vous donner les moyens de porter une appréciation complète, précise et documentée sur l'efficacité, l'efficience et le service rendu par la médecine scolaire, dont l'objectif essentiel est de permettre aux élèves, en prenant en charge dans les meilleures conditions possibles leurs capacités physiques et psychiques, de suivre avec succès les apprentissages de la scolarité obligatoire.